10. Méditer avec l’icône du baptême du Christ
Le saviez-vous, il existe une théologie de l’icône, avec ses grands théologiens et tous les pères de l’Eglise qui ont défendu les icônes pendant la crise iconoclaste au VIIIème siècle. Retenez deux grands noms : Saint Jean Damascène (675-749) et plus près de nous, Leonid Ouspenski (1902-1987). Voici comment Ouspenski nous parle des icônes :
« L’icône transmet le contenu de la sainte Ecriture non sous la forme d’un enseignement théorique, mais de façon liturgique, c’est-à-dire de façon vivante, en s’adressant à toutes les facultés de l’homme. Elle transmet la vérité contenue dans l’Ecriture à la lumière de toute l’expérience spirituelle de l’Eglise, de sa Tradition. »
L’icône du baptême du Christ donne ainsi l’interprétation théologique de l’événement biblique. Elle nous fait aussi découvrir derrière la scène historique un deuxième plan, dogmatique...
La nature humaine de Jésus
Dans l’axe vertical de l’icône, au centre, se tient Jésus, celui qui doit « accomplir toute justice ». L’icône le montre, dans les eaux, nu ou revêtu d’un simple linge sur les hanches. Il apparaît ici dans le Jourdain « selon sa nature humaine », dépouillé de sa dignité divine. Il s’abaisse au moment même où se révèle toute sa majesté. Il est là pour être frère de ceux qui demandent la rémission des péchés. Il assume pleinement sa condition humaine en se soumettant au baptême de Jean-Baptiste qui réprimande les foules : « Repentez-vous, car le Royaume des cieux est proche. »
Jésus ressuscité
La luminosité de son corps contraste avec la noirceur des eaux du Jourdain. Par là, nous est rappelé que le baptême de Jésus est l’anticipation de sa mort et de sa résurrection, telle que Jésus l’a déjà annoncée à ses disciples :
« Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisé du baptême dans lequel je vais être plongé ? » (Marc 10, 38).
Le Christ descend dans l’obscurité des eaux de la mort, délimitées par le découpage abrupt des rives du fleuve.
Avez-vous remarqué un autre détail ? Son attitude montre son autorité et son assurance : il bénit d’une main, il nous bénit et esquisse un pas en avant comme pour nous inviter à le suivre.
Jésus messie
Le baptême de Jésus au Jourdain inaugure une réalité nouvelle : le Fils devient le Messie, qui par sa soumission à la Loi affranchit tous les hommes. Il commence sa vie publique par cette soumission à la Loi qui trouvera son achèvement dans le don de sa vie sur la croix. Ainsi dans la mort du Fils de Dieu, préfigurée par l’immersion dans les flots du Jourdain, le baptême trouve la plénitude de son sens, il devient sacrement.
En face de Jésus, Jean-Baptiste. Dans son attitude s’exprime toute sa crainte en reconnaissant Jésus :
« C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ! » (Matthieu 3, 14).
Le visage tourné vers lui, Jésus lui a répondu :
« Laisse faire pour le moment, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice. » (Matthieu 3, 15)
La main gauche élevée vers le ciel désigne l’Esprit Saint symbolisé par la colombe. Son autre main est tendue vers Jésus, osant à peine toucher la tête du Fils de Dieu.
Le mystère trinitaire
L’icône révèle aussi le Mystère trinitaire. Portons le regard sur le haut de l’icône. Au centre de la composition, sur la ligne verticale, des rayons de lumière descendent vers le Christ qui se tient dans les eaux. Ils prennent leur origine dans une demi-sphère, en trois cercles concentriques d’un ton bleu-vert, symbole de la Divinité en trois personnes. Souvent, apparaît dans cette sphère la main bénissante du Père :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. » (Matthieu 3, 17)
Au bout des rayons, on trouve aussi sur certaines icônes la colombe lumineuse que Jean-Baptiste aperçut, symbole de l’Esprit Saint et lien d’amour personnifié entre le Père et le Fils. La lumière se sépare en trois rayons pour signifier que toute action de Dieu est l’œuvre de ces trois Personnes divines. L’icône du baptême du Seigneur est le seul cas où la colombe peut légitimement représenter l’Esprit Saint, parce que le récit évangélique l’impose.
Les anges
C’est ici, au Jourdain, pendant le baptême du Christ, que Dieu révèle le mystère de son être pour la première fois. Les évangiles ne nous parlent pas d’eux. Mais sur la rive opposée, trois anges s’inclinent devant leur maître, les mains voilées en signe de respect devant ce mystère qui les dépasse. Parfois, un ange lève la tête pour contempler le ciel ouvert ou la colombe, pendant que les deux autres anges frémissent d’effroi à la vue du Dieu incarné, immergé dans le Jourdain.
Les eaux du Jourdain
Jetons un dernier regard sur les eaux dans lesquelles le Christ est plongé. Depuis la chute de l’homme, leur rôle est ambigu : elles donnent la fertilité et la vie, mais elles peuvent aussi devenir déluge. Par le baptême du Christ, Dieu en fait l’instrument du salut. L’icône exprime cela en présentant les eaux en tourbillons et par les allégories de la mer et du Jourdain.. Rappelez-vous du psaume 113, repris pendant la célébration liturgique de la fête du Christ :
« Qu’as-tu, mer, à t’enfuir ; Jourdain, à retourner en arrière ? Tremble, terre, devant la face du Dieu de Jacob. » (Psaume 113 A, 5)
A gauche, le dos tourné, un personnage muni d’un vase symbolise le Jourdain. A droite, un autre personnage symbolise la mer. Couronné et chevauchant un dragon, il s’éloigne vers le rivage.
Tous deux représentent aussi les forces de la mort, terrorisées par l’annonce de leur défaite et définitivement vaincues par la mort et la résurrection du Christ.
C’est aussi le sens qu’il faut donner à l’ouverture de la montagne, rappel de la victoire du Christ sur l’enfermement du péché.
Et puis il y a aussi ces poissons dans les eaux du Jourdain. Ils sont symboles du baptême des chrétiens qui ont reçu par le sacrement, la ressemblance avec celui qui est représenté dans les catacombes par le symbole du poisson.
Notre regard revient au Christ qui est le centre de toute la composition. « Il y eut une voix venant des cieux : Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. » Cette parole solennelle du Père exprime sa volonté de donner à l’humanité le Sauveur.
Sur la rive, derrière Jean-Baptiste, un arbuste, avec une hache contre le tronc rappelle sa parole : « Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. »
La richesse de cette icône nous permet de mieux saisir l’importance de la fête du Baptême du Christ. Elle nous montre ce qu’est la révélation du Christ au monde : comment son geste d’humilité est le dévoilement de sa vraie nature, tout à la fois divine et humaine. Elle nous dévoile aussi le mystère de la Trinité, révélation de la vie divine et révélation de la vraie nature du monde aux yeux de la foi.
sœur Anne-Claire Dangeard
Sœur Anne-Claire est dominicaine de la Congrégation Romaine de Saint Dominique. Après quelques années au couvent de Poitiers, d'où elle était responsable des Médias à la Conférence des religieux et religieuses de France, elle est depuis 2021 prieure du couvent de Nancy et en charge de la proposition "Carême dans la Ville". Elle accompagne des groupes de jeunes en pastorale, notamment à travers l’animation d’ateliers d’écriture d’icônes.
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