7. Samedi saint, le Saint Sépulcre
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Parmi les reliques du Christ, de la Passion et des saints que les fidèles vénèrent dans la vallée rhénane, la Sainte Lance de Longin se singularise par la dévotion et l’art qu’elle suscite. En effet, érigée comme l’emblème du Saint-Empire germanique au XIIe siècle, et conservée comme tel dans le palais de Frédéric Barberousse à Haguenau, la Sainte Lance engendre au XIVe siècle un art des saints sépulcres propre à l’Alsace et la vallée rhénane.
Logé sous un enfeu, le saint sépulcre est composé d’un gisant du Christ de part et d’autre duquel se tiennent deux anges qui accueillent la Vierge Marie et les saintes femmes venues apporter leurs précieux aromates. Adossés tout contre la cuve funéraire, deux soldats émergent de leur sommeil tandis qu’un troisième désigne le Ressuscité. Ce groupe statuaire n’est pas seulement une représentation du Christ défunt, comme il en existe de splendides en Champagne, telle la mise au tombeau de Chaource, ni même une évocation de la Résurrection. En effet, ce groupe statuaire est en réalité une illustration dans la pierre d’un rite liturgique, d’un traité de théologie et d’une page de spiritualité. En Alsace et dans la vallée rhénane, un saint sépulcre est une réserve eucharistique. Logée dans le côté ouvert du Christ, une custode permet d’y conserver les Saintes Espèces, comme l’atteste le saint sépulcre de Kaysersberg qui possède encore son ancienne fermeture en bronze. Les saints sépulcres de Saverne, Thann, Haguenau, Niederhaslach, Gresswiller, Obernai, Wissembourg et Marienthal, ainsi que ceux de la cathédrale de Fribourg-en-Brisgau et de la cathédrale de Strasbourg, aujourd’hui conservé au Musée de l’œuvre Notre-Dame, sont tous à l’origine des réserves eucharistiques. Il ne s’agit donc pas d’une représentation du Christ mort, mais d’une représentation du Christ qui, déjà dans la gloire, donne la vie au monde, au gré du sang et de l’eau qui, selon l’évangile de Jean, s’épanchent de son côté ouvert (Jean 19, 34). Ce groupe statuaire donne donc à comprendre que le don le plus parfait, celui de l’Eucharistie, qui, selon saint Thomas d’Aquin, est le plus éminent des sacrements, découle du côté droit transpercé du Christ.
Dans le Rhin supérieur, la tradition éminemment symbolique des saints sépulcres est inspirée par la légende de la lance de saint Longin. En effet, selon les évangiles apocryphes, puis la Légende dorée de Jacques de Voragine, Longin est le centurion qui, après avoir percé le flanc de Jésus sur la croix, confesse sa divinité : « Vraiment cet homme était fils de Dieu » (Marc 15, 39). Depuis Otton le Grand (936-973), la lance de saint Longin, dite la Sainte Lance est l’insigne de la souveraineté de l’empereur. Découverte par saint Maurice, symbole impérial au temps de l’empereur Constantin, d’après une légende germanique, héritage des rois de Bourgogne, devenue propriété des empereurs d’Allemagne au Xe siècle, cette précieuse relique passe avec les emblèmes impériaux de ville en ville, dont Haguenau en 1154, Nuremberg en 1423 et enfin Vienne à partir de 1796. À partir du XVe siècle, son prestige politique diminue, mais son influence religieuse, déjà grande, ne cesse de croître. Dès son séjour à Haguenau, de 1154 à 1209, la relique de la sainte lance inspire toute une littérature spirituelle où le côté ouvert du Christ tend à se confondre avec le cœur de Jésus. « Jésus veut te recevoir dans son Cœur pour que toi aussi, tu le reçoives dans le tien. »
Au XVe siècle, à l’époque où est réalisé le Saint Sépulcre de Neuwiller, cette dévotion au coeur de Jésus est nourrie par la Vita Christi de Ludolphe de Saxe et la prédication de Jean Geiler de Kaysersberg, mais aussi par les Sermons de Jean Tauler qui ne cessent d’être diffusés en Alsace depuis la seconde moitié du XIVe siècle.
« Veux-tu reposer sur le cœur aimable de Notre Seigneur Jésus Christ ? » Selon Jean Tauler, dans son Sermon 15, « tu dois te laisser attirer à l'aimable image de Notre Seigneur Jésus-Christ et la contempler avec attention. Tu dois considérer sa douceur et son humilité et la profonde et ardente charité qu'il avait pour ses amis et ses ennemis, le grand et docile abandon qu'il gardait sur tous les chemins, dans tous les états et dans tous les lieux où son Père l'appelait. Considère ensuite la profonde douceur qu'il témoignait à tous les hommes et aussi sa bénie pauvreté. Le ciel et la terre lui appartenaient, et il ne les posséda jamais avec attachement. En tout ce qu'il disait et faisait, il n'avait en vue que la gloire du Père et le bonheur de tous les hommes. Contemple l'aimable image de Notre Seigneur Jésus-Christ, de plus près et plus à fond que je ne puis t'apprendre à le faire, alors Notre Seigneur te laissera bien reposer ici. »
De simple réserve eucharistique, le Saint Sépulcre alsacien devient le viatique d’une dévotion au Sacré Cœur de Jésus qui, à partir du XIIIe siècle, essaime dans la vallée rhénane, précédant ainsi les révélations de sainte Marguerite-Marie Alacoque à Paray-le-Monial, et offrant au piétisme protestant ses plus touchantes prières : « Maître bien-aimé, donne-moi un autre cœur, un nouveau cœur de chrétien qui soit semblable au tien ».
frère Rémy Valléjo
En 2020, après de nombreuses années à Strasbourg, frère Rémy Valléjo vit au couvent de Lille. Il est responsable des centres culturels "Lumière du Nord" et "Les Dominicains". Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur la mystique rhénane : "Réduit à rien : les derniers jours de maître Eckhart" (Cerf, 2021), "Maître Eckhart : je ne sais pas" (Cerf, 2018), "Au fil du Rhin mystique, lumières rhénanes : de Sainte-Odile à Édith Stein" (Editions du Centre Emmanuel Mounier, 2017)
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