6. Le sacrifice d’Isaac
Abraham a longtemps attendu Isaac, le fils promis par Dieu, mais voilà que Dieu dit à Abraham de prendre son fils bien-aimé et de le sacrifier. Pourquoi Dieu lui promettrait-il un fils, puis le lui enlèverait-il ? Au mieux, cela ressemble à une étrange incohérence. Au pire, c’est un mauvais tour.
Le problème
Dieu a-t-il vraiment demandé à Abraham d’offrir son fils en holocauste ? Abraham comprend-il mal ? Le texte en hébreu dit :
Dieu dit : « Prends ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac. Va-t'en au pays de Morija et là emmène-le pour l’holocauste sur l'une des montagnes que je t'indiquerai. »” (Genèse 22, 2)
Le texte ne dit pas explicitement que Dieu demande le sacrifice d’Isaac… Dieu demande un holocauste… mais on a l’impression qu’Abraham comprend que c’est son fils qui doit être la victime…En fait on ne sait pas ce qu’Abraham a compris. Autour de lui, dans le monde ancien, il y a des sacrifices humains … partout ! On offre des enfants à des divinités.
Presque tous les commentateurs de la Bible, juifs ou chrétiens, ont compris que Dieu demandait à Abraham d’immoler Isaac. C’est horrible, inaudible, inacceptable ! Que faire ?
Entrer dans l’interprétation
Ce texte insupportable doit être interprété. Sans interprétation, ce texte est ouvert à toutes les folies religieuses. Il faut le lire et le relire, le réinterpréter à chaque génération.
Quand nous lisons Genèse 22, nous pouvons penser : "Comment Dieu aurait-il pu exiger cela ? Mais quand nous regardons l'histoire avec un regard croyant, nous pouvons nous demander : "Qu'est-ce que Dieu a voulu que nous apprenions à travers cela?"
Dans tout texte biblique, il y a plusieurs voix qui s’expriment, il existe plusieurs voies d’interprétation. On ne cherche pas à donner un principe de récapitulation. Le texte est ouvert à de multiples interprétations, il est tout sauf fermé. Et si on vous proposait un parcours d’interprétation : plusieurs voies, plusieurs sens ?
Interprétation morale
Si on adopte cette voie d’interprétation, Abraham serait un exemple à suivre. Est-ce qu’on est prêt à tout faire pour Dieu ? Ici, le modèle proposé, c’est celui de l’obéissance d’Abraham : il est prêt à faire ce que Dieu lui demande, à sacrifier son fils, mais surtout il obéit à l’ange qui lui demande d’épargner l’enfant. Dans tous les cas, Abraham n’écoute pas sa propre volonté mais celle de Dieu, du début à la fin. Cette obéissance sera récompensée : Dieu lui donne un peuple et son mérite rejaillit sur tout Israël.
Interprétation psychologique
Le sacrifice d’Abraham est aussi appelé la “ligature d’Isaac” dans le judaïsme. A la fin, Abraham, obéissant à l’ange, doit délier son fils, il y a une forme de « décrochage », quelque chose qui se délie.
Marie Balmary (Le sacrifice interdit, Paris, Grasset), en 1986, lit le passage en fonction de son expérience psychanalytique clinique :
Abraham ne comprend pas la demande divine. Ce n’est pas son fils Isaac qu’il doit lier et sacrifier en le tuant, c’est sa paternité mal comprise qui doit être sacrifiée, déliée pour qu’Isaac devienne un homme adulte et libre.
Interprétation spirituelle
Ce texte donne par excellence le sens du test et de l’épreuve. Le texte dit “Dieu mit Abraham à l’épreuve” (Genèse 22, 1). En apparence, c’est une expérience de mort, insupportable, mais en fait Dieu nous demande, avec sa grâce, de choisir la vie. Chacun passe par des moments difficiles, parfois insurmontables, mais pourtant Dieu est là, prêt à nous appeler à la vie, à nous faire dépasser nos peines et nos incompréhensions.
Interprétation théologale
Ce qui est “théologal” est ce qui vient de Dieu et qui a Dieu pour objet. Ce passage inaugure une nouvelle relation entre Dieu et Abraham.
Abraham persévère dans la foi, en toutes circonstances, et s’ajuste à Dieu. S’il s’était rebellé, peut-être n’aurait-il pas été disponible pour entendre le « ne lui fais pas de mal » de Dieu, et il serait sans doute resté dans l’erreur. Il aurait continué à croire en un dieu cruel qui n’est pas le vrai Dieu. Ce texte nous dit la possibilité d’un changement, d’une conversion : Abraham abandonne ses idoles, ses fausses conceptions, pour découvrir de mieux en mieux le vrai Dieu.
Interprétation typologique
Ce qui est “typologique”, c’est ce qui, dans l’Ancien testament, annonce le Christ. Un “type” est une “figure”, un événement ou encore un personnage. Avec cette forme d’interprétation, on rapproche l’Ancien du Nouveau Testament, on les compare.
Traditionnellement, Isaac lié représente le Christ crucifié. Isaac porte le bois et le Christ porte sa croix. Isaac ne sera pas consumé par le feu de l’holocauste, sera délié et deviendra signe de salut. Jésus connaîtra la mort de la croix mais les liens de la mort seront brisés par la Résurrection. Tous deux, par leur obéissance, gardent foi en Dieu.
On ne saura jamais ce qu’Abraham a vraiment compris, le début de ce texte est insupportable. L’issue heureuse, enrichie de multiples interprétations, change tout : tout vient de l’ange. Abraham a besoin de l’aide divine pour se découvrir et découvrir qui est le Dieu qui l’appelle.
Vous pouvez aussi suivre le cours de François Jorel sur la Genèse, sur Domuni, l’Université Dominicaine en ligne.
frère Olivier Catel
En 2021, frère Olivier Catel vit, prie et étudie au couvent dominicain de Jérusalem. Il travaille sur les textes hébreux du début de l'ère chrétienne. Il est agrégé de lettres et a publié sa thèse de lettres modernes : "Peinture et esthétique religieuse dans l’œuvre de Chateaubriand" (Champion, 2016).
soeur Marguerite Tandonnet
Sœur Marguerite Tandonnet est une ancienne médecin, en 2020 et depuis quelques années, elle est moniale contemplative au monastère des dominicaines d'Orbey, dans les Vosges.
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