9. Dans l’évangile, deux histoires de Noël
Avez-vous remarqué que dans le récit de l'enfance, Matthieu et Luc font référence à l'Ancien Testament mais d’une manière différente ?
Citer ou ne pas citer
Matthieu cite toute une série de passages bibliques d'une manière explicite. Par exemple, il cite ce passage très célèbre d'Isaïe 7,14 : « La vierge concevra et enfanta un fils… ». Il cite aussi la prophétie de Jérémie sur Rachel qui se lamente de ses enfants perdus.
Luc ne cite jamais un passage d'une manière explicite, comme Matthieu. Sa manière de proposer les liens avec l'Ancien Testament est bien différente. Luc change son style juste après le prologue. Son magnifique prologue est extrêmement élégant, en grec hellénisé. Et puis après quelques lignes, il change de style, dans un style bien vétérotestamentaire. Il commence à parler d'une manière sémitisée, qui fait bien écho à l'Ancien Testament. Donc le lecteur a l'expérience vraiment d’une plongée dans le monde de l'Ancien Testament.
Pour Mathieu il faut toujours dire très explicitement qu’une réalité est l'accomplissement de l'Ancien Testament. En revanche, Luc présume toujours un lecteur assez intelligent qui reconnaît tout simplement que ce qui est décrit est bien l'accomplissement de l'Ancien Testament.
Luc et les femmes de la Bible
Luc fait référence à plusieurs personnages assez célèbres dans l'Ancien Testament, surtout les femmes stériles : Sarah, par exemple, la femme d'Abraham, ou bien encore la mère de Samson.
La plus célèbre de tous c'est Anna (Anne) qui donne naissance à Samuel, lui qui est consacré au Seigneur comme Jésus. Anne chante aussi ce cantique qui est très proche du Cantique de Marie, le Magnificat. Le dernier mot du cantique d'Anne c'est un mot lourd de sens, c'est le mot « Messie ». Pour les Juifs de l'époque leur compréhension, leur interprétation de ce cantique était qu’il s’agit d’une sorte de prophétie messianique bien sûr. Faire ce lien entre le Cantique d’Anne et le Cantique de Marie suggère que la naissance de Jésus est l'accomplissement de cette prophétie.
Misères et joies
Le caractère du récit de l'enfance de Matthieu est bien sanglant. Il y a des meurtres partout. Les enfants sont tués par Hérode, le tyran.
L'esprit dans le récit de Luc est bien joyeux et ça fait un lien aussi avec toutes les prophéties d'Isaïe, tous ces chants, ces poèmes de salut, de rédemption et de joie partout.
Le point de repère dans saint Matthieu c’est plutôt l'Exode, l'Exil. Israël en exil est loin de la présence de Dieu. C'est pourquoi Jésus doit être exilé en Égypte. C’est comme l'expérience d'Israël à l'époque.
Pour saint Luc c'est tout l'inverse. C'est Israël qui entre dans le Temple par exemple, qui est de retour dans ses propres terres. C'est pourquoi il y a dans saint Luc toute cette expérience de joie et de chanson. C'est vraiment l'inverse de l'expérience dans saint Matthieu.
Deux généalogies
Les deux généalogies sont bien différentes dans Matthieu et dans Luc. Il y a d’un côté une expérience de péché et de punition, et de l’autre une expérience de rédemption.
Dans la généalogie de saint Matthieu, il y a toutes ces femmes pécheresses, toutes les références à l'Exil. Dans le généalogie de saint Luc c'est tout l'inverse. C'est l'humanité du nouveau-né dont on fait une généalogie, et qui remonte à Adam. C'est une sorte de nouvelle création.
On ne retrace pas la lignée de Jésus à travers par exemple le roi Salomon qui était un bon roi mais aussi un pécheur qui a précipité la chute d'Israël et les divisions du royaume. Dans saint Luc, on retrace plutôt la lignée de Jésus à travers un autre fils de David moins connu, mais qui évite d'une certaine manière toute cette histoire de péché.
Le récit de l'enfance de Matthieu présente un sauveur qui est proche de toutes nos souffrances et nos péchés, qui assume tous nos péchés sur lui-même. Le récit de saint Luc est plutôt celui d’un sauveur qui nous a libérés de toutes ces expériences.
Deux présentations de Marie
C'est intéressant, la Vierge est bien présente dans les deux textes.
Toutes les femmes dans la généalogie de Matthieu nous préparent à reconnaître l'importance de la Vierge Marie. Pourtant, quand saint Mathieu évoque l’annonce de l’ange, c’est une annonce faite à saint Joseph et pas à la Vierge.
L'importance de la Vierge dans saint Luc est bien différente. Elle est le personnage majeur dans toute l'intrigue de saint Luc, ce qui n'est pas vraiment le cas en saint Matthieu.
Ce ne sont pas vraiment deux théologies de la Vierge différentes. C'est plutôt que pour saint Luc l'importance du personnage de la Vierge est plus présente, à plusieurs reprises à travers l'Évangile, jusqu'aux Actes des Apôtres. Elle est présente au cœur des disciples.
Ce n'est pas le cas de Matthieu. L'importance de la mère de Dieu, la mère de Jésus, la Mère du Seigneur - c'est la manière dont Luc parle de Marie - est plutôt d'être au sein de l'église même.
frère Anthony Giambrone
Frère Anthony Giambrone est un dominicain américain, professeur de Nouveau Testament à l’École Biblique et Archéologique de Jérusalem. Il s'intéresse à la manière dont les premiers chrétiens pensaient l'identité du Christ, dans le contexte juif et romain de leur époque. Il a beaucoup publié, surtout en anglais, par exemple : A Quest for the Historical Christ: Scientia Christi and the Modern Studia of Jesus (2022). Il enseigne aussi dans la prestigieuse Université Notre-Dame (Indiana) aux États-Unis.
Une question ? Un commentaire ?
Réagissez sur notre forum