12. Communion, dans la bouche ou sur la main ?
Frère : La communion eucharistique consiste à recevoir le Christ, notre Sauveur en nourriture. Il s’agit d’un pain qui nous est entièrement donné. La meilleure manière de manifester la réalité de ce mystère n’est-elle pas de recevoir ce pain-là en sa bouche, comme le nourrisson reçoit dans sa bouche le lait de sa mère ? Enfant, puis adulte, on reçoit, certes, le pain que l’on vous sert et que peut-être on a gagné ; puis on le porte soi-même à sa bouche. Par là, on le prend pour se le donner à soi-même. La communion reçue directement dans la bouche me paraît donc plus expressive de ce que l’homme est tout accueil devant le salut de Dieu manifesté dans le corps de Jésus-Christ. Les vrais adultes dans la foi sont ceux qui deviennent comme des enfants.
Une antique pratique
Sœur : C’est vrai que l’on doit exprimer notre foi en la présence réelle de Dieu en l’Eucharistie par la manière dont on communie. Mais ne peut-on pas le faire en communiant sur la main ? Par exemple, dans l’antiquité, on donnait des conseils aux nouveau communiants dans ce sens :
« Quand donc tu t'approches, ne t'avance pas les paumes des mains étendues, ni les doigts disjoints; mais fais de ta main gauche un trône pour ta main droite, puisque celle-ci doit recevoir le Roi, et, dans le creux de ta main, reçois le corps du Christ, disant : « Amen ». »[1]
A la même époque, Théodore de Mopsueste affirmait que c’est en étendant les deux mains et en baissant la tête avec humilité que le communiant manifestait son respect pour le corps du Christ[2].
Un peu plus tard, au concile de Trullo[3], on a même rappelé à certains qui préféraient communier dans des vases d’or plutôt que dans leurs mains, que leurs corps et donc leurs mains étaient plus dignes que des objets. Car c’est bien par notre corps que nous sommes sauvés.
Frère : C’est vrai qu’il y a une pratique antique. Néanmoins, ta référence au concile de Trullo montre qu’à l’époque, on se servait de la main comme d’une patène. Pour communier, on se penchait vers l’hostie, on ne levait pas le bras. C’était un geste d’humilité fort.
Quoi qu’il en soit, quelques décennies après ce concile, on a arrêté de distribuer la communion dans les mains. La raison serait que, parfois, certaines personnes faisaient un mauvais usage de l’hostie[4].
Les prêtres, les fidèles et la pureté
Sœur : Il faut voir le contexte théologique et spirituel de l’époque. Les pratiques changent parce que les mentalités changent. A cette époque, l’idée de pureté rituelle se développe. La conscience du péché évolue et on développe de nouvelles manières de faire pénitence, plus importantes. Le prêtre multiplie les rites de purification avant de célébrer. Et les fidèles ne sont jamais assez purs pour communier, aussi, petit à petit, ils ne communient presque plus. Le 4e concile du Latran (1215) doit demander qu’on communie au moins une fois l’an : les chrétiens allaient à la messe, mais sans communier. Ils assistaient à la messe, voire à des parties de la messe, sans comprendre ni vraiment participer.
Ce n’est que depuis Pie X et le début du XXe siècle que l’on communie régulièrement.
La dernière Cène
En cela, il se rapproche de l’attitude de Jésus à la dernière Cène. Jésus a bien dit, lors de la sainte Cène : « Prenez et mangez, ceci est mon corps ; prenez et buvez, ceci est mon sang ».
Frère : Mais on observera que Jésus n’a dit cela qu’aux seuls apôtres, réunis au cénacle : à ceux-là, donc, qu’il a établis pour présider l’Eucharistie. Les prêtres ont part aujourd’hui à ce mystère confié aux Apôtres. C’est par le prêtre que l’Eglise donne visiblement les biens de Dieu visiblement manifestés dans les sacrements, en particulier l’Eucharistie. C’est pourquoi la manière qu’il a de communier est propre à son état et que la communion des fidèles, qui est accueil des dons de Dieu, n’a pas à s’y conformer absolument.
L’ordination
Par exemple, pour saint Thomas d’Aquin[5], on n’avait jamais vraiment le droit de toucher le corps du Christ, seule exception était faite au prêtre parce qu’on lui avait oint les mains lors de son ordination.
Sœur : C’est vrai que pendant l’ordination, le prêtre reçoit l’onction du Saint Chrême sur les mains. Mais il ne s’agit pas tellement de rendre ses mains saintes, il s’agit plutôt de lui conférer une mission, qu’il réalisera avec toute sa personne : ses oreilles, sa bouche… et avec ses mains.
On ne perçoit plus la pureté aujourd’hui comme au temps du Lévitique. La pureté dont nous parle le Christ, ce n’est pas celle-là, c’est plutôt la pureté du cœur. Les mains des fidèles ne sont pas plus impures que celles de prêtres. Et la langue des fidèles n’est pas plus pure que leurs mains. De plus, par notre baptême, nous sommes tous prêtres, prophètes et rois.
Les Protestants
Frère : C’était aussi ce que pensaient les calvinistes, qui ne croyaient pas à la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie de la même manière que nous, et qui ont commencé, dès 1521, à communier dans la main.
Sœur : Oui, mais, les anglicans, qui, eux, ont une conception de l’Eucharistie proche de la nôtre, ont commencé dès 1662 à communier dans la main.
La communion ecclésiale
Sœur : Ce qui est important, c’est que la communion eucharistique soit un temps de communion ensemble avec le Christ. Ce n’est pas seulement un acte de piété individuelle. C’est pour cela que le Concile de Trente donnait la possibilité aux diocèses de s’adapter aux pratiques locales.
« (…) dans l’administration des sacrements, il y eut toujours dans l’Église le pouvoir de décider ou de modifier, la substance de ces sacrements étant sauve, ce qu’elle jugerait mieux convenir à l’utilité de ceux qui les reçoivent et au respect des sacrements eux-mêmes, selon la diversité des choses, des temps et des lieux. (…) »[6]
Innovation et communion
Frère : Justement, il semble que la pratique de la communion dans la main ait recommencé de manière un peu illégale, dans les années 1960, en Belgique, en Hollande, en Allemagne et en France…
Sœur : Mais la pratique a été autorisée par l’instruction Memoriale Domini, de 1969; Elle donnait la possibilité à chaque conférence épiscopale de légiférer en la matière. Et en France, la communion dans la main a été rendue possible tout de suite. C’est venu plus tard aux Etats Unis (1977) et encore plus tard en Italie (1989).
Frère : Aujourd’hui, en France, on privilégie la communion dans la main. Tous les documents romains rappellent qu’on ne peut pas refuser la communion dans la bouche. Les fidèles peuvent choisir. L’important est de respecter le corps du Christ et la communion de l’Eglise.
[1] Cyrille de Jérusalem, Catéchèses Mystagogiques, Trad. Pierre Paris, Paris, Cerf, SC 126, 1966, pp.171-173
[2] Théodore de Mopsueste, « homélie II sur la messe », §27-28, (homélie 16), dans Homélies catéchétiques, trad. Raymond Tonneau, Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane, 1949, pp.579-581
[3] Concile de Trullo, Canon 90
[4] C’est ce qu’a décidé le synode de Cordoue en 839 et peut être aussi le synode de Rouen 878, d’après Réginon de Prüm, un chroniqueur du XXe siècle, mais on n’est pas sûr que ce soit vrai.
[5] Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa Pars, qu. 82, a. 3, conclusion
[6] Concile de Trente, Session XXI, 16 juillet 1562, Décret sur la communion sous les deux espèces, Denzinger 1728
frère Jean-Christophe de Nadaï
En 2023, frère Jean-Christophe de Nadaï est frère au couvent Saint-Jacques, à Paris. Il est membre de la Commission Léonine, un groupe de chercheurs qui travaille sur saint Thomas d'Aquin. Frère Jean-Christophe est un homme de lettre, il a publié, entre autres, Rhétorique et poétique dans la Pharsale de Lucain. La crise de la représentation dans la poésie antique, Louvain, Peeters, 2000, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, coll. « Jésus-Jésus-Christ », 2008 et « L’école française de spiritualité sacerdotale », Sources, 2005.
Soeur Marie-Pierre de la Croix
En 2023, sœur Marie-Pierre de la Croix est familière des sœurs dominicaines du Saint-Nom de Jésus. Elle travaille dans l'enseignement secondaire.
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