7. Le mal n’existe pas
D’où vient le mal ? Si Dieu est le Créateur de tout l’univers, il a aussi créé le mal. Alors, il n’est pas bon... S'il n'a pas créé le mal, alors il n'est pas unique et tout-puissant... L'énigme semble impossible à résoudre.
Et pourtant, depuis l'Antiquité, les Pères de l'Eglise y réfléchissent. A l'école de l’Écriture, ils nous aident à comprendre que le mal ne tient pas devant le bien absolu qu'est Dieu.
Frère Matthew Jarvis, frère anglais qui a déjà nourri plusieurs réflexions sur notre site, nous éclaire sur cette question philosophique et nous aide à nous tourner résolument vers le bien.
Le dualisme
Il existe une réponse simple et séduisante à la question du mal : Il y aurait deux principes dans l’univers, l’un qui crée le Bien et l’autre qui crée le Mal. On peut les comprendre comme deux Êtres, un Bon Dieu et un Mauvais Dieu, ou comme deux mondes éternels du Bien et du Mauvais en perpétuel conflit : le côté obscur contre le côté lumineux.
Cette vision du monde, on l'appelle le « Manichéisme », elle existe depuis l'Antiquité. Les Manichéens disaient à la fois que le mal est le contraire du bien, c’est ce qui est nuisible, ce qui abîme le bien. Mais surtout, pour eux, le mal est quelque chose en soi, c’est une substance, créée par un Mauvais Dieu. Cette vision avait séduit Augustin dans sa jeunesse. Mais petit à petit, il l’a rejetée.
En effet, cette vision n’est pas cohérente. Si le mal est la corruption d’un bien, elle ne peut pas être quelque chose en soi.
Le mal : un parasite du bien
Il y a une dissymétrie, car le mal est un parasite du bien. Le bien et le mal ne sont pas égaux, ce ne sont pas deux forces équivalentes. Il y a une vraie dissymétrie entre les deux.
Prenons la métaphore de la lumière et des ténèbres, tant utilisée par les dualistes. La lumière, ce sont des particules ou des ondes… mais les ténèbres, c’est une absence de lumière, ce n’est pas quelque chose en soi. Il y a bien une dissymétrie entre la lumière qui est quelque chose, et les ténèbres, qui sont seulement une absence de lumière.
Cette image peut nous aider à comprendre le bien et le mal. Le bien, c’est quelque chose en soi, alors que le mal, c’est une absence de bien.
Le mal ne peut pas exister seul sans résider dans quelque chose de bien. Saint Augustin dit : « Le mal n’existe que dans le bien. » Le mal, c’est un parasite du bien (Cité par saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia, Qu. 48, art. 3 sed contra).
Le mal : une privation de bien
Plus précisément, on dit que le mal, c’est une « privation de bien » (privatio boni dans le latin d’Augustin) parce que, c’est l’absence d’un bien qui devrait être là.
Prenons une image. Un trou dans une chaussette, c’est une absence de tissu qui devrait être là. C’est une privation de bien, c’est un mal. Un trou dans le fromage, c’est normal, c’est une absence normale et attendue.
Toutes les absences ne sont pas un mal, mais le mal, c’est toujours l’absence d’un bien qui devrait être là.
Le mal, une absence réelle
Attention, ce n’est pas parce qu’on dit que le mal est une absence qu’on dit qu’il n’existe pas. On n’est pas obligé de croire que “tout est bien dans le meilleur des mondes possibles” : le mal existe et on le regrette.
Une absence peut être parfaitement réelle. Le dominicain anglais Herbert McCabe OP disait : « Si vous conduisez votre voiture du haut d'une falaise, vous n’avez rien à craindre. Ou plutôt, c’est le rien que vous devez craindre. »
Le mal dans la nature ou dans la volonté
Il y a deux sortes de mal.
1) Le mal peut avoir lieu dans la nature, on parle du mal physique. Par exemple, la souffrance, la maladie et la mort sont l’affaiblissement et finalement la disparition de la vie naturelle.
2) Mais le mal peut aussi avoir lieu dans la volonté humaine, on parle alors de mal moral, ou de péché. Le péché c’est l’affaiblissement et finalement la disparition de la vie spirituelle.
Les anciens, quand ils parlent de péché, parlent d’un manque. En effet, pour parler du péché, ils utilisent un mot qui signifie rater la cible.
« tous ont péché, c'est-à-dire raté la cible, et il leur manque la gloire de Dieu. » (Romains 3, 23)
Le bien est à l’origine de tout
Et Dieu là-dedans ? Dieu est-il responsable de tous les manques dans le monde, s’il a tout créé ?
« Gardez-vous de voir en Dieu l’auteur de la substance du mal ! car n’allez pas vous figurer que le mal a une subsistance propre. La difformité ne subsiste pas, comme subsiste un animal quelconque; et on n’aura jamais sous les yeux son existence. Car le mal est la privation du bien. » (Saint Basile, Homélie Quod Deus non est auctor malorum, PG 29, 340 seq.)
Autrement dit : Dieu crée le bien. Or le mal, c’est une absence de bien. Dieu ne crée pas une absence. Donc Dieu ne crée pas le mal.
Ces réflexions philosophiques sur l’existence sont déjà présentes dans la Bible. Dans le livre de l’Exode, quand Dieu révèle son nom à Moïse sur la montagne, il dit « je suis celui qui est » (Exode 3, 14). C’est comme si Dieu disait que, par définition, il existe. C’est le nom que Jésus va reprendre et s’appliquer à lui-même (Jean 18, 5-6). Et à l’inverse, les idoles, les faux “dieux” sont des “riens”, des vanités, un souffle d’air.
« Nous savons qu'une idole n'est rien dans le monde et qu'il n'est de Dieu que le Dieu unique. » (1 Corinthiens 8, 4)
J'avoue ne pas avoir expliqué pourquoi Dieu permet le mal, ni pourquoi la Lumière n’a pas encore détruit toutes les ténèbres. On peut avoir confiance en Dieu et en sa Providence, mais le mal reste un scandale. Et en effet, on aurait dû s'y attendre. Le mal en soi est une absurdité, un non-sens, finalement inexplicable. Et pour cause: il ne vient pas de Dieu qui, lui, est à l’origine de tout sens.
frère Matthew Jarvis
En 2021, frère Matthew Jarvis étudie les Pères de l’Eglise au couvent du Saint-Nom-de-Jésus, à Lyon. Il nous vient d’Angleterre. Il a étudié la théologie à Oxford et exercé comme aumônier d’étudiant au couvent de Holy-Cross de Leicester.
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