10. Le chapelet, c’est dans la Bible ?
Emmanuel : Jésus a dit de ne pas rabâcher, comme des païens (Matthieu 6, 7), alors, pourquoi est-ce que ceux qui prient le chapelet, ou le rosaire répètent-ils 10, 50 voire 150 fois la même chose ? Le chapelet ça vient d’où ? Le chapelet, c’est biblique ?
La prière de répétition
Emmanuel : « Ne pas rabâcher », ça vient du discours sur la montagne (Matthieu 5, 7). Jésus y enseigne les bases de la vie chrétienne et de la prière. Plus précisément, ici, il rappelle que Dieu n’a pas besoin de nos prières pour savoir ce dont nous avons besoin.
« car votre Père sait bien ce qu'il vous faut, avant que vous le lui demandiez. » (Matthieu 6, 8)
Thomas-Marie : Si on suivait littéralement ces préceptes, on ne prierait pas du tout… Or c’est justement aux versets suivants que Jésus enseigne aux disciples les paroles du Notre Père, la matrice de toutes les prières chrétiennes. Et, pour rappel, le Notre Père est central dans la prière du chapelet : on en prie 5, un après chaque dizaine de « Je Vous Salue Marie ».
Emmanuel : Les paroles du « Notre Père » viennent du Christ, d’accord, mais le fait de les répéter plusieurs fois, ça ce n’est pas biblique.
Thomas-Marie : En fait, il y a quand même une prière de répétition dans l’Ancien Testament, dans le Deutéronome plus précisément, quand Moïse enseigne, sur une autre montagne, comment vivre en alliance avec Dieu.
« Ces paroles que je vous dis, mettez-les dans votre cœur et dans votre âme, attachez-les à votre main comme un signe, à votre front comme un bandeau. Enseignez-les à vos fils, et répétez-les leur, aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout. » (Deutéronome 11, 18-19)
Emmanuel : Je ne vois pas le rapport.
Thomas-Marie : Et bien je dirais que les demandes du « Notre Père » impliquent d’une part un engagement personnel : il s’agit de suivre la volonté de Dieu, de suivre ses commandements. Et d’autre part, elles appellent à une confiance dans l’action de Dieu - or nous lui faisons confiance parce que nous nous souvenons de ce qu’il a fait pour nous. Répéter le « Notre Père », c’est réaliser le commandement donné par Moïse.
Emmanuel : ça fait une seule référence, c’est un peu faible.
Thomas-Marie : A l’autre bout de la Bible, l’Apocalypse nous parle aussi d’une prière qui se répète sans fin, celle des quatre vivants :
« Ils ne cessent de répéter jour et nuit : " Saint, Saint, Saint, Seigneur, Dieu Maître-de-tout." » (Apocalypse 4, 8)
Le « Je vous salue Marie »
Emmanuel : Ok, et la prière à Marie, elle est biblique ?
Thomas-Marie : La première partie l’est. Cela commence avec les paroles que l’archange Gabriel adresse à Marie :
« Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. » (Luc 1, 28)
Et cela continue avec les paroles qu’Élisabeth, la cousine de Marie, lui dit lorsqu’elles se rencontrent, enceintes toutes les deux.
« Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. » (Luc 1, 42)
Emmanuel : Ok, mais l’amalgame n’est pas biblique.
Thomas-Marie : c’est vrai, mais il date au moins du IIIème siècle. On a la trace de l’unité de ces deux textes dans une unique prière dans le Protévangile de Jacques (XI, 1), et chez Tertullien (Traité sur la virginité)
Emmanuel : Par contre la seconde partie est tardive. C’est le pape Pie V qui l’introduit dans le bréviaire, en 1568.
L’intercession
Thomas-Marie : c’est vrai : « Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs maintenant et à l’heure de notre mort » est un ajout tardif. La formulation n’est pas littéralement biblique, mais l’esprit l’est : prier pour les gens, c’est biblique. Dans les Actes des Apôtres, c’est ce que fait l’Eglise, en faveur de Pierre.
« Tandis que Pierre était ainsi gardé en prison, la prière de l'Église s'élevait pour lui vers Dieu sans relâche. » (Actes des Apôtres 12, 5)
Une prière méditative incarnée
Emmanuel : Donc tu vas me faire croire que rabâcher des « Je vous salue Marie » et des “Notre Père”, c’est biblique ? Je ne trouve pas ça très spirituel. Or Jésus demande un culte spirituel :
« Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c'est en esprit et en vérité qu'ils doivent adorer. » (Jean 4, 23-24)
Thomas-Marie : Juste, mais le mystère que le Christ nous révèle, c’est bien l’Incarnation. Le Rosaire est une prière incarnée à double titre : Nous ne sommes pas des anges ou des purs esprits. C’est une prière très adaptée à ce que nous sommes à la façon dont nous fonctionnons. En effet, il s’agit de répéter, pour nous aider à nous concentrer. Et justement, répéter la salutation de l’ange à Marie, c’est méditer sur l’Incarnation. On médite sur les mystères de la vie de Jésus : les mystères joyeux, lumineux, douloureux et glorieux. Le Rosaire c’est comme un résumé de l’Evangile.
Une prière issue de la sagesse médiévale
Emmanuel : Ok, le Rosaire a des racines bibliques, mais cela reste une création humaine, une habitude de prière non biblique mais médiévale.
Thomas-Marie : En effet, on ne médite jamais la Bible sans une méthode ou une habitude qui vient de notre culture. Eh bien le Rosaire est une méditation biblique qui s’appuie sur plusieurs habitudes culturelles qui ont convergé : D’abord, la dévotion à Marie se développe au XIIe siècle, l’époque des cathédrales, l’époque de Notre-Dame. C’est à elle qu’on offre des couronnes de roses (des rosaires) en forme de petit chapeaux (des chapelets). A l’époque, c’est ce qu’on donnait aux fiancées.
Emmanuel : oui, c’est ce que je disais, c’est du folklore.
Thomas-Marie : Il y a surtout quelque chose d’universel dans le Rosaire : la prière de répétition, qui nous vient de l’Orient. A la base du Rosaire, il s’agissait de la répétition des psaumes, mais quand on ne peut pas lire, on répète quelque chose de plus simple : des « Je vous salue Marie ». Au XIIIe siècle, on appelle ça le psautier de Marie. On en répète 150, autant que de psaumes, et on les compte avec des colliers de perles, en bois ou en nœuds.
Emmanuel : on devait s’y perdre
Thomas-Marie : Heureusement le dominicain Alain de la Roche a y mis de l’ordre : les « je vous salue Marie » sont regroupés en dizaine, autour d’un mystère. Les mystères sont regroupés par 5, autour de 3 thèmes, sauf que Jean Paul II a ajouté une 4e série de mystère : les mystères lumineux.
Emmanuel : mais enfin, on n’est pas des perroquets, programmés pour prier.
Thomas-Marie : Non, en effet. Le Rosaire est une prière personnelle : si la prière en communauté, la prière liturgique est la colonne vertébrale de l’Eglise, peu à peu se développe une prière personnelle, le Rosaire participe à ce mouvement appelé “devotio moderna”. Ah oui, le rosaire, c’est moderne...
Chacun peut le prier à son rythme… A cette époque, on a le goût des méthodes. Pour aider à cette méditation de l’Evangile, de la vie du Christ à travers le rosaire, Dominique de Prusse, chartreux à Trèves au XVème, décide d’insérer des petites phrases évoquant la vie de Jésus, son mystère, après l’évocation de son nom dans le “Je vous salue Marie” : ce sont les clausules. 150 petites phrases sur l’enfance, la vie publique et la passion du Christ. Par exemple : “Je vous salue Marie comblée de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, qui a été conçu de l’Esprit Saint à l’annonce de l’Ange, est béni”.
C’est une méthode spirituelle, mais la méthode est pleine de souplesse : chacun prie à sa manière: pour certains, ce sont les mots qui comptent, pour d’autres, ce sont les représentations qui aident. L’important, c’est de se laisser convertir.
Emmanuel : ok, si avec saint Paul on dit que la lettre tue mais que l’Esprit vivifie (2 Corinthiens 3, 6), alors, oui, le chapelet est biblique. Il permet de prier selon l’esprit de la Bible, avec souplesse, en fonction de l’aide dont notre esprit a besoin pour nous aider à nous convertir. Il permet de méditer l’Évangile de la vie du Christ pour laisser nos vies être transformées par elle...
frère Emmanuel Dumont
Le frère Emmanuel Dumont est dominicain de la Province de France. Il a étudié à Fribourg, en Suisse et vécu au couvent d'Evry. En 2021, il vit au couvent de Lille, où il est responsable de ce site ThéoDom, ainsi qu'aumônier de prison.
frère Thomas-Marie Gillet
Frère Thomas-Marie Gillet est dominicain de la Province de France. Après une expérience au Pérou, et quelques années au couvent de Lille, en 2021 frère Thomas-Marie vit au couvent de Tours, d'où il continue ses études sur Jean Chrysostome.
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