3. Que ton règne vienne…
C’est une demande étonnante pour nous parce que nous ne vivons plus sous des règnes, dans des royaumes. Mais justement ça tombe bien ! Parce que la Bible conteste l’idée de règne, de royaume, de roi. Ou si elle en parle c’est pour nous présenter une tout autre réalité que celle que nous imaginons.
« Que ton règne vienne » on pourrait traduire cette expression aussi : « Que ton royaume vienne ». Cela serait d’ailleurs peut-être plus juste.
Mais c’est vrai que l’idée de règne, et encore plus de royaume, c’est une idée qui nous est assez étrangère, même quand on vit dans un pays qui est dirigé par un roi ou une reine aujourd’hui. Évidemment ça ne ressemble pas au royaume de l’Antiquité où le roi, la reine étaient tout puissants. Alors, est-ce que ça a encore quelque chose à faire avec notre expérience ? « Que ton règne vienne ».
Demander cela à Dieu, qu’est-ce que c’est que cette idée de demander un royaume dont Dieu serait le roi. C’est étrange.
Matthieu et les deux royaumes
Alors là encore, c’est bien de regarder un peu avant dans notre texte, en particulier dans l’Évangile de Mathieu. On parle beaucoup de royaume avant le Notre Père.
Dès le début, dès le chapitre 2, il y a un roi qui est mis en scène et qui est bien connu, c’est Hérode, Hérode qui est tellement assoiffé de pouvoir que quand il entend dire qu’un petit roi est né à Bethléem (c’est Jésus), Hérode se met tout de suite en campagne pour essayer d’éradiquer ce rival potentiel.
Et puis juste après, au chapitre 3 de Matthieu, il y a Jean Baptiste qui commence à prêcher, qui annonce que quelqu’un arrive derrière lui, c’est Jésus, et Jean Baptiste commence à prêcher le royaume ou le règne de Dieu qui arrive.
Donc, dès le début, il y a une espèce d’affrontement : il y a le royaume à la manière d’Hérode où la violence, le goût du pouvoir dominent et puis il y cet autre royaume que Jean Baptiste puis Jésus annoncent et qui est d’un autre ordre. Mais de quel ordre ? C’est ça qui mérite question.
Mais vous sentez bien qu’il y a un affrontement. Quand on a dit « royaume », quand on a dit « roi », on n’a encore rien dit. De quelle sorte de royaume et de roi parlez-vous ? Est-ce que ça va être un tyran qui a tous les pouvoirs et qui centralise l’argent ou bien est-ce que c’est un roi d’un autre ordre ?
Et bien justement tout l’Évangile de Matthieu mais aussi de Luc vont nous faire parcourir tout un chemin : qu’est-ce que c’est que ce royaume et ce roi qu’on demande dans le Notre Père ?
Dans l’évangile de Matthieu, avant que Jésus parle du règne, du royaume dans le Notre Père, Jésus enseigne, dans les Béatitudes le chapitre avant Matthieu 5, que ceux qui hériteront du royaume et qui seront les rois de ce royaume et les reines, ce sont les pauvres, les pauvres en esprit, ceux qui ont une attitude de pauvres dans cette vie et ceux qui sont persécutés pour la justice ; ce sont les deux catégories qui héritent du royaume des cieux.
Luc et l’Empire
Remarquez que l’Évangile de Luc qui a aussi une version du Notre Père au chapitre 11 c’est aussi un évangile qui commence tout de suite avec des figures royales.
Il y a César qui organise dès le chapitre 2 de l’évangile de Luc un grand recensement de tous ces royaumes. Et vous savez que Joseph et Marie vont se faire recenser avec Jésus qui va naître à Bethléem. Et puis il y a ensuite toute une vraie méditation sur ce pouvoir romain avec l’empereur à Rome et qui va se développer dans tout l’évangile de Luc et même dans l’écrit suivant de Luc, les Actes des Apôtres, (c’est Luc qui en est aussi l’auteur) et qui va se terminer à Rome ; donc, vraiment au cœur du pouvoir royal, ou plus exactement impérial à l’époque.
Donc nos 2 évangiles qui contiennent le Notre Père sont aussi les évangiles qui parlent beaucoup de politique, du règne, qu’est-ce que-c ‘est que avoir le pouvoir et quel règne demande-t-on à Dieu ?
Et puis souvenez-vous Luc au chapitre 23 le type crucifié à côté de lui et apparemment ce n’est pas un enfant de chœur , il sait pourquoi il est crucifié, et il dit à Jésus avant de mourir « Souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume ou dans ton règne » (Luc 23, 42). Il a tout compris et Jésus lui dit : « Tu seras aujourd’hui avec moi au Paradis » (Luc 23, 43).
Ce paradis des origines que Dieu, le premier roi, le vrai roi qui fait naître la vie, a constitué pour nous accueillir et pour que nous participions avec Lui, en Lui, par Lui à la promotion de ce type de royaume où la vie coule à pleins flots.
La Genèse et le règne de la vie
Alors, c’est intéressant de regarder l’Ancien Testament. Donc, au tout début de la Genèse dans le chapitre 1 et le chapitre 2 vous savez que Dieu est présenté comme une espèce de roi majestueux qui crée le monde. Donc, son pouvoir c’est un pouvoir de créer. Par sa Parole il crée et il crée des créatures capables elles-mêmes d’une certaine autonomie ; les arbres portent des fruits qui portent leurs semences, pour s’ensemencer à nouveau.
Donc quand Dieu va dire aux humains « Dominez la terre », il faut pas du tout entendre ce terme comme « envahissez la terre et détruisez la, enlevez la forêt du Brésil, brûlez tout », pas du tout : il faut dominer comme Dieu domine et comment Dieu domine-t-il ?
Comment Dieu est-il roi ? Il est roi, il a un règne où il donne la vie, c’est ça le règne. La marque du règne de Dieu c’est que la vie s’implante, se propage, est magnifiée et qu’il faut faire très attention à cette vie. Le règne de Dieu c’est le règne de la vie, de la vie préservée.
Le psaume 71 (72) : le roi des pauvres
Et il y a dans toute la Bible une sorte de méditation sur le règne, le royaume qui va à contre-courant de tout ce qui se dit à l’époque, et peut-être encore aujourd’hui. Qui est-à-dire le véritable roi dans la Bible ? Par exemple dans le Psaume 72, c’est celui qui prend soin et qui fait attention aux plus pauvres et aux plus maltraités de son royaume. Ce n’est pas courant à l’époque, ce n’est peut-être pas si courant aujourd’hui, non plus que des politiques qui sont en place aient pour priorité les plus faibles de l’Etat qu’ils gouvernent.
Dans les livres de Samuel : un royaume alternatif ?
Donc il y a toute une sorte de contestation de l’idée de règne et qu’on a au cœur de l’Ancien Testament avec le fameux royaume que le peuple réclame. C’est le Premier Livre de Samuel.
Au chapitre 8. Les Hébreux disent : on voudrait un roi et un royaume comme toutes les nations et Dieu dit : « mais justement avec moi, ça ne va pas être comme toutes les nations ». Donc Dieu dit : « d’accord pour un roi et un royaume » mais vous allez voir que quand il y a Dieu qui est de la partie, ce n’est pas tout à fait comme les autres nations où les rois et les royaumes montrent leur puissance, leur force de frappe, c’est pas du tout comme ça.
Alors il y a un premier roi, Saül qui très vite veut être comme un roi des nations, attaché à son pouvoir, aimant l’argent, la puissance.
Et puis un deuxième roi va être envoyé par Dieu qui est David. David, vous le savez, c’était un petit berger au début qui va remporter des victoires tout à fait inattendues, là où personne n’ose affronter les ennemis d’Israël, les Philistins à l’époque et David va être le premier à devenir un roi mais un roi qui conteste l’idée de roi. Il va être le premier à avoir un royaume qui n’est pas tout à fait ce qu’on entend par royaume.
Et il faudrait bien sûr développer ça longuement mais dans toute la Bible ce fil rouge continue. Quand on parle de royaume, de quoi parle-t-on ? D’une puissance écrasante ou d’un lieu où la vie est préservée, la vie est honorée et où elle surgit de là où on ne l’attend pas.
Dans l’évangile de Matthieu au chapitre 13, Jésus développe tout un ensemble de paraboles sur le Royaume, qu’est-ce que c’est que le Royaume ? Et il y en a une qui est particulièrement intéressante ; le Royaume c’est un trésor caché que tu trouves dans un champ, il est sous tes pas. Quand même curieux le Royaume des Cieux, il est sous terre et il est caché et c’est très intéressant parce que ce n’est pas un royaume clinquant, c’est un royaume qu’il faut découvrir et c’est possible de le découvrir quand, vraiment, on cherche la vie de ce royaume.
frère Philippe Lefebvre
Le frère dominicain Philippe Lefebvre enseigne l'Ancien Testament à la faculté de théologie catholique de l'Université de Fribourg, en Suisse. Il a été nommé à la Commission Biblique Pontificale par le pape François en 2021. Ce spécialiste des Livres de Samuel a les deux pieds sur terre, en témoigne son engagement auprès des personnes abusées en milieu ecclésial. Il a publié (entre autres) : Livres de Samuel et récits de résurrection (Cerf, 2004), La Vierge au Livre (Cerf, 2004), Joseph, l'éloquence d'un taciturne (Salvator, 2012), Ce que dit la Bible sur le vin (Nouvelle Cité, 2013), Brèves rencontres (Cerf, 2015), Propos intempestifs de la Bible sur la famille (Cerf, 2016), Ce que prier veut dire (Éditions du Carmel, 2019), Comment tuer Jésus, abus, violences et emprises dans la Bible (Cerf, 2021).
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