9. Aimer, à l’image de Dieu.
Aujourd’hui, nous allons aborder la question de l’homme créé à l’image de Dieu d’une autre manière. Jusqu’à présent, nous avons surtout regardé l’être humain, ses capacités, ce qui le constitue, en cherchant en quoi on peut y voir l’image de Dieu. Mais nous pouvons aussi méditer cette question majeure de l’anthropologie théologique en considérant, comme y invite l’encyclique « Laudato si », l’homme comme un être relié, à l’instar de toutes les créatures.
Nous avons pu, jusqu’à présent nous pencher sur l’être humain pour l’examiner théologiquement, un peu comme s’il était seul sur la table d’examen du médecin. Mais nous avons déjà vu que la Bible nous impose de ne pas penser l’humain solitaire comme créé à l’image de Dieu, c’est bien comme homme et femme que nous le sommes. La différence, ordonnée à la relation, entre homme et femme est constitutive de cette image.
Poursuivons dans ce sens. L’encyclique « Laudato si » nous invite à toujours penser à partir des relations d’interdépendance qui nous unissent, non seulement au sein de l’humanité, mais également avec toutes les créatures. Nous reviendrons sur le rapport aux autres créatures dans une autre vidéo, mais ici nous allons nous arrêter déjà aux relations entre nous.
Est-ce que l’image de Dieu ne se voit que dans la manière dont un être humain est fait ? Si nous sommes à l’image de Dieu, il est fort probable que quelque chose de cette image va transparaître aussi dans notre manière d’aimer, puisque nous avons entendu dire que Dieu est amour. Nous abordons un domaine peut-être encore plus délicat que l’anthropologie car nous savons bien que nos manières d’entrer en relation, nos manières d’aimer les autres, conjoint, amis, prochain, étranger… sont toujours marquées par des formes d’ambivalences. Nous aimons les autres, mais nous nous aimons aussi souvent nous-mêmes dans les autres, sans vraiment nous soucier de l’autre.
Le concile Vatican II a employé sur notre sujet une formulation très profonde, et très prudente : Quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que « tous soient un, comme nous nous sommes un. (Jean 17, 21-22) », il ouvre des perspectives inaccessibles à la raison et il nous suggère qu’il y a une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour. (Gaudium et Spes, § 24)
Des perspectives inaccessibles à la raison : il fallait la Révélation, il fallait que Dieu se donne à connaître en parlant notre langue humaine pour que nous ayons accès à un tel mystère. L’effort de connaissance que peut être la philosophie par exemple ne pouvait aboutir à une telle idée. Quelle est cette idée inaccessible à la raison humaine seule ? Elle repose dans la citation de l’évangile de Jean, la prière de Jésus après la Cène, dans le « comme ». Que tous soient un comme nous nous sommes un. La recherche, jamais terminée, de l’unité entre nous ne vise pas seulement la paix au sein des familles, des communautés ou des sociétés. Il ne s’agit pas de bien s’entendre pour vivre ensemble. Mais en faisant cela, qui est déjà bien nécessaire, de découvrir, stupéfaits, que cette unité que nous cherchons à construire a quelque chose à voir avec l’unité par excellence qui est celle des trois personnes, Père, Fils et Saint Esprit.
Mais voyez bien la prudence du texte conciliaire. Il ne nous assène pas que dès que nous aimons, il y a Dieu, sous prétexte que « Dieu est amour », comme on l’entend trop souvent. Le concile énonce que le Seigneur « suggère qu’il y a une certaine ressemblance », entendez la prudence : une certaine ressemblance entre l’union au sein de la Trinité et l’union entre nous dans la vérité et l’amour.
Magnifique, grandiose et bouleversant : lorsque nous nous engageons dans des relations fondées sur la vérité et l’amour, il y a une certaine ressemblance avec ce qui unit les personnes divines. Nous vivons déjà quelque chose qui à voir avec ce qu’est Dieu. Vous entendez bien que nous sommes ici bien au-delà d’une prescription morale visant la paix sociale. Nous sommes devant la mise en œuvre de ce que l’on appelle une vertu théologale, la manière dont Dieu nous rend capable d’agir, d’une façon qui ne serait pas accessible à nos seuls efforts, et cela nous permet de participer à sa vie.
Les chrétiens ne sont pas appelés à aimer parce que ce serait un ordre donné par Jésus et retransmis par l’Église. Nous sommes appelés à aimer et rendus capables d’aimer par Dieu, car c’est ainsi qu’il nous fait participer à sa vie. Et alors notre amour, fondé sur la vérité, est porteur d’une certaine ressemblance avec l’amour qu’est Dieu. La communion entre nous porte la trace de la Trinité qui en est la source : elle est donc union sans confusion, reconnaissance de la différence au sein même de la communion la plus profonde.
Quand la morale chrétienne est ainsi enracinée dans la foi et dans le mystère de Dieu, elle prend une tout autre ampleur !
frère Jean-Marie Gueullette
Titulaire d'un doctorat en médecine et d'un doctorat en théologie catholique, frère Jean-Marie Gueullette a obtenu l'habilitation à diriger les recherches en histoire moderne. En 2020 au couvent du Saint-Nom-de-Jésus à Lyon, il enseigne la théologie morale à l'Université Catholique de Lyon.
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