9. Le transhumanisme
De nos jours, c’est la science qui semble bien faire des miracles : des personnes qui étaient encore condamnées par la médecine il y a quelques décennies peuvent, grâce aux progrès de la connaissance humaine, reprendre une vie digne, voire retrouver totalement la santé.
Tout cela est un vrai signe d’espérance, mais peut-on accepter tous ces progrès sans réflexion ? Ne sommes-nous pas en train de créer de toutes pièces un homme nouveau, modifié par le progrès technique ?
Serais-je plus intelligent si Google m’implante une puce dans le cerveau ou au contraire serais-je moins libre ? Faut-il avoir peur du progrès technique ou va-t-il finalement nous sauver ? Le transhumanisme vise-t-il à aider, à corriger l’homme ? La technologie nous rend-elle supérieurs ? Qu’est-ce que l’homme augmenté ?
Qu’est-ce que le transhumanisme
C’est un terme très général. « Trans » vient du Latin qui signifie « au-delà ». Transhumanisme : au-delà de l’être humain. On peut dire que le transhumanisme rassemble les techniques qui prolongent l’homme… mais aussi qui le transforment.
Le progrès existe depuis toujours. Le progrès est partout et dans tous les domaines. Déjà la métallurgie préhistorique cherchait à doter l’homme d’outils pour accroître ses capacités. Une pelle et me voilà un homme augmenté. Une épée et j’ai tout de suite plus de pouvoir.
Aujourd’hui, il n’est plus possible d’être une femme ou un homme augmenté sans ceci : je peux faire entendre ma voix à l’autre bout de la planète et savoir, en temps réel, s’il pleut à Kigali. Désormais indispensable pour vivre augmenté : le téléphone portable !
Mais augmenté jusqu’où ? Et augmenté pourquoi ?
On a tous en tête l’image des prothèses permettant à des personnes amputées de sprinter lors des jeux paralympiques ; on voit tout ce que le génie humain peut apporter. De nos jours, on implante des puces électroniques dans le cerveau de certaines personnes atteintes de la maladie de Parkinson. Et c’est la fin de leurs tremblements, elles peuvent remarcher, manger à nouveau par elles-mêmes : elles ont une tout autre qualité de vie.
Et puis je peux écrire sans faute. « Quand ce maudit auto-correcteur voudra bien recopier ce que je dis ! » L’Intelligence artificielle est là qui me scrute et me surveille ; qui essaye d’anticiper mes choix. Si c’est pour m’aider : c’est bien ; si c’est pour les orienter, les influencer ou les réduire : c’est plus gênant.
Le transhumanisme cherche à améliorer la condition humaine par l'augmentation des capacités physiques et mentales à l’aide de techniques. Et le transhumaniste doit se préoccuper tant des avantages que des dangers qu’entraînent ces innovations. La perspective transhumaniste est celle d’une humanité transformée par la puissance technologique.
Notre société est déjà en partie transhumaine – nos téléphones et l’intelligence artificielle qui existe le montrent fort bien – le transhumanisme n’est pas nouveau, simplement c’est aujourd’hui que nous prenons conscience de son impact, et de ses éventuelles dérives...
L’Église et le progrès
L’Église encourage le progrès de l’intelligence. Dans la constitution pastorale Gaudium et Spes, du Concile Vatican II, il est dit :
« La recherche méthodique dans tous les domaines du savoir, si elle est menée d'une manière vraiment scientifique, et si elle suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi [...]. Bien plus, celui qui s'efforce, avec persévérance et humilité, de pénétrer les secrets des choses, celui-là, même s'il n'en a pas conscience, est comme conduit par la main de Dieu. » (Gaudium et Spes, 32)
Quand les ordinateurs permettent à la science de faire des bonds pourquoi ne pas s’en réjouir ? Quand nos téléphones nous permettent de rester à l’écoute de ceux qui souffrent : où est le mal ? Quand l’Intelligence Artificielle découvre des cancers indécelables par l’œil d’un expert, qui ne trouve pas ça formidable ?
D’où vient le danger ?
Le danger n’est pas la puissance technologique en tant que telle ; le danger c’est le regard que l’on pose sur cette puissance et la finalité que l’on lui donne. Pour - quoi - faire ?
Si nous pensons que la technologie sera ce qui pourrait nous sauver de la mort : nous nous trompons. Elle pourra nous aider dans bien des cas ; elle pourra nous soulager de bien des maux mais elle ne nous sauvera pas. Envisager la mort simplement comme une maladie que la technique pourrait un jour guérir est une illusion qui entraîne une fuite en avant technologique aussi vaine que la construction de la Tour de Babel. Nos propres moyens ne nous permettront jamais d’atteindre le salut, de vaincre nous-mêmes la mort. Du point-de-vue croyant : ce serait se prendre pour Dieu.
Une autre erreur serait de considérer ces avancées, ces prolongements techniques comme faisant partie du corps humain, de son évolution – j’allais dire « naturelle » – comme si l’homme technologiquement augmenté était un homme « amélioré ». Et on est pas loin de penser « supérieur ».
Le danger est avant tout de perdre ainsi la vision naturelle de l’être humain et celui de le définir par des critères techniques. Qui décide comment améliorer l’homme ? Et dans quel but ? Quel est le statut de celles et de ceux qui n’ont pas accès à ces nouvelles technologies ? qui les refusent ou qui ne peuvent se les offrir ? Ne vont-ils pas être laissés pour compte ? Infériorisés ? Ne risque-t-on pas une vision industrielle ou simplement économique de l’homme qui n’a plus alors de valeur que s’il est compétitif ?
La primauté de l’amour
En tous cas pour nous chrétiens, ce n’est pas la technologie qui nous élève, c’est l’amour. On le voit, le problème du transhumanisme, ce n’est pas le progrès technique en soi, mais la finalité de ce progrès : à savoir s’il s’agit d’aider l’homme ou s’il s’agit de le corriger.
C’est l’humain qui valorise la technologie ; pas la technologie qui valorise l’humain. Je ne suis pas quelqu’un de meilleur parce que je possède un téléphone portable, un puissant ordinateur, que je peux me permettre de voyager plus loin ou même vivre plus longtemps. Mais ça, on le savait déjà...
frère Laurent Mathelot
Le frère Laurent Mathelot est dominicain de la vice-province de Belgique. Mathématicien et théologien, il étudie les questions de logique en philosophie du langage. Il est membre du Groupe Albert-le-Grand qui rassemble des dominicain(e)s réfléchissant sur des questions scientifiques. Il réside actuellement au Couvent Saint Albert-le-Grand de Liège (Belgique).
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