6. A chaque Eucharistie, vivre Pâques. De l’Égypte à la Terre Promise.
Le soir du Jeudi Saint, le dernier repas que Jésus prend avec ses disciples nous est présenté par les trois évangiles de Matthieu, Marc et Luc comme un repas pascal.
C'est en effet principalement par un repas que les Juifs célèbrent chaque année, au printemps, la fête de la Pâque : Pâque, la fête principale et centrale de la foi juive.
Quels sont donc les liens entre la Pâque juive et l’Eucharistie chrétienne ?
Et c'est donc au cours de ce repas pascal – un repas ritualisé et pris solennellement, en famille ou plus largement avec des amis – ce repas que les Juifs appellent le Séder, que le Christ institue notre repas eucharistique, où nous-mêmes nous célébrons le centre de notre foi chrétienne : la mort et le Résurrection du Christ.
Il y a donc un lien direct entre notre repas eucharistique chrétien et le repas pascal juif : ce n'est pas par hasard que Jésus meurt et ressuscite au moment de la Pâque juive, et ce n'est pas par hasard qu'il institue notre repas eucharistique au cours du repas pascal : les deux se situent dans le même mouvement, pour célébrer la même volonté de Dieu, une volonté de libération, une volonté de vie, et cela par une Pâque, un passage au sens fort : la volonté de Dieu de nous faire passer de l'esclavage à la liberté, de la mort à la vie.
Jésus, le nouveau Moïse
C'est le livre de l'Exode – dont nous-mêmes d'ailleurs lisons un passage la nuit de Pâques – qui nous rapporte tout au long comment Dieu a fait sortir son peuple d’Égypte à main forte et à bras étendu, en lui faisant traverser la mer Rouge à pied sec et en le faisant ainsi échapper à l'armée des Égyptiens qui était à sa poursuite. C'est pourquoi, au cours de ce repas pascal, comme Jésus et ses disciples l'ont fait eux-mêmes le soir du Jeudi Saint, on prend le temps de rappeler longuement cette libération et la façon dont Dieu est intervenu. Car la vie des Juifs, immigrés en Égypte, nous raconte le livre de l'Exode, était devenue au cours des années insupportable : les Égyptiens les contraignaient à des travaux très durs. Et surtout le Pharaon, devant la croissance de ce peuple, avait décidé la mort de tous les garçons qui naîtraient. C'est alors que les enfants d'Israël, vivant cet esclavage, poussèrent des cris du fond de leur servitude, et leur appel à l'aide monta vers Dieu, qui entendit leurs gémissements. Dieu alors appelle Moïse au buisson ardent et lui dit : « J'ai vu, oui j'ai vu, la misère de mon peuple en Égypte. J'ai entendu les cris que lui arrachent ses surveillants. Je suis résolu à le délivrer ! Maintenant, va, je t'envoie libérer mon peuple de la main des Égyptiens pour le faire monter vers un pays où coulent le lait et le miel. »
Voilà ce que Jésus entend, à son tour, pour lui-même, le soir du jeudi saint. Dieu l'envoie, lui, Jésus, nouveau Moïse, libérer toute l'humanité de ses esclavages, de toutes ses souffrances, pour la faire monter vers le Royaume de Dieu. Mais, comme pour la libération d'Israël de l’Égypte, ce sera tout un combat, un long et difficile passage.
L’Eucharistie, célébration d’un passage
Ainsi Jésus, en instituant notre repas eucharistique au cours de ce repas pascal, inscrit sa propre mort et la résurrection qu'il va vivre et où il nous entraîne, dans la dynamique de ce grand mouvement de libération qui est la volonté de Dieu pour nous. Il nous ouvre une Pâque, un passage, pour que nous, à notre tour, nous passions de tout ce qui nous tient en esclavage à la liberté des enfants de Dieu. Chacun de nos repas eucharistiques est un repas pascal : nous y célébrons le passage pour nous-mêmes de la mort, non seulement physique mais la mort du cœur, à la vie qui est celle même de Dieu.
Nous donner des forces pour vivre l’Alliance
Avec tout ce que cette liberté retrouvée entraîne de conscience et de responsabilité : ce n'est pas par hasard que le Décalogue, les Dix Paroles – autrement dit les Dix commandements – mais ce sont des paroles bien plus que des commandements – commence par le rappel de la Pâque. La première de ces Dix paroles, c'est en effet : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t'ai fait sortir d’Égypte, de la maison d'esclavage ». Et alors les neuf paroles qui suivent vont nous dire comment vivre cette liberté nouvelle, avec Dieu lui-même comme avec les autres. Non plus chacun pour soi, mais dans le respect et l'amour de Dieu, et tout autant dans le respect des autres, l'attention, la justice, la fraternité : « Tu ne tueras pas. Tu ne voleras pas. Tu ne porteras pas de faux témoignage. Tu ne commettras pas d'adultère ». Autrement dit « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Chaque repas eucharistique, en tant que repas pascal, a donc pour but de nous donner les forces qui nous seront nécessaires pour nous lever, pour nous mettre en route vers ce monde nouveau où nous vivrons au sens plein, d'une vie libre, plus forte que le mal et que la mort. Car, en tant que repas pascal, il nous annonce que nous allons vers un pays où coulent le lait et le miel. Un pays où nous serons chez nous, heureux et libres ensemble, nourris par l'abondance des dons de Dieu. C'est cela que le Christ et ses disciples célèbrent dans ce repas qu'ils nous ont transmis : non seulement la libération obtenue dans le passé, mais sa concrétisation dans le présent et la promesse de l'avenir messianique du Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu qui commence déjà maintenant à travers nous et pour nous.
De l’Ancienne à la nouvelle Alliance
Toute la mission du Christ est une mission pascale : car aujourd'hui encore Dieu voit, entend, la souffrance de ses enfants – il veut notre liberté, notre vie. Et à la suite du Moïse, à la suite du Christ, il nous envoie : « vous, faites cela en mémoire de moi ! » Repas eucharistique, disons-nous : oui, repas d'action de grâces envers Dieu, envers le Christ, qui nous fait passer – passer – de l'esclavage à la liberté, de l'égoïsme à la fraternité, de la mort à la vie.
frère Gabriel Nissim
Frère Gabriel Nissim est dominicain au couvent Saint-Jacques, à Paris. Il a publié plusieurs ouvrages, en catéchèse (Vers l'Eucharistie, initiation des enfants à la messe, Fayard-Mame, 1968), en histoire contemporaine (Les Juifs et le communisme après la Shoah, Éditions de Paris, 2005), un recueil d'homélies : Un ami vient à vous (Arfuyen, 2009). Il a été producteur de l'émission Le Jour du Seigneur. Frère Gabriel est diplôme de l’Institut Supérieur de Pastorale catéchétique (ICP) et d’un doctorat sur les langues africaines (EHESS). Il a vécu durant sept ans au Cameroun, où il se consacre à la catéchèse des adolescents, à des émissions de radio et à l’enseignement d’une langue africaine à l’Université de Yaoundé.
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