11. Que dire lors des obsèques ?
Que dire ? Les mots sont trop faibles… C’est souvent ce qu’on entend au moment d’un deuil, alors qu’on ne sait pas quoi dire… et peut-être faut-il ne rien dire ? Mais le silence est lourd aussi, alors revient la parole… Elle revient en particulier dans le « faire » lorsqu’il s’agit de préparer, avec les proches, la célébration des funérailles.
Mais que dire ? Quelle parole ?
Il y a les mots de l’accueil, ceux de la présentation de la célébration avec ses rites ; il y a ceux de la musique et des chants, des prières à formuler, des gestes à accompagner, et surtout de la Parole de Dieu à proclamer et à commenter… Avec cette question: dans le deuil, comment la parole de Dieu rencontre-t-elle la parole d’une famille ?
Quel écho y a-t-il entre les paroles échangées et la Parole de Dieu ?
Quand nous accueillons les proches, ils parlent spontanément du défunt, de ce qu’ils ont vécu avec lui, avec elle. Nous sommes là pour encourager, pour susciter la parole qui va permettre d’enraciner la célébration dans le vécu de la personne défunte, et aussi dans celui de ses proches, tout en ouvrant sur l’espérance chrétienne en la vie éternelle. Nous allons choisir les gestes, les chants, les prières dans un rituel qui a sa cohérence. On ne fait pas n’importe quoi mais on accueille l’expression propre de chaque famille, pour célébrer ensemble Dieu qui accueille, qui pardonne, qui invite à la prière et à l’action de grâce, Dieu qui nous parle. Le moment où l’on choisit, avec la famille, les textes qui vont être proclamés est un moment clé de cette préparation. Certaines familles sont proches de l’Église, actives et/ou réceptives. Mais nous rencontrons aussi des personnes qui ne connaissent pas la Bible. Alors ce sont les paroles échangées pendant la préparation qui permettent d’accrocher une parole biblique, d’entendre et de dire une parole vraie et incarnée pendant la célébration. Cela ne se fait pas tout seul, mais j’ai un « truc » c’est l’attention à tous les « mots » de la vie.
Les mots de la vie, les mots de la Bible, quel écho ?
On remarque que les mots de la Bible sont souvent des mots de tous les jours, des mots dits par des hommes et des femmes ordinaires, des mots dits par Jésus aussi. Des mots qui parlent de la vie quotidienne, qui parlent au cœur. Dans la rencontre avec les familles, nous faisons résonner ces mots avec les nôtres : bonheur, amour, douceur, pauvreté, larmes, service, fardeau, réconfort, etc…. Bonheur, par exemple : le sermon sur la montagne avec le discours des Béatitudes est souvent choisi par les familles. On est parfois tentés de dire « encore » ! d’autant qu’il n’est jamais facile de parler du bonheur dans une célébration de funérailles.
Mais y a-t-il une parole plus riche, plus forte pour entendre et dire, de façon nouvelle à chaque fois, la manière dont Jésus touche personnellement chacun de nous ?
Je me souviens d’une préparation, plutôt joyeuse, avec une famille. Joyeuse, parce que revenaient sans cesse les souvenirs des moments joyeux vécus avec leur père : cela nous a permis d’entendre quelque chose du bonheur dans la tristesse et de le dire. En revanche, une autre fois, entendant la même parole, une veuve revenait uniquement sur les moments douloureux de sa vie comme autant de « montagnes », disait-elle, difficiles voire impossibles à franchir. Comment ne pas rappeler alors que c’est sur la montagne, qu’il gravit avec ses amis, que Jésus prononce ces paroles si paradoxales, des Béatitudes ? Gravissant difficilement nos propres montagnes, ne pouvons-nous pas, alors, découvrir le portrait de Jésus dans ce monde à l’envers qu’il propose ?
Parfois c’est plus complexe. Par exemple, avec une famille, assez démunie, très éloignée de l’Église et dont le premier souhait était que nous passions la chanson préférée de la défunte, « Riquita jolie fleur de Java » ! Or, ses enfants choisissent dans le même temps, sans hésiter, le discours de Jésus sur le Pain de vie, après la multiplication des pains (Jean 6). Qu’en dire dans cette célébration sans eucharistie, à une famille qui ne vient jamais à la messe ? Nous avons cependant compris qu’ils étaient surtout sensibles au fait de gagner son pain, de partager le pain. Cela nous a permis, en évoquant le pain partagé, d’entendre en parallèle une parole de Jérémie qui dit que « le Seigneur est bon pour qui se tourne vers lui », et de renvoyer au visage du Christ, qui donne sa vie en abondance, cela au regard de la vie d’une maman généreuse.
Et quand la Parole est trop dure ? invraisemblable ?
La parole fait jaillir la parole, et dans tous les sens, même lorsque la mort d’un enfant, par exemple, ou des circonstances particulièrement dramatiques sont au-delà de toutes les paroles d’apaisement que l’on pourrait chercher. La Parole de Dieu nous protège des mots vides ou des bondieuseries ! Elle n’est pas un baume lénifiant que l’on met sur une blessure sans se préoccuper de la laver, de la soigner, de la protéger. Il faut prendre en compte ces blessures pour la proposer. Et la Parole de Dieu elle-même peut être blessante. Elle est refusée parfois et il nous faut composer avec cela sans imposer, mais sans esquiver non plus le témoignage que donne la célébration de funérailles chrétiennes. Nous-même avons à nous laisser tarauder par elle, pour que cette Parole, qui apaise ou qui blesse, donne les mots vrais pour dire la vie à-venir. C’est-à-dire pour dire l’invraisemblable : nous croyons que le Christ, Dieu fait homme, est passé par le traumatisme de la mort sur la Croix, et qu’il est aujourd’hui vivant. Il est le seul à être passé par la mort et en être revenu. Il est donc le seul à pouvoir nous en parler : nous le croyons et c’est ce qui nous permet de nous appuyer sur sa Parole, reçue dans nos vies, pour annoncer sa résurrection et la nôtre.
Pour construire une célébration et formuler un commentaire de la Parole, qui aide une famille faire un bout de chemin avec le Christ au moment d’un deuil, il nous faut : - écouter les mots du quotidien, - écouter les mots de la Parole de Dieu, - écouter l’écho qu’ils se donnent les uns aux autres - et prier soi-même cette Parole.
Catherine Masson
Catherine Masson est bénévole dans l'équipe de funérailles de sa paroisse. Elle est aussi laïque dominicaine. Comme historienne, elle a publié de nombreux ouvrages dont : Le cardinal Liénart : évêque de Lille, 1928-1968 (Cerf, 2001), Les laïcs dans le souffle du Concile (Cerf, 2007), La Catho, un siècle d'histoire de l'Université catholique de Lille, 1877-1977 (Septentrions, 2010), Des laïcs chez les prêcheurs : de l'ordre de la pénitence aux fraternités laïques, une histoire du tiers-ordre dominicain (Cerf, 2016), Pauline Jaricot, 1799-1862 Biographie (Cerf, 2019).
Une question ? Un commentaire ?
Réagissez sur notre forum