6. L’Église est une ! vraiment ?
Nous professons dans le Symbole de la foi, dans le credo, que l'Église est une : « Je crois en l'Église, une, sainte, catholique ». Nous prions aussi à chaque fois que nous célébrons l'Eucharistie pour que Dieu conduise l'Église vers l'unité parfaite : « Donne lui toujours cette paix et conduis la vers l'unité parfaite ». Cela veut bien dire qu’à la fois l'Église est une, cette unité ayant été donnée à l'origine même de l'Église. Mais en même temps nous prions pour que Dieu perfectionne cette unité.
Je travaille au Vatican, au Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, à la section orientale et en même temps j'habite à l’Angelicum, à l'Université pontificale Saint-Thomas-d'Aquin. J’enseigne l’œcuménisme et je suis directeur de l'Institut d'études œcuméniques.
L’unité, une prière et une mission
Le Concile Vatican II dans le décret Unitatis Redintegratio a affirmé cela avec beaucoup de force, en disant que le Christ avait donné cette unité à son Église dès son commencement. Et nous, catholiques, nous croyons que cette unité, cette Église du Christ, elle subsiste dans l’Église Catholique. Mais nous affirmons en même temps que cette unité, elle ne cesse de croître et elle doit se perfectionner, par notre prière, dans l'Esprit Saint.
Le Christ lui-même a prié à la veille de sa passion « pour que tous soient un », au moment le plus critique de sa vie : « que tous soient un pour que le monde croit que tu m'as envoyé ». Alors cette unité, c'est d'abord une prière, ce n'est pas un commandement. Ensuite cette unité, ce n'est pas un but en soi, c'est pour que le monde croit. Donc cette unité elle a une mission, c'est que tous croient que Jésus a été envoyé au monde pour le sauver.
Unité des chrétiens et unité chrétienne
Et c'est pour cela qu'il faut distinguer l'unité des chrétiens de l'unité chrétienne, parce que l'unité des chrétiens c'est finalement juste un moyen, on peut dire une étape, vers l'unité chrétienne, c'est-à-dire l'unité de tous en Christ, l'unité de tout le Cosmos en Christ. Saint Irénée de Lyon, qui a été récemment proclamé docteur de l'unité, a beaucoup réfléchi sur ce thème. Le but ce n'est pas l'unité des Chrétiens, c'est l'unité de tous en Christ, unité de toute la Création l'unité du cosmos tout entier en Christ, quand tout cela sera récapitulé en Christ.
L’Eglise est une, mais les chrétiens sont divisés
Alors la grande question c'est de comprendre comment l'Église est une mais les chrétiens sont divisés. Et pour cela il faut se rappeler que l'Église a été fondée le jour de la Pentecôte. Dès le début il y avait cette diversité parmi les disciples du Christ et c'est l'Esprit Saint qui a harmonisé, qui a réconcilié cette diversité.
Donc effectivement unité ne veut pas dire uniformité. L'unité elle se fait dans la diversité. C'est une unité à l'image même de la sainte Trinité qui est l'unité dans la Trinité. C'est cette Trinité qui est la source et le modèle de l'unité des chrétiens : une unité dans la diversité.
L'unité des chrétiens se fera donc selon ce modèle, qu'on peut appeler de « diversité réconciliée », pour utiliser une expression qui est souvent rappelée par le pape François. Nos diversités ne seront plus des divergences et des divisions, mais elles seront réconciliées par l'Esprit Saint.
Qu’est-ce que signifie « catholique » ?
Alors « catholique » ça veut dire « selon le tout », katholou. Donc c'est un mot qui a plusieurs significations.
Effectivement il y a une signification géographique : donc je crois en l'Église universelle. C’est une des significations de ce terme.
Mais pour les Pères de l'Église, « catholique » c'était la « foi catholique » d'abord, c'était la foi orthodoxe. L'expression « catholique » a aussi un sens théologique, pas seulement géographique.
Il y a un sens qui est peut-être encore plus profond. C'est d'ailleurs ce terme qui a été utilisé dans la traduction slave, c'est : « Je crois en l'Église une sainte et conciliaire ». Ils utilisent le mot saborny. Et sabirat, ça veut dire « rassembler » : « Je crois en l'Église rassemblée de partout ». Donc là on voit qu'on est loin d'une interprétation simplement géographique, universelle ou même purement dogmatique, mais d'une conception de l'Église comme « communion » je crois en l'Église conciliaire, l'Église rassemblée de partout, parce que l'Église, c'est avant tout effectivement le rassemblement de tous les disciples du Christ qui marchent à sa suite.
On parle plus de communion que d’unité ?
Effectivement on définit maintenant beaucoup l'Église par « communion ». Et même on utilisera plus souvent le terme « communion » qu' « unité », parce que aujourd'hui le mot « unité » fait peur. On pense unité-uniformité et l'unité fait peur parce qu'on a l'impression que la diversité va être niée, absorbée, engloutie dans l'unité. C'est pour cela que c'est difficile de parler d'unité de l'Église parce qu'il y a toujours cet a priori moderne négatif contre l'unité qui n'existait pas il y a encore quelques décennies.
Aujourd'hui on parlera peut-être plus facilement de communion, de rétablir la pleine communion, parce que justement la communion permet d'imaginer l'unité dans la diversité.
Et surtout le mot « communion » permet d'imaginer aussi des degrés dans la communion. Il n’y a pas de degré dans l'unité : soit on est unis soit on ne l'est pas. En revanche on peut être plus ou moins « en communion » et c'est exactement ce que dit le Concile Vatican II à propos des autres chrétiens : qu'ils sont en communion imparfaite ou en communion qui n'est pas encore pleine.
Quelle communion avons-nous avec les autres chrétiens ?
Nous avons différents degrés de communion avec les différentes communautés chrétiennes ou les différentes églises et communautés ecclésiales comme le dit Vatican II.
Avec les églises issues de la Réforme, nous avons de très nombreux éléments en commun, qui sont beaucoup plus nombreux même que ce qui nous divise, en particulier en ce qui concerne la Foi, maintenant que nous avons pu nous mettre d'accord sur un certain nombre d'articles de la foi qui autrefois nous divisaient, en particulier sur la doctrine de la justification, grâce à l'accord de 1999. Mais nous avons encore beaucoup de désaccords sur la conception de l'église, des ministères, des sacrements. Avec les orthodoxes, en revanche, nous avons presque la même conception de l'église, des ministères, des sacrements et donc c'est pour cela que l'Église catholique a toujours reconnu aux communautés orthodoxes le statut d'église au sens plein du terme, alors que pour les églises et communautés ecclésiales issues de la Réforme, le terme « église » n'est pas utilisé depuis Vatican II dans le Magistère catholique, et nous préférons parler en général de « communautés ecclésiales » en reconnaissant que nous n'avons pas exactement la même conception de l'église, des sacrements et des ministères.
Quel avenir pour l’unité de l'Église ?
Une chose qui est importante a rappeler, c'est qu'il n'y aura pas d'unité sans désir d'unité. Ce qui a motivé tous les pionniers de l’œcuménisme au XXème siècle, c'était qu'ils étaient habités par ce désir d'unité. Quand on pense à des gens comme le père Congar, qui a été un des pionniers de l'œcuménisme théologique ou le père Couturier à Lyon, qui a lancé l'œcuménisme spirituel dans l'Église catholique. Il y a des saints qui ont voué leur vie à l'unité de l'Église. On peut penser par exemple en Italie à sœur Maria Gabriela Sagheddu, qui avait donné toute sa vie pour l'unité, qui est morte très jeune en offrant sa vie et sa mort pour l'unité des chrétiens. Tous ces gens-là étaient profondément habités par ce désir.
Et donc la première condition à l'unité des chrétiens c'est que nous soyons nous aussi habités par ce désir d'unité en reconnaissant qu'il n'y aura pas de mission crédible des chrétiens s'ils ne sont pas eux-mêmes unis dans leurs témoignages.
frère Hyacinthe Destivelle
En 2022, frère Hyacinthe Destivelle est official du Conseil Pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens. Il a été membre de la Commission mixte internationale de dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe. En 2022, il est directeur de l’Institut d’études œcuméniques de l’Université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin (Angelicum), à Rome. Il a publié, entre autre : Les chrétiens de l'Est après le communisme, Cerf, 2020 ; Conduis-la vers l'unité parfaite, Oecuménisme et spiritualité, Cerf, 2016 ; Les Sciences théologiques en Russie, Cerf, 2010 ; Le Concile de Moscou 1917-1918, Coll. Cogitatio Fidei, Cerf, 2006.
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