9. La guerre « juste »
Le Pape François dans son discours d’Hiroshima de 2019 a condamné la possession d’armes atomiques, qu’il juge immorale et criminelle. Mais vous me direz, qui est le pape pour condamner la guerre et ses pratiques ?
La guerre juste dans la Bible.
Dans la Bible, il n’y a pas grand’ chose au sujet de la guerre. Bien sûr, il y a des guerres affreuses dans l’Ancien Testament, mais elles ne sont jamais arbitraires. Il y a des règles de conduite à la guerre, et des critères d'engagement. Par exemple, le Deutéronome interdit de provoquer la famine (Deutéronome 20, 19).
Les prophètes décrivent l’accomplissement de la promesse de Dieu comme un règne de paix. (Michée 4, 3 et Isaïe 2, 4)
« Ils briseront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes. » (Isaïe 2,4)
Jésus se dit « artisan de paix » et il le montre quand il vit la Passion. Il invite ses disciples à ne pas faire usage de la violence (Luc 22, 50).
D’un côté, Jésus déclare dans son sermon sur la Montagne :
« Ne vous opposez pas à celui qui est méchant ; mais qui te gifle sur la joue droite, tourne aussi vers lui l’autre joue. » (Matthieu 5, 39)
Et de l’autre côté, on voit que Jésus utilise la force pour chasser les marchands du Temple (Jean 19, 45).
Ainsi, si on en reste à la Bible, il y a un refus de la violence, mais il n’est pas absolu. Il faut interpréter et distinguer.
La différence entre violence et force
La force, c’est un pouvoir d’agir, et la violence, c’est la force, utilisée pour contraindre.
La violence est condamnable car elle rabaisse l’homme, elle nie son altérité et sa liberté. C’est de ça dont parle le Décalogue avec le commandement : « Tu ne tueras pas » (Exode 20, 13).
Par contre Jésus montre sa force par la puissance de sa Parole et des Signes qu’il pose. Il ne fait violence qu’aux démons.
L’Église justifie l’entrée en guerre
L’Eglise a toujours cherché à encadrer le recours aux armes et la manière de faire la guerre.
Saint Augustin justifie le premier la guerre au nom de la charité. Il développe un courant de pensée dans lequel la paix est un idéal à atteindre, mais un chrétien doit agir en tenant compte de la réalité du péché qui travaille le monde.
Saint Thomas d’Aquin, à la question 40 de la Secunda Secundae de sa Somme théologique, pose 4 critères pour légitimer l’entrée en guerre, ce qu’il appelle en latin « jus ad bellum » :
1) Une autorité légitime le demande.
2) Toutes les autres options favorables à la paix ont été épuisées.
3) L’entrée en guerre vise à lutter contre une injustice réelle.
4) Il y a un espoir légitime de vaincre l’agresseur.
On y ajoute souvent l’idée d’ultima ratio, c’est-à-dire de dernier recours. On n’entre en guerre que si tous les moyens diplomatiques ont été épuisés et qu’on a une chance raisonnable de succès.
Ce qui est paradoxal, c’est que si on valide tous ces critères, on n’a normalement plus aucune raison valable d’entrer en guerre.
Comment se comporter durant une guerre ?
Encadrer le recours justifié aux armes ne suffit pas. Il faut encadrer la manière dont on s’en sert. Même dans une guerre pour une juste cause, on peut se comporter de manière injuste.
Pour saint Thomas, un comportement juste pendant la guerre, (c’est le jus in bello), devrait répondre à deux critères :
1) la distinction entre civils et combattants.
2) la proportionnalité à l'attaque ou à la menace subie.
L’Eglise essaye d’encadrer le recours à la force
Oui, au Moyen-Age, le pape Innocent III avait en effet interdit les arbalètes parce que cette arme permettait à une seule personne de tuer trop de monde. Elle était trop meurtrière. Mais cette prise de position a été reprochée à l'Église dès le départ. À cause de cette décision, l'Église a été tournée en dérision et l’interdit n’a jamais été respecté. De ce fait, l’Eglise n’a plus jamais tenté de limiter l’armement pendant 8 siècles.
Les changements de l’armement au XXe siècle changent la donne. La guerre totale émerge. Et les papes prennent position à nouveau pour condamner l’usage de certaines armes. Le Saint-Siège devient signataire de tous les traités de désarmement.
La difficulté de justifier la guerre aujourd'hui
Après l’effondrement du bloc soviétique, la guerre se complexifie et devient asymétrique. Les critères édictés ne suffisent plus pour encadrer le recours à la force.
L’arme nucléaire n’a pas mis fin à la guerre. Au contraire, des moyens toujours plus nombreux et variés de faire la guerre ont émergé : terrorisme, guerre économique, armes NRBC, drones armés, guerre cyber, etc.
L’intention varie selon les auteurs : derrière des idées pieuses, des réalités affreuses. Par exemple, l’opération Enduring Freedom de 2003 marque l’invasion de l’Irak sur des fausses accusations de possession d’armes biologiques.
La position des papes au XXe siècle
Constatant ces changements dans la manière de faire la guerre, les papes ont pris position au nom de l’Eglise. Voici 3 exemples :
Benoît XV parle de la Première Guerre Mondiale comme de la tragédie de la folie humaine, d’une boucherie, même d’un suicide.
Le Concile Vatican II, dans Gaudium et Spes déclare :
« Il est donc clair que nous devons tendre à préparer de toutes nos forces ce moment où, de l’assentiment général des nations, toute guerre pourra être absolument interdite ». (Gaudium et Spes, 82)
Paul VI en 1965 dans son Discours à l’ONU lançant son appel : « Plus jamais la guerre ! ».
La déclaration du pape François
Dans ce contexte, le pape François a décidé d’apporter une parole prophétique sur la guerre dans son encyclique de 2020 Fratelli Tutti sur la fraternité. Je cite :
« Il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible “guerre juste”. » (Fratelli Tutti, 258)
La guerre est injuste car elle menace :
1) L’humanité entière et l’environnement, notamment du fait de l’arme nucléaire
2) Les plus fragiles, car ils sont les premières victimes en cas de conflit.
3) Les plus pauvres, parce que les budgets de l’armement pourraient être dépensés autrement.
Ainsi, le pape dénonce le danger d’interpréter abusivement les critères issus de la théorie de la « guerre juste » pour donner une légitimité à certains actes de guerre.
Néanmoins, on peut se poser la question de savoir s’il ne vaut pas mieux disposer de quelques critères pour éviter le pire dans une situation de conflit armé.
Vu les atteintes à la dignité humaine et l’entrave majeure à la réalisation d’un bien commun, la guerre est injustifiable. Cela ne doit pas empêcher chaque chrétien d'œuvrer en faveur de la paix et de la justice dans le monde.
Bibliographie :
CAVANAUGH, W., Comme un hôpital de campagne, Paris, Desclée de Brouwer, 2016.
COSTE, R., Théologie de la paix, Paris, Éd. du Cerf, « Cogitatio fidei » 203, 1997.
WALZER, M., Guerres justes et injustes, [1977], Paris, Éd. Gallimard, 1992².
Sur l’interdiction des arbalètes en 1139 : « 29. Nous défendons sous peine d’anathème que cet art meurtrier et haï de Dieu qui est celui des arbalétriers et des archers soit exercé à l’avenir contre des chrétiens et des catholiques. » in ALBERIGO G. (dir), Les conciles œcuméniques, Tome II-1, Les décrets : Nicée I à Latran V, Paris, Ed. du Cerf, 1994, p 445 ; en notes du Chap. 1, Décrétales, V, 15, sous le nom du pape Innocent III (Fr. 2, 805).
frère Etienne d'Ardailhon
En 2021, frère Etienne est frère étudiant au couvent de Lyon. Avant d'entrer dans l'Ordre des Dominicains, il travaillait comme analyste marketing dans l'industrie de la défense.
Une question ? Un commentaire ?
Réagissez sur notre forum