4. S’engager en politique, par amour !
Vous connaissez Ponce Pilate ? Ce procureur romain qui a reçu Jésus au moment de son procès. Voyant que Jésus était condamné de façon injuste, Ponce Pilate a eu cette phrase célèbre : « je m’en lave les mains ». Il voulait dire par là : « je ne vais pas m’engager davantage pour cet homme ». Il ne se rendait sans doute pas compte que cet homme, c’était le Fils de Dieu que, par son manque d’engagement, il contribuait à condamner.
Et nous, quand on refuse de faire un pas, de s’engager pour d’autres, n’est-ce pas pour le Christ qu’on reste indifférent ?
Famille, Église, société, où s’engager ?
L’engagement politique ne consiste pas seulement à être candidat à la présidence de la République ! Nous pouvons nous engager dans la vie de notre quartier, dans la vie de notre entreprise, dans la vie de notre région ou de notre pays… J’entends déjà deux objections à ce que je dis.
Voix off : Perso, je m’engage dans ma famille, et c’est déjà pas mal !
Certes, notre premier devoir, c’est de s’occuper de nos proches. Mais l’amour chrétien ce sont des relations du quotidien qui peuvent s’épanouir toujours plus largement.
L’amour donne une substance authentique à la relation personnelle avec Dieu et avec le prochain. Il est le principe non seulement des micro-relations : rapports amicaux, familiaux, en petits groupes, mais également des macro-relations : rapports sociaux, économiques, politiques. (Benoît XVI, Caritas in Veritate, §2)
Le chrétien est appelé, là où il le peut, à élargir son souci de l’autre à une échelle toujours plus haute. Le pape Pie XI, au début du XXe siècle, disait que l’engagement politique est une forme élevée de charité car elle consiste à se mettre au service d’un grand nombre de personnes (discours du 18 décembre 1927).
Voix off : Oui, mais l’urgence aujourd’hui, c’est quand même l’Église : il n’y a qu’à voir combien il est difficile de trouver des bénévoles !
Le pape Jean-Paul II a beaucoup mis en garde les fidèles chrétiens qui ne voudraient s’engager que dans l’Église (Exhortation apostolique Christifideles Laici, sur la vocation des laïcs dans l’Église et dans le monde, 1988). Il indique que la vocation du fidèle chrétien est de s’engager dans le monde et de porter l’Évangile dans le monde du travail, de la politique etc... Le chrétien est appelé à s’engager au service des autres, au-delà de son cercle familial. Il est appelé à s’engager pour le monde, et pas seulement dans l’Eglise.
S’engager, c’est faire des compromis ?
Voix off : enfin quand on voit les politiques, voire les associations, c’est un monde cruel et par toujours très net.
Il est vrai que l’engagement n’est jamais facile. Mais une des qualités de celui qui s’engage est de savoir prendre des décisions difficiles dans des contextes incertains. C’est pour cela que la vertu traditionnellement associée à l’engagement politique est la prudence.
Par prudence, il ne faut pas entendre « frilosité » mais capacité à traduire en pratique une exigence de charité.
« Bien que dans les principes généraux, il y ait quelque nécessité, plus on aborde les choses particulières, plus on rencontre de défaillances […]. Dans le domaine de l’action, au contraire, la vérité ou la rectitude pratique n’est pas la même pour tous dans les applications particulières, mais uniquement dans les principes généraux […]. Plus on entre dans les détails, plus les exceptions se multiplient » (saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia IIae, Qu. 94, art. 4.).
Quelles causes choisir ?
Voix off : Comment faire pour s’engager ?
La doctrine sociale de l’Église n’est pas le programme d’un parti politique. L’Église ne donne pas de consignes de vote ou d’engagement pour un parti ou pour un autre. Mais elle donne des éléments de réflexion. Ceux-ci permettent de savoir, dans des situations compliquées, quels choix d’engagement poser dans le domaine politique.
Il s’agit en particulier de défendre la dignité de chaque personne humaine, de construire le bien commun, de vivre de manière solidaire avec chaque homme en particulier avec les plus faibles, et de laisser à chaque homme (y compris aux plus faibles) une certaine liberté d’action, une certaine créativité…
Voix off : Tous les catholiques devraient s’engager de la même manière alors ?
Aujourd’hui certains chrétiens réfléchissent sur la manière la plus adéquate de s’engager. Certains vont faire valoir qu'il est trop difficile de changer les structures de nos sociétés et qu’il vaut mieux créer des petites communautés exemplaires, faire en sorte que nos églises, nos paroisses soient des lieux qui soient des modèles pour le reste de la société. D’autres proposent, au contraire, de faire des petits pas et de s’engager dans des partis politiques, dans des syndicats, dans des associations qui ne sont pas nécessairement chrétiens mais qui, en faisant des propositions concrètes et parfois modestes, pourront changer un petit peu le monde et le rendre plus humain donc plus chrétien.
La doctrine sociale de l’Église est-elle de droite ou de gauche ?
On l’a déjà dit, la doctrine sociale de l’Église n’est pas le programme d’un parti politique. Certains de ses principes pourraient être utilisés, s’ils sont pris isolément, par tel ou tel courant politique. Prise toute seule, la dignité de l’homme pourrait, par exemple, virer à de l’individualisme. La subsidiarité pourrait aboutir à une forme de libéralisme qui défend l’autonomie de l’entreprise, une limitation du rôle de l’État… Autant de valeurs qui sont plutôt classées à droite.
Mais prise isolément, la recherche du bien commun peut facilement conduire à une forme de communisme. Et prise toute seule la solidarité pourrait être perçue comme une valeur marquée à gauche.
Autrement dit à gauche comme à droite on pourrait trouver des valeurs qui permettent de se réclamer de la doctrine sociale de l'Église. Mais la doctrine sociale de l'Église n’est pas un supermarché où l’on fait son choix parmi un ensemble de notions. Ces quatre notions (solidarité, subsidiarité, bien commun et dignité de la personne) sont liées les unes aux autres. Au fond, la doctrine sociale de l'Église, c’est comme une espèce de catamaran qui fonctionnerait sur quatre bouées. Parfois, en fonction des situations, il faut plutôt s’appuyer sur l’une ou sur l’autre. Mais pour avancer, il ne faut en perdre aucune !
Tout chrétien est appelé à être un saint. Et un saint n’est pas seulement quelqu’un qui évite de faire le mal. C’est quelqu’un qui fait le bien et pour cela accepte de prendre des risques. Acceptons de prendre des risques ! Car il y a aujourd’hui encore dans nos quartiers, dans nos communautés, dans nos villes, dans nos pays, à travers le monde des personnes qui attendent notre engagement et vis-à-vis desquelles nous ne pouvons pas nous comporter comme de petits Ponce Pilate !
Pour aller plus loin :
https://www.theodom.org/serie/ecologie-chretienne/
https://www.doctrine-sociale-catholique.fr/
https://clameurs-lawebserie.fr/
https://jeuneetengage.org/
https://zachee.com/
Frère Jacques-Benoît Rauscher
Frère Jacques-Benoît Rauscher enseigne la théologie morale et l'éthique sociale à l'Université de Fribourg en Suisse. Avant d'entrer dans l'Ordre dominicain, il était professeur de Sciences Économiques et Sociales et participait à une équipe de recherche en sociologique (Sciences Po/ CNRS). Il a récemment publié quelques ouvrages : L’Église catholique est-elle anticapitaliste ? (Presses de Sciences Po, 2019) - Des enseignants d'élite ? Sociologie des professeurs de classes préparatoires (Cerf, 2019) - Découvrez la doctrine sociale de l’Église avant d'aller voter (Cerf, 2022).
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