3. Notre Père (3/3) Les deux pieds sur terre
Mine de rien, la première partie du « Notre Père », après avoir fixé nos regards sur le Père, nous fait baisser les yeux : ce que nous désirons, parfaitement réalisé au ciel, avec l'aide de Dieu nous pouvons œuvrer pour que cela arrive aussi sur terre. Et les 4 demandes qui suivent, c'est précisément les grâces, les aides, que Dieu nous fait pour cela.
De quoi l’homme a-t-il besoin pour travailler à l’avènement du règne de Dieu sur la terre ? Le pain, le pardon, la liberté. Notre pain quotidien Demande de la nourriture nécessaire pour travailler à l'œuvre du Père. Nourriture matérielle – ce qu'il faut pour vivre sa journée – nourriture spirituelle, le pain c'est aussi le pain de l'eucharistie.
Ici, celui qui prie le « Notre Père » fait un acte de foi : puisqu’il demande le pain pour la journée, il reconnaît que Dieu lui fournit ce dont il a besoin pour ne pas défaillir sur la route, que Dieu est provident et bienveillant. Et en même temps, le Notre Père forme notre désir : il nous apprend à ne pas demander plus que ce dont nous avons besoin : le pain pour aujourd’hui.
Voix off : ah oui, comme lorsque Jésus dit dans l’Évangile que demain se souciera bien assez tôt de lui-même (Matthieu 6, 34).
Mais c’est plutôt sur la suite que moi, souvent, je coince : pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi. Cela veut dire que Dieu met des conditions à son pardon ? Le pardon des offenses Ça peut coincer, en effet. C’est la seule demande du Notre Père où l’homme a explicitement quelque chose à faire … et ce n’est pas la chose la plus facile !! “Comme”, c’est une comparaison, ça sonne aussi comme une condition, et on pourrait trembler. Si je ne pardonne pas à celui qui m’a fait du mal, Dieu ne me pardonnera pas ? Quand il y a une difficulté pour comprendre un passage de la Bible, le mieux c’est de l’éclairer par un autre passage : la Bible explique la Bible. Vous vous souvenez de la fin de la parabole du fils prodigue (Luc 15, 28-32) ?
voix off : ah oui, quand le fils aîné est furieux que son père ait accueilli son petit frère et qu’il refuse de rentrer dans la salle des fêtes ?
Exactement : tant que le frère aîné ne pardonne pas, il ne rentrera pas dans la salle des fêtes. Pas parce que le père lui interdit l’entrée, mais parce que lui-même s’interdit d’entrer. Le père, lui, a les bras et la porte grand-ouverts. Dans la demande du « Notre Père » concernant le pardon, il y a un peu la même chose qui se joue : Dieu nous offre son pardon, mais si nous ne vivons pas sur la terre le même pardon avec nos frères, alors c’est que nous n’avons pas vraiment reçu le pardon de Dieu. On demande le pardon du bout des lèvres, mais pas du fond du cœur.
voix off : comme ailleurs, Jésus dit : “la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous” (Luc 6, 38)
Exactement, c’est comme un cercle vertueux : plus je reçois le pardon de Dieu, plus je suis capable de pardonner à mon frère, et vice versa : plus je veux pardonner à mon frère, plus Dieu me rend capable de recevoir son pardon, pour le transmettre.
voix off : je comprends mieux, pardonner à son frère, c’est une grâce à demander. Pour que la colère ou la rancœur ne soient pas les plus forts. Ne nous laisse pas entrer en tentation.
En effet, et c’est là que la dernière demande du « Notre Père » a bien toute sa place : ne nous laisse pas entrer en tentation. Sur cette demande, il y a des pages et des livres entiers qui ont été écrits. Vous vous souvenez sans doute du changement de traduction : ne nous soumets pas à la tentation est devenu ne nous laisse pas entrer en tentation. Cette nouvelle traduction est théologiquement plus juste que la précédente. Elle rappelle en effet que Dieu est bien un Père bon et bienveillant : ce n'est pas lui qui tente l'homme, pour le punir quand il a péché, après : ce n'est pas lui qui fait pécher l'homme.
voix off : mais si Dieu n'est pas le tentateur, alors le tentateur est-il un autre dieu ?
C'est là que l'ancienne traduction – ne nous soumets pas à la tentation – disait bien un autre aspect de la foi : tout est soumis à Dieu, y compris le tentateur. Si l'homme est tenté, c'est que Dieu le permet, c'est que ça rentre dans ses plans. Et notez qu'on ne dit pas : élimine la tentation, mais on dit : ne nous laisse pas y entrer tout entier. On pourrait reformuler : Quand je suis tenté, sauve ma liberté, pour que je puisse aimer en vérité, que le mal ne soit pas victorieux en moi. Quand nous résistons aux tentations que Dieu permet, c'est sûr que le royaume de Dieu est à l'œuvre en nous et par nous.
On vous l'a faite un peu longue, cette série. À retenir : le « Notre Père » est la prière des prières, une école pour apprendre quelle est notre foi, quelle est notre espérance et quel est notre amour. Le Dieu auquel nous croyons : un Père bienveillant et provident. L'espérance qui est la nôtre : nous, enfants du Père, nous le verrons et le louerons au ciel. L'amour que nous sommes invités à vivre : avec l'aide de sa grâce, faire l'œuvre de Père sur la terre, comme elle se réalise déjà au ciel.
frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond
En 2021, frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond vit au couvent de La Tourette. Frère Grégoire est l’auteur du recueil de poésie Chambre avec vues (éditions Cheyne) et de Le Livre et le Désir, éditions du Cerf, 2020.
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