5. Donne-nous aujourd’hui notre pain…
Donne-nous aujourd’hui, le Pain de ce jour ;
Le Pain, c’est très important, c’est une réalité qui traverse toute la bible depuis le commencement jusqu’à la fin. Et Jésus nous guide d’ailleurs vers un Pain étonnant, c’est son propre corps qu’il partage sous l’espèce du Pain et aussi du vin.
Alors on pourrait dire, après avoir parlé de la volonté de Dieu sur la terre comme au ciel, on revient au Pain au quotidien, oui, c’est vrai mais justement, dans le don du Pain, il se passe des choses et c’est d’ailleurs le principe de la Bible : Plus les choses sont modestes et quotidiennes, plus elles vont révéler assez simplement la présence de Dieu. Donc demander du pain à Dieu, ça n’est pas plus ou moins fort, que demander d´accomplir sa volonté sur la terre comme au ciel.
De la maison du pain à la multiplication des pains
« Donne-nous aujourd’hui le Pain de ce jour. » Le Pain, c’est vraiment une réalité très importante dans la Bible et dans les Évangiles.
Au début de l’Évangile de Luc chapitre 2, vous savez que jésus nait à Bethléem, que l’on peut traduire par « la maison du pain ». Et-vous savez que, dès qu’il nait, sa mère pose Jésus dans une mangeoire. Pourquoi dans une mangeoire, eh bien parce que ce petit garçon né à Bethléem (la maison du Pain), va être mangé un jour. C´est en quelque sorte le premier geste Eucharistique dans l´Evangile de Luc, fait par Marie dans ce cas-là.
Je ne sais pas si vous l´avez remarqué, mais il y a beaucoup de scènes de repas, dans la Bible, et à tout moment, on s’interroge sur le pain : « Est-ce qu’il y en assez ? », demandent les Apôtres, parce qu’ils n’ont pas toujours fait les courses ! (Matthieu 15, 33). Comment trouver du pain ? Comment multiplier les pains ? C´est ce que Jésus fait par deux fois.
Donc le Pain peut désigner bien sûr, toute nourriture, mais c’est bien d’entendre le mot Pain qui est vraiment une sorte de nourriture basique dans le monde ancien, que nous avons encore comme expression dans notre langue ; « travailler pour gagner son Pain ». Évidemment c’est gagner beaucoup d’autre chose que son Pain, mais le Pain, la nourriture, la subsistance, la vie, c’est ce que le Pain incarne en quelque sorte. C´est donc très important et pas si étonnant de le trouver dans le Notre Père. On demande à Dieu de nous donner chaque jour le Pain pour pouvoir survivre.
La manne
Alors, c’est important, je l’ai dit, de remarquer que le Pain est très présent dans nos Évangiles dès le début, mais il a aussi toute une histoire dans l’Ancien Testament. Et je voudrais, en particulier, mettre en lumière un passage très célèbre, qui est en lien avec la demande du Pain du Notre Père, c’est au livre de l’Exode, au chapitre 16.
Le peuple est sorti d’Égypte où il était asservi. Il y a le passage de la Mer Rouge (Exode 14), et puis il arrive dans le désert, et au chapitre 16 le peuple a « un coup de mou », comme on pourrait dire. Ils se disent « mais qu’est-ce qu’on fait dans ce désert ? Peut-être qu’on aurait dû rester en Égypte… finalement… et qu’est-ce qu’on va manger ? ».
Évidemment la question se pose dans le désert. Alors Dieu dit, et il le dit d’abord à Moïse : « je vais donner à mon peuple du Pain venu du ciel tous les jours, six jours par semaine, sauf un : le jour du Shabbat où l´on ne travaille pas et donc on aura double ration la veille. » Et ce pain, ce que Dieu appelle du Pain, c’est ce qu’on appelle la Manne. Cette substance étonnante, qui la nuit descend du ciel comme la rosée, et le peuple la ramasse au matin.
Il y aura beaucoup de textes bibliques qui vont parler de cette Manne, et dans le livre de la Sagesse, on va dire « elle avait le goût que chacun voulait ! ».
À l’inverse, « tu donnais à ton peuple une nourriture d’ange ; tu envoyais du ciel un pain tout préparé, obtenu sans effort, un pain aux multiples saveurs qui comblait tous les goûts, substance qui révélait ta douceur envers tes enfants, qui servait le désir de chacun et s’accordait à ses vœux. » (Sagesse 16, 20-21)
Toute la demande du notre Père sur le pain quotidien vient surtout de ce texte Exode 16.
Et puis, le nom de ce pain : la manne. On nous dit dans le chapitre 16, que le peuple voit pour la première fois cette manne qui est comme déposée sur le sol, et ils disent en hébreux : « Man ou, qu’est-ce que ça veut dire ! ». D´où le nom de manne. Ou « qu’est-ce que c’est ! ». Et c’est très intéressant, ça veut dire le pain que Dieu donne c’est du : « qu’est-ce que c’est » C´est une question ! Interrogez-vous toujours quand Dieu donne quelque chose. C´est pas seulement du donnant – donnant. On avait besoin d´une chose, Dieu la donne, c’est bon. C´est pas du commerce où on saurait ce qu´on attend, ce qu’on est en droit d’attendre. C´est toujours mystérieux ce que Dieu donne.
David et Goliath
Dans l´ancien testament, quand le Messie apparait et notamment David, la première chose qu’il fait c’est apporter du pain à son peuple. David, on le voit : 1 Samuel 17, il apporte du Pain à ses frères qui sont alarmés et puis, ensuite, il cherche du Pain pour ses hommes. Et vous savez, une des toutes premières paroles qu’on dit à David, c’est Goliath, le grand champion Philistin, qui dit à David « approche-toi de moi et je vais donner ta chair à manger aux oiseaux du ciel et aux bêtes des champs ». Le Messie apporte du Pain et sa chair est mangeable. Ce sont deux réalités promises dans les Évangiles, un bel avenir.
Je suis le pain vivant
Quand Jésus, dans l’Évangile de Jean, parle de son corps comme du Pain, qu’il faut manger, les gens lui posent des questions… « Qu’est-ce que tu dis, qu’est-ce que c’est que ça ! ». Voyez, le Pain qui vient de Dieu ou qui s’incarne dans le Christ, ça pose vraiment question.
On sent que c’est beaucoup plus qu’ « un aliment qu’on reçoit ». C´est pas un Dieu qui fait une aide alimentaire en quelque sorte. Ça va beaucoup plus loin, quand Il donne du Pain, c’est lui-même qu’Il donne, et tous les Evangiles vont nous amener vers ça.
Quotidien ou super essentiel ?
Vous savez, dans l’Évangile de Mathieu, il y a un mot étonnant. Quand on demande le Pain de chaque jour, il y a un « fameux » adjectif, c’est « épiousios » en grec, qu’on n’arrive pas à traduire. Et Saint Jérôme, donc au quatrième, cinquième siècle, des premiers traducteurs de la bible en latin, Saint Jérôme donc a traduit cet adjectif, et, de manière assez intelligente par « un Pain super essentiel ». La racine grecque se prête à cette interprétation. On traduit souvent par « le Pain quotidien, le Pain de chaque jour ». Saint Jérôme le dit, mais il y a dans cet adjectif étrange quelque chose de plus. C´est du Pain, mais du Pain qui dépasse (épiousios) ce que l´on a l´habitude de voir quand on dit le mot « pain », alors on peut dire peut-être, il exagère. Je pense qu’il a flairé quelque chose, notre traducteur Jérôme. Il a vu que ce Pain que l’on demande, c’est beaucoup plus que la ration quotidienne.
Jésus se donne dans le Pain
Au début de nos Évangiles, il y a une scène célèbre : c’est Jésus qui est au désert et le Satan s’approche de lui. La première chose que dit Satan c’est « si tu es vraiment le fils de Dieu, transforme ces pierres en pain ! ». Pour lui le pain, c’est un tour de passe-passe. Et Jésus va nous apprendre que le pain, c’est un don, un don qui vient du Père pour notre vie et un don si puissant que c’est lui-même, Jésus qui est le don de ce pain, le pain vivant.
Et l’Évangile, chaque Évangile va nous conduire vers cela. C´est à dire que Jésus, ce n’est pas seulement celui qui donne le Pain, en le multipliant, par exemple, pour tous ceux qui le suivent. C´est celui qui se donne en donnant. Dans tout ce que Jésus donne, c’est lui-même qu’Il donne et quand Il donne le Pain, c’est lui-même qui se donne dans ce Pain.
Et tout le geste Eucharistique va donner forme à ce don total de lui-même. Donc quand dans le Notre Père, nous demandons le pain de chaque jour, nous demandons en fait la présence du Christ, du Christ en nous, comme un aliment qui nous donne vie et une vie éternelle.
frère Philippe Lefebvre
Le frère dominicain Philippe Lefebvre enseigne l'Ancien Testament à la faculté de théologie catholique de l'Université de Fribourg, en Suisse. Il a été nommé à la Commission Biblique Pontificale par le pape François en 2021. Ce spécialiste des Livres de Samuel a les deux pieds sur terre, en témoigne son engagement auprès des personnes abusées en milieu ecclésial. Il a publié (entre autres) : Livres de Samuel et récits de résurrection (Cerf, 2004), La Vierge au Livre (Cerf, 2004), Joseph, l'éloquence d'un taciturne (Salvator, 2012), Ce que dit la Bible sur le vin (Nouvelle Cité, 2013), Brèves rencontres (Cerf, 2015), Propos intempestifs de la Bible sur la famille (Cerf, 2016), Ce que prier veut dire (Éditions du Carmel, 2019), Comment tuer Jésus, abus, violences et emprises dans la Bible (Cerf, 2021).
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