7. À quand l’unité des chrétiens ?
Aux origines du Christianisme il y a eu des divisions et les séparations. Aujourd'hui nous sommes les héritiers de trois principales divisions qui nous séparent, mais nous cherchons, grâce au mouvement œcuménique, grâce à l'engagement de l'Église catholique en particulier, à surmonter ces divisions de différentes façons.
L’origine des divisions
La première division, c'est celle qui a eu lieu autour des questions christologiques, lors des conciles d'Éphèse et de Chalcédoine. Ces conciles ont suscité des controverses qui ont amené à la première séparation dans le monde chrétien entre les églises qu'on appelle chalcédoniennes, celle qui reconnaissent le Concile de Chalcédoine et les églises qui ont refusé ce Concile de Chalcédoine, qu'on appelait avant « monophysites » - à tort - , qu'on appelle maintenant les églises « orthodoxes orientales ». Ces églises, ce sont les églises de tradition copte, syriaque, arménienne. Elles n’étaient ni de tradition byzantine ni de tradition latine. Elles ne se sont pas reconnues dans le langage qui était utilisé par le Concile de Chalcédoine, le quatrième concile œcuménique pour définir le grand mystère de la foi en Christ.
Ensuite, la deuxième grande division, c'est celle qui a lieu entre les grecs et les latins, deux églises chalcédoniennes, mais qui se sont divisées essentiellement sur des questions ecclésiologiques au XIème siècle. La date symbolique est celle de 1054 lorsque le représentant du pape a excommunié le patriarche de Constantinople et réciproquement. Cette division, dont nous subissons encore les conséquences, a marqué la séparation entre l’univers grec et l'univers latin, entre l'église que nous appelons aujourd'hui l'église orthodoxe ou les églises orthodoxes et l'église latine.
Enfin la troisième grande division a eu lieu à l'époque de la Réforme ou des Réformes plus précisément, autour du XVème-XVIème siècle. Elle a marqué aussi une séparation profonde dans le monde chrétien occidental entre l'Église catholique et les églises issues de la Réforme, qu'elles soient de traditions luthériennes ou réformées.
Toutes ses grandes divisions doivent être abordées de façons différentes. On ne peut pas parler de tout avec tout le monde, parce qu’ avec les chrétiens qui se sont séparés au IVe siècle, la différence était d'ordre christologique. Avec les orthodoxes c’était surtout la conception de l'Église et aussi les questions liées à l'Esprit Saint. Avec les chrétiens occidentaux c’était aussi des questions ecclésiologiques, mais aussi des questions d'ordre moral comme celle de la justification. Donc il faut aborder toutes ces questions dans le cadre de dialogues bilatéraux.
Les trois types de dialogues œcuméniques
Nous avons trois grands types de dialogues finalement avec ces églises :
Il y a d'abord le dialogue qu'on appelle le dialogue de la Charité, c'est-à-dire la rencontre fraternelle qui permet de rétablir la confiance, parce que s'il n'y a pas de confiance entre nous, on ne peut pas parler de théologie. Cela paraît maintenant évident, mais à l'époque du Concile Vatican II, ça ne l'était pas. Simplement le fait de se retrouver, de se rencontrer, de se parler comme des frères en Christ, c'est cela qu'on appelle le dialogue de la Charité. Et l'Église Catholique, en particulier le Conseil pontifical pour l'Unité des Chrétiens (Dicastère), travaille beaucoup à construire ce que le pape François appelle « la culture de la rencontre » entre les chrétiens de différentes traditions.
Il y a ce qu'on appelle le « dialogue de la vérité », qui est le dialogue théologique et pour cela l'Église Catholique a lancé un grand nombre de dialogues. Il y a une vingtaine de dialogues théologiques maintenant, qui existent avec les principales traditions chrétiennes d'Orient et d'Occident, pour essayer de résoudre les questions théologiques, qu'elles soient d'ordre christologique, pneumatologique [liée à l’Esprit Saint], ecclésiologique, morale et autres.
Ensuite, il y a ce qu'on appelle le « dialogue de la vie », le dialogue de la vie ce sont différents types d’œcuménismes, qui nous permettent de se retrouver à différents niveaux de la vie concrète des chrétiens.
Le premier type de dialogue de la vie c'est l'œcuménisme pastoral dans toutes les questions de mariages mixtes par exemple qui sont très importantes parce que l'unité des chrétiens, elle commence dans les familles. Et donc, les mariages mixtes sont des laboratoires de l'unité des chrétiens.
Il y a aussi l’œcuménisme qu'on appelle pratique : Comment est-ce que les chrétiens peuvent témoigner ensemble sur des grandes questions de société, comme la question de l'écologie, la question de la pauvreté, la question des migrants, d'autres questions de justice et de paix, qui sont aussi des lieux où les chrétiens peuvent témoigner ensemble.
Et puis il y a aussi ce qu'on appelle l’œcuménisme culturel, lorsqu’il s’agit d’essayer, au-delà de nos différences culturelles, de retrouver notre foi commune. C'est aussi un domaine important, parce que, finalement, les chrétiens ont été séparés pour des questions souvent culturelles : la langue entre les grecs et les latins qui ne se comprenaient plus, les mentalités différentes, des approches différentes. Tout cela aussi a contribué beaucoup à la division et donc l’œcuménisme culturel consiste à promouvoir des projets communs au niveau culturel, que ce soit dans le domaine scientifique, académique, artistique et autre.
Ce sont les trois grands types de dialogues : dialogue de la Charité, dialogue de la vérité, dialogue de la vie, avec ces différents types d’œcuménisme.
Mais le plus important finalement, c'est ce qu'on appelle l’œcuménisme spirituel, c'est à dire la prière pour l'unité. Le père Paul Couturier avait l'habitude de dire que, finalement, les chrétiens forment une sorte de monastère spirituel, c'est-à-dire que les chrétiens des différentes traditions du monde entier prient pour l'unité. Ils sont unis comme des moines d'un monastère qui unissent leur prière pour l'unité des chrétiens. Et sans cette prière pour l'unité, tout le travail que nous faisons, tous ces différents dialogues seraient vains.
Les obstacles à l’unité
Certains entrevoient une unité comme une simple réconciliation des divergences, mais sans aller finalement au fond des problèmes qui nous séparent.
Les catholiques et les orthodoxes ont une vision de l'unité dans la foi, les sacrements et les ministères. Et cette unité, elle se réalisera – et c'est ça le but du mouvement œcuménique – dans la communion au même corps et sang du Christ, autour du même autel. Les catholiques d'ailleurs, les orthodoxes aussi, estiment qu'il y a un lien étroit entre communion ecclésiale et communion eucharistique. C'est à dire qu'on ne peut pas être en communion eucharistique si on n'est pas en pleine communion ecclésiale et la pleine communion ecclésiale, elle se manifestera précisément dans la communion eucharistique. Et donc la communion eucharistique n'est pas un moyen pour arriver à l'unité. Elle est le but, elle sera au terme du chemin. Même s'il peut y avoir des exceptions et que parfois il peut être recommandé même, comme le dit le Concile Vatican II, de pouvoir recevoir les sacrements chez les uns et chez les autres. Mais tout de même cela doit rester comme un but et non pas comme un moyen de l'unité.
Il faut aussi avoir à l'esprit que les questions du dialogue œcuménique ont évolué au fil des années. Il y a 60 ans, à l'époque du Concile Vatican II, on utilisait souvent l'adage « la foi divise et l'action unit », parce qu'on avait en tête les grandes divisions en particulier sur la question de la justification avec les luthériens, tandis que l'on mettait en avant l'action qui nous permettait de nous rapprocher les uns des autres, d'agir ensemble, et finalement qui était un moyen de retrouver une certaine communion. Aujourd'hui on dirait presque l’inverse, que la foi unit, mais que l'action divise. Pourquoi ? Parce que grâce au dialogue théologique, nous avons, depuis le Concile Vatican II, pu nous mettre d'accord sur un grand nombre de questions. Et un des accords les plus significatifs a été, de ce point de vue, l'accord sur la doctrine de la justification entre l'Église Catholique et la Fédération Luthérienne Mondiale, qui a été signé en 1999. Mais on se rend compte qu'on n'est pas d'accord sur un grand nombre de questions éthiques et donc des questions pratiques, en particulier sur les questions d'éthique familiale ou sexuelle et donc nous sommes divisés sur des questions qui concernent l'action, même si nous avons maintenant beaucoup d'accords sur les questions théologiques - les questions de foi. Donc c'est une question aussi importante aujourd'hui qui doit nous occuper dans le dialogue œcuménique avec les communautés issues de la Réforme.
L’œcuménisme comme échange des dons
Pendant longtemps on a pensé, en particulier juste après Vatican II, que l’œcuménisme consistait dans des consensus. Donc il faudrait dialoguer pour trouver des consensus sur les questions de la foi qui reste controversée. Aujourd'hui, on se rend compte que cet œcuménisme des consensus est difficile parce qu'on a souvent des langages différents, des approches différentes. Le but de l’œcuménisme, ce n'est pas de trouver un plus petit commun dénominateur de la Foi, qui serait réducteur et qui ne serait souvent pas acceptable par les grandes traditions chrétiennes qui sont soucieuses de garder justement la richesse de leur identité.
Et aujourd'hui on parle beaucoup de l’œcuménisme comme « échange des dons » c'est-à-dire que ce que l'Esprit Saint a semé dans les autres traditions est aussi un don pour nous. Aujourd'hui nous avons cette vision de l'unité, non pas comme la recherche d'un plus petit commun dénominateur, mais comme un échange des dons.
C'est une expression qui a été utilisée par Jean-Paul II. La première fois, c'était au cours d'une homélie dans laquelle il commentait l'adoration des mages. C'est d'ailleurs une très belle image parce que les mages cheminaient ensemble. Donc c'est l'image du mouvement œcuménique commun, d'un chemin commun. Ils ont adoré le Christ ensemble ; cela montre aussi que l’œcuménisme se fonde avant tout sur l’œcuménisme spirituel. Et puis ils ont ouvert leurs trésors, ils ont pu voir les dons qu'ils avaient les uns les autres, qu'ils voulaient offrir au Christ. Mais aussi, c'était une découverte mutuelle pour eux.
Un des leitmotivs du pape François en ce qui concerne l’œcuménisme c'est que les chrétiens doivent marcher ensemble, prier ensemble et travailler ensemble. Et ce triptyque est très significatif de son approche de l’œcuménisme et de l'unité. Cette unité, elle sera donnée non pas au bout du chemin, mais chemin faisant.
Une conversion intérieure
Un aspect fondamental de l’œcuménisme tel qu'il a été promu par Vatican II, c'est que l'unité des chrétiens ce n'est pas d'abord une question de relations extérieures avec les autres chrétiens. C'est une question intérieure. C'est une question interne. Et le décret Unitatis Redintegratio du Concile Vatican II sur l’œcuménisme ne demande rien aux autres chrétiens mais il demande tout aux catholiques. Qu'est ce qu'il demande aux catholiques ? C'est de réformer tout ce qui au sein même de l'Église Catholique fait obstacle à l'unité des chrétiens, et aussi de convertir leur cœur. Cela est très important parce que ça veut dire que l’œcuménisme commence à la maison. C'est un travail que nous devons faire chez nous d'abord avant même d'entrer en dialogue avec les autres.
frère Hyacinthe Destivelle
En 2022, frère Hyacinthe Destivelle est official du Conseil Pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens. Il a été membre de la Commission mixte internationale de dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe. En 2022, il est directeur de l’Institut d’études œcuméniques de l’Université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin (Angelicum), à Rome. Il a publié, entre autre : Les chrétiens de l'Est après le communisme, Cerf, 2020 ; Conduis-la vers l'unité parfaite, Oecuménisme et spiritualité, Cerf, 2016 ; Les Sciences théologiques en Russie, Cerf, 2010 ; Le Concile de Moscou 1917-1918, Coll. Cogitatio Fidei, Cerf, 2006.
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