9. Le baptême selon le retable des 7 sacrements de van der Weyden
Avant de devenir une interprétation personnelle de l’artiste peintre, sculpteur ou graveur, la représentation du baptême c'est d’abord une figure, une histoire, un geste liturgique et une espérance eschatologique.
Marquée par des accents théologiques, spirituels et ecclésiologiques différents selon les lieux et les temps, la représentation du baptême est donc un miroir de la foi chrétienne.
Au gré d’une nouvelle naissance, le baptême agrège à la communauté des fidèles tous ceux qui confessent leur foi en Jésus-Christ, au nom du Père, du Fils et de l’Esprit.
Un retable du XVe siècle
Un retable du XVe siècle nous offre de ressaisir cette réalité grâce à l’évocation d’une vie chrétienne jalonnée par les sept sacrements.
Peint par Rogier van der Weyden, entre 1453 et 145, le retable dit des Sept Sacrements se trouve aujourd’hui au Musée d’Anvers.
D’un format de trois mètres de largeur et de deux mètres de hauteur, c’est une œuvre immersive où tout un chacun peut faire son chemin dans un espace cathédrale. Le peintre flamand s’inspire en fait de la cathédrale Saint-Michel-et-Sainte-Gudule de Bruxelles, avec sa nef, son chœur et ses bas-côtés représentés avec minutie et maints détails, comme le mendiant à la porte, le chanteur à son pupitre et des fidèles en prière.
La croix au centre
Au cœur de cette cathédrale, le peintre offre à voir une étonnante crucifixion, d’une taille démesurée, surdimensionnée par rapport à l’architecture du lieu. Jésus crucifié, de ses bras en croix, embrasse tout l’espace de la nef.
Au pied de la croix, Marie, sa mère, est évanouie, en pamoison selon le langage médiéval, et soutenue par Jean, le disciple bien aimé. Figures de compassion, Marie femme de Clopas, Marie-Salomé et Marie-Madeleine sont agenouillées au pied de cette croix fichée dans le dallage.
Plantée au cœur de cette cathédrale, le mystère de la croix rappelle que la vie du Christ donnée jusqu’à la fin est au principe de tout sacrement de la rencontre de l’homme avec Dieu, lorsque la vie, selon saint Jean, est donnée en abondance (Jean 10, 10).
L’eau et le sang qui, dans l’Évangile selon saint Jean, s’épanchent du côté du Christ sont, dans la tradition, interprétés par les Pères de l’Église et commentés par saint Thomas d’Aquin comme une figure des sacrements de l’Église, du baptême et de l’eucharistie.
L’Évangile ne précise pas qu’il s’agit du côté droit du Christ, mais les commentateurs ont vu dans la prophétie d’Ezéchiel - au chapitre 47 - une préfiguration de cette réalité :
« De l’eau sortait de dessous le seuil du Temple vers l’Orient. L’eau descendait de dessous le côté droit du Temple, au sud de l’autel. » (Ezéchiel 47, 1)
Il s’agit d’une eau qui, selon le prophète Ézéchiel, assainit les eaux de la mer et suscite la vie partout ailleurs. Or le baptême, comme l’eucharistie, « le plus excellent des sacrements » selon saint Thomas d’Aquin, purifie, sanctifie et vivifie.
Le pèlerinage du chrétien
Dans chacune des chapelles des bas-côtés de la cathédrale, le peintre met en scène la vie de l’Église au gré des sacrements du septénaire médiéval : le baptême, la confirmation, la réconciliation, l’eucharistie, l’ordre, le mariage et l’onction des malades.
Il s’agit non seulement de scènes de la vie des fidèles peintes avec maints détails liturgiques, mais aussi et surtout des stations d’un pèlerinage de vie humaine qui, jalonnée par la célébration des sept sacrements, s’achève sous une fenêtre haute qui, à la faveur du jour, dispense la lumière d’En Haut.
C’est la seule fenêtre qui soit visible de toutes celles des chapelles des bas-côtés et dont l’unicité désigne, au-delà d’elle-même, l’unique chemin vers la vie éternelle que révèle la « lumière née de la lumière ».
Près du baptistère, là-même où un prêtre et des parents célèbrent le baptême d’un nouveau-né, se tient un homme qui, se tenant au seuil d’une chapelles latérales nous introduit dans l’espace cathédrale. C’est un homme qu’on retrouve, étonnamment, dans les autres scènes et qu’on peut identifier par sa physionomie, qu’il soit mature, jeune ou plus âgé, mais aussi par ses habits, notamment lorsqu’il se tient, avec un bâton de pèlerin à la main, devant l’autel du jubé, là-même où un prêtre célèbre l’Eucharistie. D’aucuns sont tentés de le reconnaître dans l’homme à l’agonie dans la scène de la célébration de l’onction des malades. C’est en réalité la figure de l’homme pèlerin, l’homo viator peregrinus, l’homme voyageur, de la tradition spirituelle médiévale qui s’achemine vers sa patrie céleste : la maison du Père.
Près du baptistère, sa présence, désigne le baptême comme le seuil à franchir pour s’acheminer vers la vie éternelle quand, selon l’Évangile selon saint Jean (Jean 17, 3), la vie éternelle c’est de reconnaitre le Père, comme seul et vrai Dieu, Lui qui parmi nous a envoyé son Fils Jésus Christ.
Inaugurée par le baptême, la vie de foi, dans le Christ Jésus, est un chemin de reconnaissance de Dieu, mais aussi de naissance à Dieu quand tout un chacun découvre son identité d’enfant de Dieu.
Les 7 anges
Dans l’espace cathédrale, chacune des sept stations du pèlerinage sacramentel est désignée par un ange qui, de l’une de ses mains, arbore un phylactère où se déploient des citations des épîtres pauliniennes, mais aussi, parfois, des citations des Pères de l’Église, voire de la liturgie.
Le baptême, l’eau de la vie
Au-dessus de la scène du baptême, dans les mains d’un ange vêtu de blanc, l’inscription du phylactère est une paraphrase latine de l’Épitre de saint Paul aux Romains :
« Tous ceux qui, dans l’eau et dans l’Esprit, sont baptisés dans la mort du Christ, renaissent en vérité. »
Dans ce retable de Rogier van der Weyden le baptême est donc étroitement corrélé à la mort du Christ, au gré, visuellement, de l’immense croix planté dans la nef de la cathédrale, mais aussi et surtout, théologiquement, grâce à la citation d’une épître paulinienne :
« Ignorez-vous que baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés ? » (Romains 6, 3)
Si, dans les eaux du baptême, l’homme est baptisé dans la mort du Christ, il est aussi appelé à vivre sa résurrection dans l’Esprit. Dans le baptême, préfigurée par l’eau qui, du Temple, jaillit, assainit et suscite la vie, la mort du Christ purifie tout être de son péché, offrant à tout un chacun une nouvelle naissance dans la résurrection, selon la volonté du Père, et dès lors une vie en abondance dans l’Esprit Saint
Dans ce retable dit des Sept Sacrements, grâce à l’art du dessin et de la couleur de Rogier van der Weyden, la figure du baptême offre toute sa signification. Le baptême inaugure le chemin de la vie sacramentelle où tout un chacun accomplit son pèlerinage de vie humaine vers le Père, appelé à reconnaître son identité d’enfant de Dieu, à l’image du Fils bien aimé, au gré d’une nouvelle naissance dans l’Esprit Saint.
frère Rémy Valléjo
En 2020, après de nombreuses années à Strasbourg, frère Rémy Valléjo vit au couvent de Lille. Il est responsable des centres culturels "Lumière du Nord" et "Les Dominicains". Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur la mystique rhénane : "Réduit à rien : les derniers jours de maître Eckhart" (Cerf, 2021), "Maître Eckhart : je ne sais pas" (Cerf, 2018), "Au fil du Rhin mystique, lumières rhénanes : de Sainte-Odile à Édith Stein" (Editions du Centre Emmanuel Mounier, 2017)
frère Rémi-Michel Marin-Lamellet
Frère Rémi-Michel est diplômé du CELSA Paris-Sorbonne. En 2023, il est frère étudiant au couvent Saint-Hyacinthe, à Fribourg (Suisse).
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