11. L’origine du mal
Dans d’autres vidéos, on a abordé le problème du mal d’un point de vue théorique, maintenant, on va l’aborder grâce à des récits. En effet, la Bible nous explique beaucoup de choses par des histoires, comme celle du début de la Genèse par exemple. Et quand l'Écriture n’explique pas tout, les chrétiens y voient une invitation à un dialogue qui ne s'arrête jamais.
La Genèse commentée
Je voudrais vous parler de deux épopées sur l’origine du mal, qui s’inspirent du livre de la Genèse : l’Histoire Spirituelle, un poème en latin écrit par un évêque gaulois au Ve siècle, Avit de Vienne ; et Paradise Lost (le Paradis perdu), le chef-d’œuvre d’un poète anglais au XVIIe siècle, John Milton.
Trois livres, trois époques, trois langues, trois contextes très différents : et pourtant, ils vont tous dans le même sens, ils partagent une même réponse chrétienne à la question de la Théodicée.
Théodicée, ce mot signifie : « la justification de Dieu », ou « comment dédouaner Dieu de la responsabilité du mal dans le monde qu’il a créé ? »
Dieu est bon et tout ce qu’il fait est bon
Les trois récits sont tous d’accord sur une chose, la Création est bonne, l'œuvre d’un Dieu bon. Avit et Milton décrivent merveilleusement le jardin d’Eden et l’abondance de ses biens. (Avit p. 174 ; Milton 5.316-320).
Dieu est si bon qu’il crée l’homme libre et qu’il prévient l’homme contre le mal qui pourrait exister. Il donne des consignes à l’homme pour éviter le mal. (Milton 5.235-247)
Chez Avit et Milton, c’est facile, au paradis, de garder les commandements de Dieu (Milton 4.432; Avit 1.318). Alors Adam et Eve promettent de garder les commandements, et s’en réjouissent (Avit 1.320-1). Mais de ce fait, ils n’auront pas d’excuse quand ils pècheront plus tard.
En effet, il y a un problème dès qu’Adam et Eve commencent à penser que Dieu n’est pas vraiment bon, quand ils soupçonnent que les commandements divins sont mauvais et arbitraires. (Avit 2.175-180)
Le Diable, le premier pécheur
D'où vient cette mauvaise image de Dieu qui sème le doute dans l’esprit d’Adam et Eve ? La Genèse introduit ici le personnage du Diable. Avit et Milton interprètent et enrichissent, chacun à sa manière, ce personnage du diable.
Le Diable n’est pas fiable. Chez Avit, le diable a une langue à trois pointes, c’est un trompeur (Avit 2.135). Pour Milton aussi, c’est un séducteur et menteur. Il ne faut jamais se fier à ses paroles, même les plus poétiques ! (Milton 4.949)
Pire, le Diable est si tordu dans sa pensée, qu’il renverse les catégories du bien et du mal.
« Mal, sois mon bien !» dit-il (Milton 4.110-112)
L’orgueil du diable, le premier pécheur
D’où vient le mauvais caractère du diable ? Simplement de lui-même, par le mauvais usage de sa liberté. Le Diable, par son orgueil, n’accepte pas d’être seulement une créature. Il se veut l’égal de Dieu. Le Diable est donc le premier pécheur, le premier qui se détourne de Dieu. Le résultat, c’est qu’il se retrouve parfaitement malheureux, partout en enfer.
« Par quelque chemin que je fuie, il aboutit à l’enfer ; moi-même je suis l’enfer. » (Milton 4.75-77)
Quelle consolation pour le diable ? Dans ses tourments, le Diable commence à envier les hommes et leur bonheur au Paradis. Alors selon Avit, le Diable imagine que sa seule consolation, c’est de rendre les hommes malheureux.
« Si je ne peux gravir à nouveau les cieux qui m'ont été fermés, qu'ils se ferment pour eux aussi. » (Avit 2.107-116)
Chez Milton aussi, le Diable n’a plus qu’un seul projet :
« C’est seulement dans la destruction que je trouve un adoucissement à mes pensées sans repos. » (Milton 9.129-130).
Les mensonges du Diable : la fausse liberté
Mais le Diable n’est pas capable de simplement détruire ce que Dieu a créé. La puissance du Diable ne réside que dans la tentation et la tromperie… Il va donc essayer de tenter l’homme à pécher.
Et lorsque le Diable prend l’apparence d’un serpent, c’est un beau serpent, pour tromper Eve et Adam.
L'idée la plus trompeuse du Diable c’est que Dieu ne nous laisse pas libres. Pour le Diable, la seule liberté est de dire “Non” à Dieu, de vivre sans Dieu, même si cela lui rend malheureux. Voici la phrase de Milton, extrêmement connue, quand le Diable dit :
« Mieux vaut régner en enfer que servir au ciel » (Milton, 1.263)
On a souvent mal compris Milton, comme si le Diable était pour lui le vrai héros du Paradis perdu. Il y a quelque chose d’attirant, de séduisant, un peu “sexy”, dans le caractère qui rejette toute autorité pour vivre de lui-même, apparemment libre.
La vraie liberté
Mais Milton ne nous laisse pas sans défense contre les mensonges du Diable. Il nous présente l'idée correcte et fondamentalement chrétienne que la vraie liberté, c’est de garder les commandements de Dieu dans l'amour, de dire “OUI” à Dieu. Adam dit :
« Librement nous servons parce que nous aimons librement, selon qu’il est dans notre volonté d’aimer ou de ne pas aimer ; par ceci nous nous maintenons ou nous tombons. » (Milton 5.539-540)
Le péché et ses effets
Malheureusement, Adam et Eve succombent aux mensonges du diable : ils prennent le fruit défendu. C’est le premier péché, c’est ce qu’on appelle la Chute.
Leur réaction, c’est d’en vouloir à Dieu lui-même. Ils ont peur de Dieu pour la première fois. Ils commencent à s’accuser mutuellement. Leur amour est presque éteint, remplacé par l’orgueil, la méfiance, la luxure et la tristesse. L’harmonie de la Création même est rompue, l’homme est devenu un étranger sur la Terre.
Dieu agit pour notre bien même après la Chute
Heureusement, même après la Chute, Dieu agit toujours pour le bien des hommes. Il adoucit les effets du péché. Il envoie son Fils pour consoler et juger les hommes (Milton 10.97 ff.; Avit chant 3).
Et Dieu prépare l'espérance et l’histoire de notre salut. Avit et Milton poursuivent leurs récits jusqu'à Noé, Moïse, et plus loin encore. Ils font souvent mention du Christ, en qui tous ces événements de la Bible trouvent leur clé d'interprétation.
Adam se réjouit de savoir qu’il aura un descendant juste, le Christ, l’homme parfait. Par la mort et la résurrection du Christ, nous serons définitivement libérés du péché : c’est la recréation de l’homme.
En fait, la Théodicée, c’est à la fois un récit qui justifie Dieu et un récit qui nous montre comment Dieu nous rend justes, après notre chute.
Si je résume l’histoire racontée par la Genèse et développée par Avit et Milton : Dieu a créé le monde bon, habité par des êtres libres. Le diable a mal utilisé sa liberté, et il nous a entraînés dans le péché avec lui par ses mensonges. C’est ce qui a détruit l’harmonie du monde. Mais même là, Dieu vient à notre secours, surtout dans le Christ, le Fils de Dieu, qui nous ouvre le chemin d’une vie nouvelle et éternelle.
Le problème du mal nous renvoie à une réalité plus profonde, depuis l’origine jusqu’à la fin : c’est la bonté de Dieu.
Et la littérature et les récits nous aident à entrer dans ce mystère.
Bibliographie
Avit de Vienne, Histoire Spirituelle, trad. Nicole Hecquet-Noti, col. Sources Chrétiennes, no. 444 et 492, Cerf, 1999 et 2005.
John Milton, Paradise Lost (1674), trad. René de Chateaubriand (1836), ed. Honoré Champion, 2021. (Certaines traduction sont aussi de frère Matthew Jarvis)
frère Matthew Jarvis
En 2021, frère Matthew Jarvis étudie les Pères de l’Eglise au couvent du Saint-Nom-de-Jésus, à Lyon. Il nous vient d’Angleterre. Il a étudié la théologie à Oxford et exercé comme aumônier d’étudiant au couvent de Holy-Cross de Leicester.
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