2. Sainte Marie-Madeleine à la Sainte-Baume
L’Église a marqué le paysage et la culture occidentale par ses 2000 ans d’histoire. Pas un lieu quasiment qui n’ait son église ou son sanctuaire, pour honorer Dieu par son Fils Jésus-Christ ou par sa mère ou quelqu’un des saints. C’est ainsi que si vous allez en Provence, et que, intrigués par la grande église de saint-Maximin, vous sortez de l’autoroute pour voir de quoi il retourne, vous découvrirez que c’est une basilique entamée au XIIIe siècle, pour servir de reliquaire monumental au corps de Marie-Madeleine, ce personnage de l’évangile qui fut le premier témoin de la résurrection au matin de Pâques.
Peut-être serez-vous dubitatif face à ce culte d’un personnage de l’évangile si loin des rivages de Palestine, et on ne saurait vous reprocher cette prudence. On a bien vu des chrétiens aller en pèlerinage auprès d’un prétendu Guinefort, chien de son état. Si on ne peut reprocher aux saints de se voir honorer d’un culte après leur mort, force est de reconnaître que les raisons de la dévotion sont parfois bien mélangées, non sans quelque crédulité chez les dévots ou quelque abus de la crédulité chez les promoteurs de la dévotion.
Que vous dira-t-on dans ces lieux ? Primo, qu’il y a une tradition ; secundo, qu’il y a des reliques ; tertio qu’il y a un culte.
La tradition d’un culte
Une tradition : c’est-à-dire une transmission orale et écrite de faits anciens. Cette tradition se rattache à la grande tradition de l’Église sans en avoir forcément toute la force ; en effet pour cela il faudrait qu’elle eut été crue toujours, partout et par tous. L’histoire peut chercher à l’évaluer, mais avec humilité, tant les indices du passé sont souvent ténus et les raccourcis faciles, que ce soit pour conforter la tradition ou pour la démonter. Que nous dit cette tradition ? Sainte Marie-Madeleine, cette amie de Jésus qu’on retrouve plusieurs fois dans les évangiles, est arrivée en Provence avec sainte Marthe, saint Lazare, Marie de Salomé et Marie de Jacobé. Tout ce petit monde qui a bien connu Jésus évangélisa la région mais Marie-Madeleine, en pénitence, finit par se retirer dans une grotte du massif de la Sainte Baume, juste au-dessus de Saint-Maximin pour y prier Dieu.
Des reliques
Quelles traces en a-t-on ? Il y a des ossements, vraisemblablement ceux d’une femme. Ces ossements étaient dans des sarcophages du IVe siècle ; et comme pour de nombreuses tombes de saints, il y a autour d’autres tombes de la même époque, toutes orientées vers celle qu’on attribue à la sainte.
A partir du VIIe siècle, on commence à avoir des textes qui attestent une tradition de l’évangélisation de la Provence par Sainte Marie Madeleine et de sa pénitence dans une grotte, cependant ce dernier épisode a pu être extrapolé, notamment sous l’influence de moines ermites qui peuplaient la région, à partir de la légende de sainte Marie L’Egyptienne, une pécheresse repentie du IVe siècle. L’iconographie de la Sainte de l’évangile a retenu cela en représentant souvent la sainte dans sa grotte, les cheveux dénoués, un vase de parfum non loin.
Mais voilà, sous la menace des Sarrasins qui ravagèrent la région au VIIIe siècle, le corps semble avoir été caché et certains tombeaux enfouis. On ne retrouvera les reliques qu’au XIIIe siècle ! Entre temps, à partir du XIe siècle, la grande abbaye de Vézelay revendiqua la possession des reliques de la sainte, mais en avouant les avoir pris en Provence pour les protéger. Il faut aussi signaler ici la concurrence lointaine d’Ephèse, très grande cité de l’Antiquité, qui prétendit posséder ces corps. Toutefois, la disparition des reliques n’a pas fait disparaître la mémoire de sainte Marie-Madeleine dans la région de la Sainte Baume, de sorte que le pèlerinage a dû subsister, tant à Saint-Maximin, qu’à la grotte même.
La redécouverte des reliques au XIIIe siècle
Au XIIIe siècle, fort de cette tradition, le comte de Provence Charles entreprend de retrouver les reliques : il ouvre les sarcophages dont celui attribué à la sainte, qui est vide. Mais creusant plus loin, ils en trouvent un autre, contenant lui des ossements ainsi qu’un papyrus et une tablette de bois indiquant de qui il s’agissait. En outre, quand on apporta le crâne au pape, celui-ci le rapprocha d’une mandibule qu’on vénérait à Rome comme étant celle de la sainte ; et ça s’emboitait.
Les implications politiques d’une telle découverte ne sont pas minces, aussi certains contestent-ils la véracité des éléments de cette tradition. On en voit la fragilité. En effet, elle fut crue presque toujours, presque partout, presque par tous ; tout est dans le presque ! En soi les éléments pour attester la vérité historique de cette tradition sont minces. D’un autre côté, leur négation sans a priori ne s’avère pas évidente non plus.
Un culte
On peut noter en outre, la vérité historique de cette question n’a pas la même importance pour les chrétiens que l’existence de Jésus et la réalité de sa résurrection : cette tradition peut soutenir la foi du croyant, de manière plus affective qu’intellectuelle : il a un lieu où prier cette femme extraordinaire de l’évangile avec une foule de pèlerins qui se sont succédés depuis des siècles ; si le pèlerin est du pays, il bénéficie d’une proximité particulière avec celle qui est venue jusque chez lui ; si les reliques sont authentiques, il a face à lui les restes d’un corps qui a connu, touché Jésus, qui a été en présence du Christ ressuscité. La foi en Jésus n’en dépend pas et ne doit pas en dépendre ; en même temps, on comprendrait le désarroi si ça s’avérait faux : ces béquilles offertes à sa foi se révéleraient être en fait des entraves propres à faire trébucher ; une fois de plus notre confiance dans les membres de l’Eglise s’en trouverait mise à mal puisque c’est par eux que cette histoire nous parvient.
Il s’agit donc d’avoir un regard de foi éclairé par la critique : Tant qu’on ne me montre pas que c’est faux, je peux y croire, avec les réserves que l’histoire me fait connaître. Cela peut tout de même nourrir la vie spirituelle comme le montrent un certain nombre de frères dominicains qui vécurent sur ces lieux dont le père Lagrange qui scruta la Bible à la lumière de l’histoire et de la foi.
frère Maxime Arcelin
Le frère Maxime Arcelin est dominicain de la Province de Toulouse. Il est spécialisé en histoire de l'Eglise. En 2021, il réside au couvent de la Sainte-Baume. En 2019, il a publié le livret ThéoDom "Histoire(s) d’Église", aux éditions du Cerf.
Une question ? Un commentaire ?
Réagissez sur notre forum