Si saint Thomas place l’homme dans un statut absolument spécifique parmi les créatures, ce n’est pas pour autant qu’il le considère comme totalement différent
3. L’humain, un animal comme les autres ?
Si saint Thomas place l’homme dans un statut absolument spécifique parmi les créatures, ce n’est pas pour autant qu’il le considère comme totalement différent des animaux. Bien au contraire, il nous donne le moyen de penser que nous avons beaucoup en commun avec les animaux, ce qu’il appelle les puissances végétatives et sensibles de l’âme : notre capacité à vivre, à nous reproduire, à nous maintenir dans la vie, à nous déplacer, à être sensibles au monde et à réagir à ce que nous percevons. La différence réside dans le fait que ces capacités sont placées chez l’homme sous le gouvernement d’une dimension de l’âme que les animaux n’ont pas, l’âme rationnelle, c’est-à-dire l’intelligence qui nous permet de penser de façon abstraite et la volonté qui nous permet de désirer et d’agir intelligemment.
C’est une pensée complexe, mais qui nous permet de dire que nous avons beaucoup en commun avec les animaux sans être pour autant des animaux parmi d’autres.
Aujourd'hui, on entend souvent que l'homme est un animal comme les autres. Un tel propos peut s'appuyer sur la génétique, sur la biologie ou sur certaines conceptions d'ordre écologique, qui vont dire que « l'Homme est un animal comme les autres ». Il est même éventuellement un petit peu plus dangereux que les autres.
Or la question, nous devons la prendre au sérieux et nous demander ce qui nous différencie des animaux. Est-ce que nous sommes différents ? Est-ce que nous sommes des animaux comme les autres ? Il y a des enjeux dans la conception que nous avons de l'homme mais également, bien évidemment, pour notre comportement à l'égard des animaux.
Le langage
Quand on constate des capacités chez l'animal que l'on pense voir aussi chez l'homme, quand on voit des dauphins, des abeilles, qui s'échangent des informations, on peut être tenté de penser qu’ils communiquent, comme nous. Et certains vont même aller jusqu'à dire que les dauphins et les chevaux ont un langage. Simplement, nous ne le connaissons pas.
Ici il faut oser se poser la question et comprendre que communiquer des informations ce n'est pas la même chose que parler. Nous sommes en train de découvrir en effet que ces animaux ont des capacités incroyables de communication d'informations très précises, pour localiser une réserve de nourriture ou pour prévenir de la présence d'un prédateur. Mais la grande différence, c'est que l'être humain ne se contente pas de communiquer des informations. Il parle et quand il parle, il va dire plus que ce qu'il dit. Il va même quelquefois utiliser des métaphores. Le dauphin ne le fait pas.
L’abstraction
La deuxième différence c'est que l'animal n'a pas la capacité qu'a l'homme de penser, de se représenter les choses de manière abstraite. On a pu souligner que certains animaux manifestent qu'ils peuvent avoir le pressentiment d'une mort prochaine. Mais avoir le pressentiment de la mort qui arrive, ce n'est pas du tout la même chose que de penser la mort. Une des grandes différences entre un dauphin et Emmanuel Kant, c'est que jamais un dauphin nous pourra écrire ni lire la Critique de la raison pure. L'être humain est le seul parmi les vivants à avoir cette capacité de penser, et entre autres, de penser la mort, comme une dimension constitutive de sa vie. Même d'un point de vue philosophique nous pouvons dire que l'homme n'est pas un animal comme les autres.
La relation de l’humain à l’animal
Mais si nous affirmons cette différence, il nous faut tout de suite nous donner les moyens de penser la relation de l'homme avec les animaux. Parce que si nous nous contentons de dire l'homme est un être tellement supérieur aux animaux, on arrive aux catastrophes que l'on connaît. C'est-à-dire, on arrive très vite à l'idée que l'homme est là pour dominer et utiliser le reste de la nature.
Ici encore Thomas d'Aquin nous donne à penser quelque chose, quand il présente ce qui constitue un être humain. Il va alors décrire des facultés qu’il appelle des « puissances de l’âme ». Vous pourrez dire des « dimensions de notre être », peu importe le vocabulaire. Beaucoup de ces dimensions sont communes avec les animaux. Nous sommes vivants, donc nous avons une capacité à vivre. Nous avons une capacité à nous maintenir dans la vie en nous nourrissant. Nous avons une capacité à nous reproduire. Et puis nous avons aussi tout ce qui est de l'ordre de la sensibilité, qui n'est pas simplement une forme de réceptivité au monde, mais aussi, dans ce registre là, une forme de capacité à réagir à ce qui atteint notre sensibilité. Tout cela, nous l'avons en commun avec les animaux.
Ce qui n'est pas commun avec les animaux c'est ce qui est au dessus, c'est à dire ce qui nous permet de penser et de vouloir : l'intelligence et la volonté sont propres à l'homme.
Mais elles ne sont pas comme un troisième étage de fusée qui se déconnectent du reste. Elles ne sont pas non plus placées comme un espèce de tyran, qui du haut de son trône écrase le bon peuple en dessous. Il y a cette collaboration profonde de toutes nos facultés, qui fait que l'intelligence et la volonté ne pourraient pas s'exercer si elles n'étaient pas appuyées sur le fait que nous soyons vivants.
Nous avons donc beaucoup en commun avec les animaux, mais en même temps tout ce que nous avons en commun, cette capacité à vivre, cette sensibilité, cette capacité à se souvenir, à réagir, tout cela est transformé par le fait que nous sommes des êtres intelligents et des êtres parlants. Et c'est pour ça que nous pouvons affirmer solennellement que un repas de Noël en famille, ce n'est pas simplement l'occasion d'absorber les nutriments nécessaires. Le repas humain est bien plus que l'absorption de ce qui nous est nécessaire. Il a une dimension relationnelle, culturelle et symbolique. Et nous savons bien que quelquefois, des conseils diététiques nous laissent un peu dubitatifs parce que, si on nous parle uniquement d'énergie, de calories c'est vrai mais on pourrait presque dire que ce n’est pas humain.
On pourrait dire que nous avons une manière humaine de vivre ce que nous avons en commun avec les animaux.
frère Jean-Marie Gueullette
Titulaire d'un doctorat en médecine et d'un doctorat en théologie catholique, frère Jean-Marie Gueullette a obtenu l'habilitation à diriger les recherches en histoire moderne. En 2020 au couvent du Saint-Nom-de-Jésus à Lyon, il enseigne la théologie morale à l'Université Catholique de Lyon.
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