4. Marie, intercède pour nous…
Le « Je Vous Salue Marie » est composé de trois phrases. A présent, les deux premières n’ont plus de secret pour vous, ou presque. Comme vous le savez, elles proviennent de l’évangile de Luc. Elles condensent la louange que le Ciel et la terre adressent à Marie, dans les scènes de l’Annonciation et de la Visitation. J’espère que vous vous êtes régalés, comme moi, en prenant davantage conscience des résonances bibliques de ces deux phrases.
La troisième phrase, elle, a été ajoutée de nombreux siècles plus tard, vers la fin du Moyen Âge. Il ne s’agit plus d’une prière de louange. Le ton change. Désormais, c’est celui de la prière de demande, et même de l’imploration et de la supplication. Ce glissement correspond aussi au passage de l’Écriture Sainte à la Tradition de l’Église. Mais, comme nous allons le voir, ce n’est pas une déperdition, bien au contraire.
« Priez pour nous, pauvres pécheurs »
Passer de l’exultation et de la louange à la supplication ou l’inverse, en réalité, n’a rien d’étrange, même dans la Bible. C’est ce qu’on trouve fréquemment dans les Psaumes, notamment.
Après tout, dans le « Notre Père » aussi, on se tourne d’abord vers Dieu pour célébrer son Nom, son règne, sa volonté, avant de lui adresser des demandes : le pain quotidien, le pardon de nos offenses, la préservation du Mal.
Et puis, se tourner vers Marie pour la supplier de faire quelque chose en notre faveur, c’est déjà l’attitude qu’ont eue les chrétiens d’Égypte du IIIe siècle. Ce qui nous permet de dire cela, c’est que la plus ancienne prière à la Vierge qu’on ait retrouvée, provient d’un papyrus grec, daté du IIIe ou du IVe siècle. Cette prière, nous la connaissons sous le titre latin de « Sub tuum praesidium » :
« Sous l’abri de ta miséricorde, nous nous réfugions, Sainte Mère de Dieu. Ne méprise pas nos prières quand nous sommes dans l’épreuve, mais de tous les dangers délivre-nous toujours, Vierge glorieuse et bénie. »
Déjà, nos frères et sœurs égyptiens se tournaient vers Marie pour demander son aide. Et déjà, ils lui donnaient le titre que nous avons repris dans le JVSM : « Mère de Dieu », en grec Theotokos, « celle qui a enfanté Dieu ».
« Sainte Marie, Mère de Dieu »
Ce titre allait être consacré en 431, au concile d’Ephese, qui proclama solennellement Marie « Mère de Dieu ». En disant que Marie, la Theotokos, avait « enfanté Dieu », que voulaient dire les évêques réunis à Ephèse ? En fait, il s’agissait d’affirmer solennellement la foi de l’Eglise en la divinité du Christ, contre une approche qui risquait de présenter Jésus comme une simple personne humaine mise en tandem avec une autre personne, une personne divine, le Fils de Dieu. Cela aurait donc fait deux personnes dans le Christ !
L’Église a toujours cru que Jésus de Nazareth est une seule personne, et que cette personne n’est pas quelqu’un d’autre que le Verbe de Dieu, ce Verbe dont saint Jean nous dit qu’il est Dieu, le Fils unique de Dieu qui demeure dans le sein du Père avant tous les siècles.
A partir de là, il convient de dire que le fils de Marie n’est pas quelqu’un d’autre que la deuxième Personne de la Sainte Trinité. Cela revient aussi à dire que Marie a enfanté Dieu selon la chair. Comme on l’affirme dans l’hymne « Alma Redemptoris Mater », que l’Église chante notamment pendant le temps de l’Avent et le temps de Noël, Marie a enfanté selon la chair son Créateur : « Tu as enfanté celui qui t’a créée » ! Ou encore, « elle a porté celui qui porte tout », suivant un autre tube liturgique !
Bref, il ne s’agit pas de dire que Dieu fait des petits, encore moins que Marie serait comme l’une de ces déesses-mères qui mettent au monde des dieux dans les mythologies. En enfantant Jésus, Marie devient la Mère de Dieu selon la chair ; bien sûr, elle n’est pas la Mère de Dieu selon sa divinité. Comment pourrait-elle l’être, du reste, puisqu’elle est, comme nous, une créature ? Elle n’est pas la quatrième personne de la Sainte Trinité ! Ouf ! nous voilà rassurés.
Au passage, il faut remarquer qu’en ayant pour toile de fond la scène de l’Annonciation et celle de la Visitation, le « Je Vous Salue Marie » est une prière qui fait intervenir la Trinité tout entière : dans ces passages de l’évangile de Luc, en effet, on nomme Dieu le Père, « le Très Haut » et le « Seigneur » ; on nomme Dieu le Fils, « le Fils du Très haut », celui-là même qui va prendre chair en Marie : c’est Jésus, le Christ, le Sauveur, le Seigneur ; on nomme Dieu l’Esprit Saint : on explique que c’est lui qui va prendre Marie sous son ombre pour qu’elle conçoive Jésus en restant vierge, et que c’est lui, également, qui pousse Elisabeth et le petit Jean-Baptiste, à prophétiser.
Nous disions la semaine dernière que le « Je Vous Salue Marie » culmine dans le nom de Jésus, et que, pour cette raison, ce n’est pas tant une prière mariale qu’une prière christocentrique, c’est-à-dire toute orientée vers le mystère du Christ. Eh bien, c’est aussi, on le voit mieux maintenant, une prière qui nous fait entrer dans le mystère de la Trinité, dans le mystère de Dieu, par l’intercession de Marie.
« Priez pour nous, pauvres pécheurs »
Dire de nombreux JVSM, donc, ne signifie pas faire de Marie une déesse, une idole. Ce qui nous le montre bien, c’est le contenu de la demande que nous adressons à Marie après l’avoir saluée et bénie. Que demande-t-on à Marie ? On lui demande de demander pour nous ! On prie Marie, mais on la prie de prier pour nous ! De prier Dieu, parce qu’elle n’est pas Dieu, et que personne d’autre que Dieu ne peut nous exaucer.
C’est dire, encore une fois, que les personnes qui récitent des JVSM ne risquent pas de prendre Marie pour Dieu, même si, en lui donnant des titres extraordinaires comme « pleine de grâce » et « Mère de Dieu », ils reconnaissent que cette femme a quelque chose d’exceptionnel dans le plan de Dieu.
L’Église nous enseigne que Marie est dans la gloire du Ciel, avec son corps et son âme – c’est le mystère de son Assomption, qu’on fête le 15 août. Marie se tient continuellement en présence de Dieu. C’est pourquoi nous lui demandons de présenter nos demandes à Dieu. C’est ce qu’on appelle la prière d’intercession.
Là non plus, cette pratique n’est pas sans fondement dans l’Écriture. A Cana, que faisait Marie, sinon intercéder auprès de Jésus pour qu’il accomplisse un signe en faveur des mariés ? Les pauvres ! La fête a failli tourner court par manque de vin. Heureusement, grâce à Marie, cela n’arrivera pas : Jésus, à sa demande, change l’eau en vin. Vous connaissez l’histoire. Mais, en fait, l’une des plus belles pépites de cet épisode, c’est ce que Marie a ordonné aux serviteurs. Elle leur dit : « tout ce que Jésus vous dira, faites-le ». Bref, encore une fois, c’est le même exemple que Marie nous donne et qu’elle nous presse d’imiter : écouter la Parole de Dieu, écouter Jésus, donc, et mettre cette parole en pratique.
Quand nous récitons le « Je Vous Salue Marie », nous savons que, comme à Cana, Jésus ne refusera rien à sa mère. Dès lors, nous avons envie de demander de nombreuses grâces par l’intercession de Marie. Et c’est alors que la grâce principale qui nous est offerte, c’est d’écouter la Parole de Dieu et de la mettre en pratique. On n’aura peut-être pas obtenu exactement ce qu’on demandait. Mais, grâce à Marie, on aura obtenu bien plus encore…
Maintenant et à l’heure de notre mort
Notre demande d’intercession s’achève sur une distinction importante : « maintenant, et à l’heure de notre mort ».
Ce « maintenant », c’est ce que l’épître aux Hébreux appelle l’« aujourd’hui de Dieu » (Hébreux 3, 13) ou encore, comme dit saint Paul dans la 2e épître aux Corinthiens, « c’est maintenant le jour du salut » (2 Corinthiens 6, 2).
Dans le « Sub tuum », la prière de nos ancêtres Égyptiens, on demandait déjà à Marie d’intervenir auprès de Dieu pour que les hommes soient préservés, dès maintenant, « de tout danger » : les famines, les épidémies, les guerres, les catastrophes naturelles, bref, de tous les malheurs de cette terre.
Mais ce qui se joue aussi « maintenant », c’est notre salut éternel. L’auteur du Psaume 94 demande, inquiet : « Aujourd’hui, écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur… » (Psaume 94, 7-8). Car un jour, cet « aujourd’hui », ce « maintenant », correspondra au dernier instant de notre vie terrestre. Ce sera « l’heure de notre mort », et il sera trop tard pour choisir de faire quelque chose de sa vie. Un chrétien qui lit les Évangiles sait que Dieu est miséricordieux, mais il sait qu’il ne faut pas prendre les appels à la conversion à la légère. Le temps qui nous est donné pour nous ouvrir à Dieu et vivre dans son amitié, c’est « maintenant ».
Marie nous aime comme une mère, et nous sommes sûrs qu’elle prie pour nous « maintenant ». Nous sommes sûrs aussi que, lorsque viendra ce moment de notre passage vers l’éternité, elle sera là ; elle ne nous laissera pas tomber ; elle ne nous laissera pas tout seuls devant l’inconnu ; non, elle nous enveloppera dans son intercession maternelle pour que nous puissions naître paisiblement à la vie de Dieu.
Ce qui nous permet d’avoir une telle assurance, c’est que Marie était là quand Jésus mourait au Calvaire. Or c’est précisément à ce moment-là que Jésus a demandé à Marie d’être une mère également pour le « disciple bien-aimé », qui était présent, lui aussi, au pied de la croix. Ce disciple anonyme, la Tradition de l’Église l’a identifié à l’apôtre Jean. Mais à travers lui, c’est à tous les disciples bien-aimés de Dieu que s’étend la maternité de Marie, « maintenant », et tout spécialement « à l’heure de notre mort ».
Cette formule finale fait du « Je Vous Salue Marie » la prière que nous offrons volontiers pour les mourants et les défunts. En la reprenant inlassablement, tout au long de notre vie, nous nous préparons à la rencontre ultime et définitive avec « Celui qui vient », comme on l’a appelé tout au long de l’Avent.
Le « Je Vous Salue Marie » nous permet ainsi de garder le cap : nous ne perdons pas de vue le but à atteindre. Nous savons que notre vie n’est pas faite pour s’achever sur la terre, mais dans la gloire du Ciel.
frère Sylvain Detoc
Frère Sylvain Detoc est docteur ès lettres et docteur en théologie. Il est frère de la province de Toulouse, il enseigne à l'Institut Catholique de Toulouse. Il a publié plusieurs ouvrages : Déjà brillent les lumières de la fête (Cerf, 2023), La Gloire des bons à rien (Cerf, 2022) et Petite théologie du Rosaire (éditions de La Licorne, 2020).
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