5. L’Eucharistie change le monde !
Quand on va à la messe, il y a deux choses qui peuvent nous déranger. Il arrive qu’on distribue des tracts politiques à la fin de la messe, et ça, ça donne l’impression d’instrumentaliser la messe à des fins politiques. A l’inverse, parfois, la messe ne fait aucune référence à la vie des gens, comme si Dieu ne s’intéressait pas vraiment aux gens, ou comme si notre vie chrétienne s'arrêtait à la sortie de l'Église.
Alors la question se pose, est-ce que l’Eucharistie, c’est politique ?
Eucharistie et totalitarisme
Dans les années 1980, un jeune américain a écrit une thèse de théologie au sujet de la vie de l’Eglise pendant la dictature au Chili.
Dans son livre Eucharist and Torture, William Cavanaugh dit que certains États, afin d'exercer leur pouvoir sur les corps individuels, cherchent à atomiser les sociétés. Ils séparent les individus de l'ensemble pour détruire, à la fin, toutes formes d’associations humaines. C’est le cas en particulier des régimes tyranniques ou totalitaires. Ils suppriment tous les intermédiaires entre l’Etat et l’individu. Par la torture, ils détruisent les corps individuels pour mieux détruire le corps social, divide et impera comme le dit parfaitement l’expression latine.
Or William Cavanaugh remarque que, dans l’Eucharistie, le Christ fait tout le contraire. L'Eucharistie rassemble les peuples dans un lien de communion pour former l'unique Corps du Christ. Jésus nous rassemble et nous nourrit afin de nous envoyer unifier et nourrir le monde à notre tour. Dans ce sens-là, l'Eucharistie devient un acte politique qui s’oppose à toutes formes de politique qui piétine la dignité humaine.
L’Eucharistie comme repas, signe d’unité
Il faut nous rappeler que la messe est un repas. Nous ne partageons pas un repas avec n'importe qui, surtout pas avec nos ennemis. Cet aspect nous rappelle que ce rassemblement des baptisés autour de la table eucharistique est un signe universel d'unité.
Cela nous renvoie à notre espoir d'une vie commune et éternelle. Benoit XVI explique bien comment cette communion eucharistique est d’abord une antidote à l'individualisme ici-bas (Cf. Benoit XVI, “Spe Salvi” n. 13-15). Dans l’Eucharistie “se réalise [...] sacramentellement le rassemblement eschatologique du peuple de Dieu.” (Benoit XVI, “Sacramentum Unitatis”, n. 31)
Autrement dit, l’eucharistie devient un avant-goût de la communion parfaite avec Dieu dans la vie à venir. Ainsi, cet aspect festif nous rappelle que l'Église est le sacrement de la communion universelle.
L’Eucharistie édifie l’Eglise
Jean Paul II écrivait que “l’Eucharistie édifie l’Eglise”. Mais on peut s’interroger. Comment cette Église, à son tour, édifie le monde ? Comment pouvons-nous, après avoir célébré l'eucharistie, “eucharistifier” le monde ? Selon l’expression de Cavanaugh.
Nous avons dit que l'eucharistie est un sacrement d'unité. Dans sa manière de vivre, le chrétien devient un signe vivant lui-même de cette communion. C'est la raison pour laquelle toute forme de racisme, de suprématie ethnique est contraire à l'Eucharistie. C’est une idée que Henri de Lubac[1] qualifie même comme une attaque au fondement de la doctrine chrétienne et de la nature de l’Eglise elle-même.
L’Eucharistie comme envoie en mission
Pour Cavanaugh, l’Eucharistie, c’est non seulement l’inverse des dictatures, mais c’est aussi l’inverse de la société de consommation. Elle nous apprend à partager à la table eucharistique afin de devenir nous-même son corps. Lubac nous donne la formule: “L’Eucharistie fait l’Eglise”, mais l'Eglise aussi, à son tour, fait l'eucharistie[2].
« Voici un des traits distinctifs du banquet eucharistique : nous devenons le Corps du Christ en le consommant. A la différence de la nourriture ordinaire, le Corps n’est pas assimilé à nos corps, mais c’est l’inverse. (…) notre assimilation au Corps du Christ signifie qu’à notre tour nous devenions nourriture pour le monde, pour être rompus, distribués et consommés. »
Nous ne sommes pas appelés à vivre seulement l’Eucharistie pendant la messe. Ayons une vie eucharistique ! A nous, d’eucharistifier le monde, et de devenir nous-même eucharistie. C’est la raison pour laquelle, à la fin de chaque messe, nous sommes envoyés dans le monde pour partager ce que nous avons reçu.
Alors, non, l’Eucharistie n’est pas partisane, elle ne divise pas les hommes pour montrer son pouvoir. Mais oui, elle a un poids dans la société car elle fonde une communauté au service du bien commun qui va au-delà des affaires d’ici-bas.
Cavanaugh nous invite à “ré-imaginer le politique comme une réponse directe à l’activité de Dieu dans le monde”, Il ne s’agit pas de politiser l'eucharistie, mais d’eucharistifier le monde. L’Eucharistie est politique si elle inspire une action dans la cité qui s’inspire de l’action de Dieu.
[1] Henri de Lubac, Catholicisme: Les Aspects Sociaux du Dogme et Résistance Chrétienne à l'antisémitisme: Souvenirs 1940-1944.
[2] Laurent de Villeroché, L'Eglise fait l'eucharistie, l'eucharistie aussi fait l'Eglise , Les Editions du Cerf, 2021
frère Paul-Thomas Molina
En 2023, frère Paul-Thomas Molina est frère étudiant au couvent de Lyon. Il est engagé auprès des jeunes et de la communauté anglophone catholique de Lyon (et pour cause, il est philippin). Il est actuellement responsable de la Cave des Dominicains de Lyon tout les vendredis soir.
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