6. Pardonne-nous…
« Pardonne-nous nos offenses. Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé. » Pardonner dans la Bible, c’est laisser aller. Ne plus s’encombrer, et c’est ce qu’on demande à Dieu, que nous soyons libres de tout ce qui nous entrave, pour accueillir sa vie et la donner.
Pardonner, c’est laisser aller
Dans le texte grec, on dit exactement : « laisse aller pour nous, nos dettes comme nous aussi, nous laissons aller pour nos débiteurs. » Il s’agit de laisser aller, c’est un concept très important dans la Bible que j’aime bien, parce que avec le pardon, on a des tas d’idées toutes faites en tête, qui sont peut-être pas mauvaises, ou pas toutes ; mais c’est bien de renouer avec ce que le texte dit vraiment. Le pardon, c’est un délestage, on laisse aller, on ne fait plus de comptes à l’infini, et c’est très important.
Dans l’Évangile de Luc, on dit dans le « Notre Père », laisse aller nos péchés, comme nous même, nous laissons aller, pour nos débiteurs. J’aime bien cette idée de débiteur, qui donne une sorte d’objectivité aux choses. Les péchés, c’est quelque fois de difficile à discerner, mais les dettes et les débiteurs, c’est d’une certaine manière plus simple. Cela ne veut pas du tout dire que je renonce à la notion de péché ou au mot de péché. Bien entendu ! Quand on réfléchit sur le péché, à partir des notions de dettes et de débiteur, cela donne une certaine objectivité.
La pécheresse et le débiteur
Avant le « Notre Père », dans l’Évangile de Luc au chapitre 7, il y a une scène célèbre, qu’on appelle souvent dans nos Bibles, nos Évangile, « la pécheresse pardonnée », en fait, ce n’est pas tellement la pécheresse qui est problématique dans ce texte.
Vous vous en souvenez peut-être, Jésus est invité par des pharisiens, des notables et des gens pieux, et puis tout à coup, une femme arrive, embrasse ses pieds, verse ses larmes, verse du parfum sur ses pieds, et le personnage qui reçoit Jésus n’est pas très content. Il pense en lui-même – et c’est toujours un peu inquiétant dans l’Évangile de Luc, quand on dit que quelqu’un « se disait en lui-même ». En effet, c’est mieux de dire aux autres et de ne pas seulement ressasser des choses dans son esprit. – Donc, celui qui reçoit Jésus, se dit en lui-même. « Mais si vraiment Jésus était le prophète, Il saurait qui est cette femme, une pécheresse ». Voilà, son compte est réglé, c’est une pécheresse ! « Et puis Jésus, finalement, n’est pas si fort qu’on croyait ! »
Et Jésus parle à cet homme, en disant une petite parabole : Un débiteur devait 50 pièces d’argent à un grand personnage, et l’autre devait 500 pièces d’argent à ce même personnage et, ce grand personnage leur abolit leur dette à tous les deux. Et Jésus demande qui va aimer ce maitre qui avait prêté de l’argent aux deux ? Jésus répond que c’est celui qui a reçu la plus grosse somme, celui qui devait rendre les 500 pièces, qui va aimer le plus. En effet, 50 pièces dont on vous fait cadeau c’est bien, mais 500 c’est encore mieux. Et voilà, l’homme avec qui Jésus parle est dans une sorte de monde du tarif, et Jésus lui propose donc cette petite énigme tarifaire. Plus tu as reçu, plus tu seras content de ne pas devoir rendre.
Après avoir raconté cette parabole, Jésus dit : « Tu vois cette femme, elle a sans doute péché, mais elle sait ce que c’est que aimer, elle est venue, vers moi, elle m’a embrassé, elle a pleuré sur mes pieds, elle m’a oint mes pieds avec son parfum précieux, elle sait ce que c’est que aimer. »
Et Jésus montre une chose, il y a le monde de la dette : « est-ce que je suis en dette éternellement devant Dieu ? Est-ce que j’attends qu’il me remette mes dettes ? » Ou bien il y a le registre de ce que c’est qu’aimer, qui est tout à fait autre chose. C’est fondé sur la rencontre avec une personne, la joie de rencontrer une personne, et dans l’Évangile de Luc, cela revient continuellement.
Zachée et la primauté de la rencontre
Souvenez-vous de Zachée, qui remet, qui rembourse tout ce qu’il a pris de trop, tellement il est heureux de trouver Jésus, de le recevoir chez lui enfin. Donc cette idée des dettes à remettre, c’est une sorte de première étape qui nous guide vers une demande beaucoup plus profonde, beaucoup plus importante, qui est la joie de recevoir le Christ, de recevoir la vie qu’il donne, et cette vie donnée, elle remet en cause cette espèce d’omniprésence de la dette, du péché qui n’ont pas le dernier mot.
La prophétie d’Isaïe
Vous savez dans ce même Évangile de Luc au chapitre 4, quand Jésus parle pour la 1ere fois aux gens de son patelin, Nazareth, il leur dit, et il cite le prophète Isaïe : « Ma mission est de laisser aller ceux qui étaient en prison, laisser aller ceux qui étaient enfermés. Je suis venu annoncer, une sorte de libération, une manière de laisser aller ceux qui étaient prisonniers de quoi que ce soit parce que j’arrive, parce que j’instaure un règne où on va être libre, libéré. » Les gens de Nazareth, ne sont pas si contents que cela.
L’année jubilaire
Et ce mot « laisser aller » que Jésus prend et reprend sans cesse, et qu’on retrouve dans le Notre Père, c’est aussi un mot clé dans le Lévitique, chapitre 25 ; toutes les 7 fois 7 ans il faut faire une année jubilaire, on arrête tout, on retourne dans son patelin, et on écoute Dieu, et on regarde et on médite sa parole, et ça s’appelle l’année jubilaire, l’année du laisser-aller. Cela ne veut pas dire qu’on ne tient plus compte de quoi que ce soit, ça veut dire on laisse aller tout ce qui nous encombre, tout ce qui nous bouche la vue, pour écouter enfin Dieu.
Donc, dans le « Notre Père », laisser aller les dettes, c’est une manière de dire : « On n’est pas du tout dans un système, où j’ai reçu, je dois rendre et les autres aussi doivent me rendre. On passe à une sorte d’autre registre de vie, où on va être avec Dieu, qui est le seul bien, le seul trésor précieux et définitif à obtenir, si j’ose dire, pour vivre dans la liberté ».
Pour nous, les offenses, on les laisse aller, on les fait dégager en quelque sorte. Cette expression est importants parce que, c’est un des derniers mots de Jésus sur cette Terre. Quand il est crucifié, il parle à son père, notre père, et il lui dit : « Pardonne-leur, laisse aller leur offense, qu’ils sont en train de me faire et délivre les en quelque sorte, d’avoir à porter cette offense ! ». Donc, le laisser aller dont parle Jésus c’est vraiment la porte ouverte pour notre liberté d’enfant de Dieu.
frère Philippe Lefebvre
Le frère dominicain Philippe Lefebvre enseigne l'Ancien Testament à la faculté de théologie catholique de l'Université de Fribourg, en Suisse. Il a été nommé à la Commission Biblique Pontificale par le pape François en 2021. Ce spécialiste des Livres de Samuel a les deux pieds sur terre, en témoigne son engagement auprès des personnes abusées en milieu ecclésial. Il a publié (entre autres) : Livres de Samuel et récits de résurrection (Cerf, 2004), La Vierge au Livre (Cerf, 2004), Joseph, l'éloquence d'un taciturne (Salvator, 2012), Ce que dit la Bible sur le vin (Nouvelle Cité, 2013), Brèves rencontres (Cerf, 2015), Propos intempestifs de la Bible sur la famille (Cerf, 2016), Ce que prier veut dire (Éditions du Carmel, 2019), Comment tuer Jésus, abus, violences et emprises dans la Bible (Cerf, 2021).
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