11. Les vertus du leader
A 33 ans je me suis acheté le Catéchisme de l'Église Catholique, et puis je suis tombé sur les quatre vertus cardinales dont je n'avais plus entendu parler depuis mon plus jeune âge. Et donc je me suis dit que là, il y avait quand même un corps de principes qui permet d'éviter les bêtises et qui oriente plutôt vers les choses vertueuses et intelligentes.
La vertu de justice
La justice c'est que, à partir du moment où vous décidez que vous ne ferez pas de choses injustes, soit parce que c'est malhonnête, soit parce que ce n'est pas sympathique pour les autres, vous avez déjà quelque chose de simple qui vous évite des tentations.
La vertu de force
Ensuite vous avez la force, parce qu'il faut quand même, une fois que vous avez défini ce qui était juste et ce qui n'était pas juste, d’avoir le courage d'aller jusqu'au bout.
Je peux vous raconter des cas. Quand j'étais banquier, j'ai démissionné 7 fois en 20 ans, parce que je n'étais pas d'accord avec des principes qui avaient été bafoués. Il faut de la force pour ça. D’abord démissionner, ensuite il faut la force pour retrouver un travail.
Sur une affaire où le client était prisonnier du mandat que j'avais signé avec lui, un collègue essayer de voler – il n’y a pas d'autres mots – de voler 40 millions de dollars à ce client. Et là j’ai dit « non ». Et au moment où il fallait que je transmette les conditions à mon client, je refuse de le faire. Cela a fait une crise. Mon patron m’a protégé et m’a dit : « Je te protège, tu as raison, donc tu fais ce que tu veux. » Et voilà, tout se passe bien, mais les gars ne sont pas punis, parce que c'est un groupe qui faisait beaucoup d'argent pour la banque. Donc, moi, je vais à New York – c'était américain –. Je vais voir le patron pour lui demander de sanctionner mes collègues. Et lui me répond que j’ai fait perdre 40 millions de dollars à la boîte et que ce n’est pas normal.
Donc je suis parti une semaine après, considérant que, et c'est peut-être ça la vertu de force, considérant que je ne pouvais pas renier un principe par lâcheté, par faiblesse. Et je suis très content d'avoir fait ça. Parce que si je n'avais pas fait ça, je crois que je m'en serais voulu toute ma vie.
La vertu de tempérance
Après, il faut la tempérance, parce qu'il ne faut pas écraser tout le monde au passage. Il faut avoir un petit peu de sens de la mesure.
La vertu de prudence
Mais la vertu, à mon avis, la plus importante, c'est la prudence, pas au sens courant de la prudence : « Je fais attention de ne pas prendre de risque ».
C’est le contraire. La prudence c'est le discernement dans l'action : quand et quoi faire ? comment le faire ? comment saisir l'occasion pour le faire bien dans l'intérêt commun ?
Dans la prise de risque, on considère que les choix, c'est ce qui fait le sel de la vie et qu'il faut choisir au bon moment la bonne solution pour régler le bon problème. Et la prudence c'est quelque chose sur laquelle il faut travailler, parce que ça s'apprend et ça apprend à agir de manière intelligente et au bon moment. Il faut vraiment cultiver cette vertu et la développer, parce que ça permet de vivre une vie plus amusante et surtout plus efficace.
Ma grand-mère me disait : « Tu sais, dans la vie, tu vois passer des trains. Il faut prendre le train qui passe, au moment où il passe. Et si tu le laisses passer, tu auras perdu une opportunité. Si tu le prends, tu prendras un risque, mais il faut choisir quel train, à quel moment, à quelle vitesse et quel wagon. Il faut sauter dedans.
La prudence en entreprise
Soyez prudent dans l'action, et à partir du moment où vous avez ces quatre vertus, vous vous nourrissez, la vie devient alors beaucoup plus facile professionnellement, à la fois dans le traitement de vos collaborateurs, dans le traitement de vos supérieurs, de vos égaux, de vos clients.
Vous ne pouvez pas être vertueux à la maison, gentil avec votre femme et vos enfants, et puis ne pas être vertueux au bureau. Beaucoup de gens font ça.
Les quatre vertus donnent une colonne vertébrale pour pouvoir, dans des environnements compétitifs difficiles, parfois assez agressifs même, vous donner un petit peu de sérénité dans la vie de tous les jours.
Un leadership chrétien ?
Leadership chrétien ou leadership tout court. Je crois qu'il n’y a pas tellement de différences. Parce que si vous êtes un vrai leader, vous faites en sorte de donner le maximum de choses à votre collaborateur, de le protéger un maximum, d'exiger de lui un maximum, tout en assumant la responsabilité des choses qu’il fait. Vous allez prendre soin de son état mental, psychologique, familial même. Vous allez vous assurer que les choses que vous lui donnez à faire sont des choses qu'il sait faire. Ou si ce n'est pas le cas, vous allez lui permettre d'apprendre à faire les choses qu’il ne sait pas faire. Vous allez exiger de lui qu’il travaille beaucoup, parce que c'est important de travailler beaucoup pour être performant et pour être fier de soi. Et vous allez faire en sorte qu'il soit content, qu'il soit heureux de travailler. Quelqu'un qui vient au bureau le matin et qui n’est pas heureux de travailler, ce n'est pas un bon signe pour le patron. Le patron il est là pour que ces types soient contents de travailler, qu’ils soient motivés. Et donc il faut aussi les payer. Il faut les récompenser. Il faut surtout les mettre en valeur.
Il y a quatre mots importants :
C'est « merci », « bravo », « excusez-moi » et « pardon ». Alors pourquoi « merci » ? Parce que vous avez fait du bon travail et plutôt que de dire à tout le monde : « c'est moi qui ai pris votre place pour le faire », je vous mets en avant.
« Pardon ». Je vous ai demandé de faire un truc qui n’a pas été utile, vous l'avez bien fait, je n'ai pas compris que ça avait été bien fait, j'ai eu tort. Je vous en demande pardon.
« Excusez-moi », parce que je suis en train de prendre sur votre temps de famille, alors que peut-être ce n'était pas urgent et j'aurais pu vous faire faire ça la semaine prochaine et pas cette semaine.
Et puis « bravo », qui est comme « merci », mais c'est encore mieux c'est : « vous êtes formidable » et tout le monde doit le savoir.
Des vertus catholiques ?
Pourquoi est-ce que ce sont des vertus catholiques ? parce qu’il y a cette dimension d'amour du prochain.
Comme je pense que l'amour est au centre de notre foi. Ce n'est pas simplement une question d'efficacité. C'est aussi quelque chose pour le bien et pour le résultat qui sera ensuite efficace, mais c'est surtout pour le principe même du bien et du bon, et pour l'amour du prochain.
On peut se tromper, mais au moins on essaye de suivre quelque chose qui a du sens et les collaborateurs s’en rendent compte très vite.
Les à-côtés pour progresser
Il faut régulièrement prendre le temps, tous les jours même, de se perfectionner professionnellement, par la lecture, par les rencontres avec d’autres personnes, par la concurrence… Les concurrents font des choses intelligentes, il faut voir pourquoi, eux font, et vous pas...
Et puis dans la gestion des hommes aussi, il faut se remettre en cause. C’est bien, de temps en temps, de se dire : « Bon, maintenant, je vais prendre une après-midi, je vais aller me promener, je ne vais pas être au bureau, mais je vais réfléchir à la manière dont je fais les choses. Est-ce que c'est bien ou pas ? »
Et ça vous permet de temps en temps de reprendre un peu contact avec la réalité. Parce que si vous allez très bien, que ça se passe très bien, que ça marche très bien, et que finalement plus personne ne conteste ce que vous faites, au bout d'un moment vous vous desséchez, vous perdez votre créativité et vous êtes moins bon.
Alors c'est bien aussi de demander aux collaborateurs, de temps en temps, ce qu’ils pensent de vous à titre personnel. Moi je faisais toujours des évaluations annuelles de chacun de mes collaborateurs. Le collaborateur prépare lui-même une feuille sur laquelle il met ce qu'il a fait de bien, ce qu'il n’a pas fait de bien, comment il peut s'améliorer etc… Et aussi ce qu’il vous reproche ou ce qu'il aime bien chez vous. C'est intéressant parce que le feedback est en général honnête et assez juste. Donc c'est dommage de vous en priver.
Finalement c'est plus drôle, si vous prenez un risque vous-même tous les jours, en essayant d'appliquer des nouvelles méthodes, des nouvelles techniques, des nouvelles solutions à des problèmes que jusqu'à maintenant les gens ne savaient pas résoudre.
Marc Odendall
Marc Odendall a longtemps travaillé dans le secteur bancaire. Il a été membre du Conseil de direction de l’Autorité d’information financière (AIF) du Vatican entre 2014 et 2018.
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