7. Ne nous laisse pas entrer en tentation.
« Ne nous laisse pas entrer en tentation. » c’est une phrase qui peut effrayer. Est-ce que Dieu nous tente ? Est-ce qu’il nous tend des pièges ? Ou bien est-ce qu’avec ce vocabulaire du chemin, du voyage, « ne nous laisse pas entrer », il ne nous signifie pas qu’il y a une marche, une démarche à faire qui peut-être nous reste inconnue ? Et on peut la faire avec le Christ comme nous le verrons dans l’Évangile. Le premier qui est tenté, qui est emmené en tentation, c’est Lui donc il sait de quoi il retourne et il peut nous guider.
« Ne nous laisse pas entrer en tentation » c’est vraiment une phrase terrible en tout cas une phrase qui interroge. Est-ce que Dieu pourrait permettre que nous entrions dans ce périmètre de la tentation, une réalité qu’il faut encore définir.
Jésus, le premier tenté
Ce que l’on peut remarquer en tout cas c’est que ce lieu de la tentation on en parle depuis les débuts des Évangiles et avant même que Jésus parle du Notre Père : il y a eu une tentation dans laquelle il a été invité à entrer, c’était au désert (Matthieu 4, 1). Vous vous souvenez le diable qui s’est approché de lui au bout de quarante jours de jeûne de la part de Jésus pour le tenter. C’est le même vocabulaire qu’on traduit quelque fois par « pour le mettre à l’épreuve » ou quelque chose comme ça. Mais il s’agit bien du vocabulaire de la tentation. Et le diable lui dit : « écoute, change ces pierres en pain » ou « si tu me reconnais comme le maitre absolu je te donne les royaumes de la terre ». Vous connaissez ce passage donc qu’on appelle la tentation de Jésus.
Il n’y croit pas Jésus à ce tentateur qui cherche à dire : « Mais non ton père t’abandonne, tu dis que tu es le fils de Dieu mais tu es en train de crever de faim dans un désert. » Non Jésus résiste à cela par la parole de Dieu et il répond des phrases tirées du Deutéronome au Satan et il ne sombre pas dans la tentation.
Priez pour ne pas entrer en tentation
Et puis là encore le terme et la réalité mystérieuse qu’il représente se poursuivent dans tout l’Évangile. Au moment de la Passion par exemple dans Mathieu au chapitre 26, Jésus dit à ses disciples : « priez, veillez pour ne pas entrer en tentation » donc la même expression que dans le Notre Père. Donc là encore nous avons une notion et une réalité qui traversent l’Évangile et qui sont exploitées, explorées depuis longtemps par l’Ancien Testament.
Et Jésus je le disais tout à l’heure va dire à ses disciples au moment de sa passion « priez et veillez pour ne pas entrer en tentation, pour ne pas vous sentir à ce point abandonnés de Dieu Notre Père en me voyant aller à la croix, que vous puissiez dire « est-ce que vraiment il est là ou pas » sachant qu’autour de Jésus et des disciples il y a toutes sortes de bons croyants qui sont toujours en train de les tenter justement. Le vocabulaire apparaît aussi. Les pharisiens par exemple dans l’Évangile de Matthieu ne cessent de tenter Jésus et de le mettre à l’épreuve en lui disant « est-ce que c’est sûr que tu as un père qui te guide, est-ce que tu es vraiment sûr d’être le fils dont tu parles, est-ce que tu es sûr d’être celui que tu es ? »
La tentation est un lieu
Alors qu’est-ce que l’on peut dire de cette « entrée en tentation » ? Ne nous laisse pas entrer en tentation, il faut prendre au sérieux ce vocabulaire local, ce vocabulaire du lieu : « Ne nous laisse pas entrer en ».
Parce que Tentation dans l’Ancien Testament c’est un lieu bien connu. Vous vous souvenez peut-être quand nous avons parlé du pain nous avons évoqué en Exode chapitre 16, Dieu qui donne le pain du ciel qu’on appelle la Manne mais que Dieu appelle le pain, le pain qu’il donne chaque jour à son peuple. Et juste après ce chapitre de l’Exode, Exode 17, le peuple à nouveau, qui a la manne tous les jours et qui a traversé la mer rouge dit : « mais on n’a plus d’eau, mais où est Dieu ? » Et ça recommence en quelque sorte. Même s’il a été à plusieurs reprises sauvé par Dieu, nourri par Dieu chaque jour, le peuple n’est pas content et il dit cette phrase terrible : « Est-ce que Dieu est vraiment parmi nous ou pas ? » Et Dieu, à qui cela semble insupportable, leur dit : « Mais je vous accompagne depuis longtemps, on a traversé tant d’obstacles ensemble. »
Et donc à ce lieu Dieu donne le nom de Tentation, « Massa » en hébreu et il ajoute même un autre nom « Mériba » qui veut dire accusation, procès qu’on fait à Dieu. Massa ou Mériba, ce sont les deux noms de cet endroit au désert où le peuple que Dieu accompagne de manière certaine, a dit : « est-ce que Dieu est vraiment parmi nous ou pas ? » c’est comme une sorte de lieu traumatisant ou traumatique pour le peuple (Exode 17, 7).
Avoir pu dire cela va rester dans la mémoire collective. Par exemple dans le Deutéronome on va reparler de Massa ou Mériba, le lieu de la tentation où le peuple a tenté Dieu et a dit « mais peut-être tu n’es pas là » (Deutéronome 6, 16). Puis on va en reparler dans les psaumes. C’est vraiment un lieu qui voyage, auquel on fait référence dans toute la Bible. Le lieu où le peuple a tenté Dieu au sens d’une accusation ou d’un doute radical.
Le Notre Père, résumé de l’Exode
Alors quand on dit dans le Notre Père, après avoir parlé du pain quotidien avec allusion à Exode 16 : « ne nous laisse pas entrer en tentation », on fait allusion à Exode 17 c’est à dire – Seigneur préserve nous, toi qui nous donnes le pain quotidien, qui nous donnes Ta Volonté à accomplir pour nous rendre libre. Tout ce qu’on a dit auparavant dans le Notre Père. C’est comme-ci on lui disait : « Seigneur ne nous laisse jamais retourner dans ce lieu de tentation où on pourrait dire vraiment est-ce que le Seigneur est là ? Est-ce que Notre Père qui nous donne la vie est bien celui qui nous donne la vie et est-ce qu’il est bien là ? » Donc je pense qu’il y a vraiment là une allusion à l’Exode. Et nous avions aussi parlé de Moïse au début de nos entretiens, quand je disais que Moïse qui commence sa grande carrière admirable dans l’Exode termine dans le Deutéronome en appelant Dieu Père, le père de son peuple, notre père » (Deutéronome 32, 6). Donc il y a cet enracinement dans cette histoire du peuple au désert, du peuple avec Moïse. Ne nous laisse pas entrer en tentation c’est-à-dire, donne nous cette assurance fondamentale que tu es bien Notre Père, un Père qui nous guide et qui nous donne la Vie.
La tentation qui vient de Dieu ?
Ne nous laisse pas entrer en tentation en effet parce que le monde ne cesse pas de nous tenter, de nous dire –écoute ce que tu crois, ce que tu dis, ce que tu pries, ce sur quoi tu as mis ta vie ce n’est rien, tu n’y arriveras pas et puis peut-être çà n’existe pas.- Et nous verrons que cette tentation c’est vraiment cela. Et il y a un tout autre type de tentation dans la Bible quand Dieu tente par exemple au début du chapitre 22 dans la Genèse. Dieu tente Abraham en lui disant : « offre-moi ton fils » et c’est le début d’un cheminement décisif pour Abraham où il va s’apercevoir que Dieu ne veut pas la mort du fils mais au contraire sa vie. Et la tentation c’est alors une sorte d ‘épreuve mais plus exactement de cheminement avec Dieu où l’on apprend plus précisément qu’il est un Dieu de la Vie. Non à la Tentation du monde qui tue, Oui à ce cheminement avec Dieu qui va vers plus de vie.
frère Philippe Lefebvre
Le frère dominicain Philippe Lefebvre enseigne l'Ancien Testament à la faculté de théologie catholique de l'Université de Fribourg, en Suisse. Il a été nommé à la Commission Biblique Pontificale par le pape François en 2021. Ce spécialiste des Livres de Samuel a les deux pieds sur terre, en témoigne son engagement auprès des personnes abusées en milieu ecclésial. Il a publié (entre autres) : Livres de Samuel et récits de résurrection (Cerf, 2004), La Vierge au Livre (Cerf, 2004), Joseph, l'éloquence d'un taciturne (Salvator, 2012), Ce que dit la Bible sur le vin (Nouvelle Cité, 2013), Brèves rencontres (Cerf, 2015), Propos intempestifs de la Bible sur la famille (Cerf, 2016), Ce que prier veut dire (Éditions du Carmel, 2019), Comment tuer Jésus, abus, violences et emprises dans la Bible (Cerf, 2021).
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