8. Le Dieu des juifs s’est incarné
Je crois, au bout de 20 ans à Jérusalem, que le judaïsme nous est nécessaire pour bien professer notre foi en l'incarnation de Dieu en Jésus-Christ. C'est un paradoxe, puisque bien souvent on nous explique que nous partageons beaucoup de choses avec nos amis juifs, mais qu'une chose nous sépare, c'est véritablement la foi en l'incarnation de Dieu en Jésus-Christ.
Les Apôtres, des juifs chrétiens
Tout le milieu dans lequel Jésus évolue, Jésus lui-même, ses disciples et, on peut dire, les premières générations chrétiennes, est largement composé de Juifs. Et dans le judaïsme, si une chose est sûre, c'est que Dieu est absolument unique, et qu'il est transcendant. Si bien que, en effet, l'incarnation de Dieu pourrait sembler difficile à comprendre dans une telle culture. Et cependant, c'est dans cette culture que l'adoration de Jésus est née. Il y a là un vrai paradoxe historique dans lequel il faut essayer d'entrer.
Il est absolument clair que la foi en la divinité de Jésus ne peut pas venir de je ne sais quelle apothéose que des Juifs du Ier siècle auraient fait subir à leur leader. Ce serait purement et simplement une idolâtrie, la chose détestable par excellence dans le judaïsme. il a donc fallu que la révélation de la divinité de Jésus se passe autrement.
Dieu prépare l’Incarnation
D'abord il faut commencer par rappeler que le Dieu d'Israël, celui auquel les disciples de Jésus, les Juifs du Ier siècle sont habitués, est à la fois un Dieu très transcendant, unique, dont le nom est rarement prononcé, qui a son temple entouré de silence à Jérusalem.
Mais c'est en même temps un Dieu proche, c'est le Dieu qui a donné sa Parole dans la Torah. C'est le Dieu dont les lois règlent le moindre détail de la vie quotidienne. C'est le Dieu qui est venu au secours de son peuple, qui continue à nourrir l'espérance de son peuple. Il est à la fois le créateur, et il est lié déjà très fortement à l'humanité, en tout cas à travers ce peuple élu qu’il a choisi.
Eh bien, pour pouvoir se manifester, Dieu en Jésus va reprendre tout le vocabulaire, tout le symbolisme qu'il a mis en place dans ce peuple qu'il éduque à cette époque-là depuis des siècles, pour se manifester.
Je suis
Et de fait, on va voir Jésus tout d'abord parler comme Dieu. Il va prononcer des paroles qui reprennent les paroles de Dieu. Nous nous rappelons tous dans l'évangile de Jean, ces moments où dans ses dialogues, ses disputes avec ses contemporains, tout d'un coup sa parole bute sur « Je suis » : « Si vous ne croyez pas que Je suis, vous mourrez dans vos péchés. »
Pur et impur
En se situant lui-même à la frontière du pur et de l'impur, il se dote aussi d’attributs de Dieu. S'il y a une chose qui manifeste l'action de Dieu dans le judaïsme à l'époque du Temple, c'est la séparation entre vie et mort, entre saint et profane, entre pur et impur. Et les règles de pureté qui gèrent la vie quotidienne ne sont pas là pour embêter les gens mais pour préserver la sainteté du peuple élu.
Lorsque Jésus fait ses guérisons, les évangélistes insistent par une espèce d'effet de zoom sur sa main. Il tend la main et il touche. Il touche la personne qu'on ne doit pas toucher en principe, selon la loi religieuse. Il la touche et il la guérit. On est bien à la frontière entre le pur et l'impur.
Mais alors que pendant des siècles on pensait que cette frontière devait être protégée de la contamination de l'impur, en Jésus c'est le pur qui devient contaminant. C'est tout à fait le même système religieux mais qui se met à fonctionner d'une autre façon, que seule l'autorité divine peut sanctionner. Dieu seul maîtrise la frontière du saint et du profane, du pur et de l'impur et on peut dire qu'en Jésus la Révolution et qui est tout entière à l'intérieur du judaïsme et dans les codes de judaïsme, consiste à faire fonctionner en sens inverse cette frontière du pur et de l'impur. Désormais en lui on n’a plus à craindre la contamination de l'impur, on a à favoriser la contamination du pur.
Les exorcismes
Et une des choses les plus éclatantes qu'il fait, c'est qu'il exorcise en son propre nom. A l'échelle de l'histoire des cultures, c'est quelque chose d'extraordinaire. La formule d'exorcisme, dans les religions sémitiques des millénaires avant Jésus, si l'on remonte à Babylone, et des millénaires après, si on regarde cette formule d'exorcisme dans le judaïsme sépharade ou dans l'Islam d'aujourd'hui, est inchangée. C'est toujours au nom du grand Dieu, du Dieu unique qu’on chasse les démons, puisque Dieu seul contrôle les esprits.
Dans le cadre du christianisme le nom de Dieu est remplacé par le nom de Jésus. Et cela se fait très vite puisque les Evangiles eux mêmes témoignent du fait que des gens ont entendu dire que cela se fait et eux-mêmes utilisent le nom de Jésus pour faire des guérisons, pour faire des exorcismes.
Ceci ne peut pas avoir eu lieu si Jésus lui-même n'a pas, comme le disent les évangiles prononcer les paroles : « Je te l'ordonne, sors de cet homme ». Il a donc engagé son autorité dans l'activité d'exorcisme. Cela est parfaitement scandaleux, encore une fois à l'échelle de cette fixité rituelle.
La Parole s’incarne dans une personne
Dans un deuxième temps on va découvrir qu’en Jésus toutes sortes de figures qui étaient associées d'une certaine manière au Dieu créateur, sont déjà dans les écritures juives.
En Jésus elles sont accomplies et c'est ainsi qu’il va devenir d'une certaine manière la nouvelle Torah, lui-même. Il est vénéré comme le Logos, la parole même, le Memra, le Davar, pour reprendre tous ces mots araméens, grec ou hébreux qui désignent la Parole de Dieu.
On va se rendre compte peu à peu que c'est ce Dieu qui se révélait depuis tant de siècles qui en Jésus n'a plus seulement pris les apparences, si l'on peut dire, de la création et des créatures et de ce qu'elle pouvait nous apprendre de lui. Il ne s'est pas contenté non plus de son incorporation dans le corps de lettres et de textes des écritures. Mais il a voulu être plus clair que jamais si l'on ose dire, en prenant carrément des cordes vocales, des dents, un palais mou, un palais dur, des poumons, tout ce qu'il fallait pour nous parler.
frère Olivier-Thomas Venard
frère Olivier-Thomas Venard est dominicain et vit à Jérusalem depuis de nombreuses années. Il est membre associé au Laboratoire des Etudes Sémitiques (LESA), Collège de France-CNRS, au titre du programme de recherches bibliques et culturels très innovant qu’il dirige : La Bible en ses traditions. Il est membre des conseils scientifiques du Centre de recherche français à Jérusalem et de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. En 2017, le pape François l’a nommé consulteur de la Congrégation pour le Culte Divin.
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