5. La grâce et la paix, sens de la mission.
« A vous la grâce et la paix », c'est comme ça que Paul commence plusieurs de ses lettres, par cette salutation. Alors, comme bibliste, je suis un peu comme un balayeur de rue, qui enlève toute la poussière accumulée, non pas sur le trottoir, mais ici sur les mots de la religion, les mots usés que nous employons, que nous entendons, dont nous ne savons plus très bien le sens.
La grâce
Alors justement aujourd'hui, la grâce.
« Paul, Sylvain et Timothée, à l'église des Thessaloniciens, qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus-Christ, à vous la grâce et la paix. »
Qu'est-ce que ça veut dire « la grâce » ? C'est un autre mot pour dire « le don », pour dire « la gratuité ». Nous sommes sauvés par grâce et non pas par l'observance de la loi.
L’opposé des pharisiens
Nous ne sommes pas sauvés par par notre perfection, même si nous sommes appelés à devenir des saints.
Au point de vue logiciel, si vous voulez, c'est l'opposé du logiciel de pharisien qu’était Paul : fier d'être observant, parfait, irréprochable. Rappelez-vous la parabole du pharisien et du publicain dans l'Évangile. Lorsque le pharisien s'avance devant Dieu, dans sa prière, pour dire : « Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de mes biens – entre parenthèses, c'est pas mal – mais je ne suis pas comme ces publicains, ces pêcheurs… » Et Jésus dit : « mais c'est le publicain qui s'en retourne pardonné », parce que le premier est tellement orgueilleux et sûr de lui, qu’il n'a pas besoin de salut.
Eh bien le Paul pharisien qui se voyait comme irréprochable, a été rejoint au chemin de Damas par le Christ, qui lui a révélé son amour. Et Paul, par conséquent, dorénavant, va se voir comme objet de la miséricorde de Dieu : « Il m'a été fait miséricorde à moi aussi, j'ai persécuté l'Église de Dieu… »
A partir de ce moment, l'irréprochable, sûr de lui pharisien, devient un homme beaucoup plus humble, aimé par le Christ, et qui va faire découvrir aux pécheurs, aux non-juifs que, eux aussi, sont aimés.
La grâce, le premier mot du Nouveau Testament ?
Donc ça nous montre l'importance de ce petit mot « la grâce ». Il intervient une centaine de fois dans les lettres pauliniennes. Alors c’est significatif, le fait que dans la salutation, comme toute première ligne, de cette première lettre, ce premier document du christianisme, on a ce souhait que la grâce et la paix soient avec vous. C’est tout à fait important.
La première liturgie
Le renouveau liturgique nous l’a redonné comme salutation, au début de la messe. Ce n’est pas seulement : « le Seigneur soit avec vous », mais « vous donne la grâce et la paix ». Cette salutation, elle nous vient des premières communautés chrétiennes. C'était déjà une salutation de type liturgique.
Et au lieu de dire simplement, comme les lettres de l'Antiquité : « salut », ou bien « porte-toi bien » – c'est ainsi que les lettres commençaient – la lettre chrétienne et apostolique de Paul commence par « La grâce et la paix soit avec vous ».
C'est parce que nous ne sommes pas sauvés par notre perfection, nous sommes appelés à devenir des saints, mais nous ne pouvons le devenir qu'avec l'aide de Dieu.
De la grâce à la paix
Tout le monde est appelé parce que tout le monde est né. Et ça c'est une bonne nouvelle radicale et fondamentale, si bien que nous sommes par-là conduits vers la paix.
Saint Thomas d'Aquin, dans le commentaire qu'il donne aux lettres pauliniennes, écrit que cette petite salutation : « la grâce et la paix », c'est le début de la vie spirituelle, c’est le but et la fin de la vie spirituelle.
Pourquoi c'est le début ? Parce que c'est l'accueil du pardon de Dieu. Et pourquoi c'est la fin ? Mais parce que cela me conduit à être pacifié, dans une relation de paix avec Dieu, puisque je suis aimé et sauvé par le Christ. Attitude de paix aussi avec les autres… Et puis, paix aussi avec moi-même. De la grâce à la paix…
Ambassadeurs de paix
Et Paul est devenu ainsi ambassadeur de la grâce du pardon, et puis un créateur de communion et de paix. Si bien que cette petite salutation, ce ne sont que deux mots. Ces deux mots qui nous sont proclamés aussi au début de l'Eucharistie. Eh bien, ils signalent un itinéraire, l’itinéraire de l'éblouissement du chrétien qui sait qu’ il a reçu un don merveilleux. Le Christ a donné sa vie pour moi et cela peut me transfigurer, me transformer.
Et je suis devenu un ambassadeur de ce don gratuit pour les autres, et par là aussi un ouvrier de paix (et pas de division).
Nous savons que la poursuite de la perfection va souvent avec de l'orgueil : (qui est meilleur que l'autre ? qui est plus observant que l'autre ?) Tout cela amène à des divisions, alors que si nous vivons de la gratuité du salut, c'est plutôt un chemin de communion et c'est un chemin de paix.
Voilà comment deux petits mots qui pourraient être empoussiérés et fatigués : « la grâce et la paix » signalent en fait un don extrêmement profond et précieux : le don de Dieu à chacune et chacun.
Pour aller plus loin :
frère Jean-Michel Poffet, Évangéliser oui, mais comment ? Paris, Cerf, 2022.
frère Jean-Michel Poffet
Frère Jean-Michel Poffet habite à Fribourg, en Suisse. Il est bibliste et a été directeur de l'École biblique et archéologique française à Jérusalem de 1999 à 2008 et en 2023. Il a publié de nombreux ouvrages : La Patience de Dieu. Essai sur la miséricorde (Desclée, 1992), Jésus et la Samaritaine (Cahier Évangile, Cerf, 1995), Paul de Tarse (Nouvelle Cité, 1998), Heureux l'homme, la sagesse chrétienne à l'école du Psaume 1 (Cerf, 2003), Regards sur le Christ (Parole et Silence, 2017), 7 petits mots de l’Évangile (Cerf, 2021). Cette série ThéoDom fait suite à la réflexion que frère Jean-Michel a mené en écrivant : "Évangéliser, oui mais comment ?" (Cerf, 2022).
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