3. Le Déluge et la tour de Babel
Par moments, dans la vie, c’est le bazar. Tout est sens dessus dessous, on ne sait plus où on en est, on ne comprend pas ce qui nous arrive. Eh bien dans la Bible, il y a aussi des moments comme ça. Par exemple, le récit du déluge et l’histoire de la tour de Babel. Alors... On essaye de remettre de l’ordre, de comprendre ?
Premièrement : le Déluge (Genèse, 6-9)
Un certain désordre
Le déluge et l’Arche de Noé tout le monde connaît l’histoire, en gros. Mais quand on lit le récit avec attention (chapitres 6 à 9), on est un peu perdu parce qu’il y a pas mal de répétitions et, entre deux répétitions, des contradictions. Par exemple : est-ce que Noé fait monter un couple de chaque espèce d’animaux dans l’arche (6, 20), ou sept couples (7, 2) ? Le texte dont nous avons hérité n’est pas très ordonné. Parce qu’il est le résultat d’une compilation de différentes sources : un récit qui est dit sacerdotal (écrit par des prêtres) et un autre récit. Le rédacteur final n’a pas voulu faire de coupes sombres, quitte à nous laisser un texte un peu bazar.
Voilà pour la forme. Mais dans le contenu aussi il y a du désordre, au sens fort (pas juste une chambre mal rangée,…), et cela nous choque. C’est une catastrophe naturelle ! 40 jours de pluie ininterrompue, l’inondation de toute la terre, la mort de tous les êtres vivants qui ne sont pas dans l’arche. Pourquoi ? Parce que, depuis la création, ils se sont pervertis. Puis la pluie s’arrête, c’est la décrue, et finalement Noé et ses compagnons auront passé des mois confinés. Ce qui nous dérange profondément, nous, quand nous lisons ce passage, c’est que cette destruction ait été voulue par Dieu, ce Dieu qui a créé le monde par amour…
Un lien entre deux personnes
S’il y a une chose qui marche bien dans cette histoire, c’est la relation entre Dieu et Noé. Deux détails nous en disent long sur le sujet.
Détail no.1, avant le déluge, il y a la porte.
Alors le Seigneur ferma la porte sur Noé. (Genèse 7, 16)
Cette porte est celle de l’arche, que Noé a construite grâce au plan de Dieu :
Fais-toi une arche en bois de cyprès. Tu la diviseras en cellules et tu l’enduiras de bitume à l’intérieur et à l’extérieur. (Genèse 6, 14-16)
Noé y est entré avec sa famille, et avec toutes les espèces d’animaux et d’oiseaux. Cette porte qui se ferme, c’est le plan de Dieu pour ses créatures qui s’accomplit. Il décide de les protéger, c’est-à-dire, dans ce contexte, de les garder en vie, de les sauver.
Détail no.2, à la fin du déluge
Dieu se souvint de Noé, de toutes les bêtes sauvages et de tous les bestiaux qui étaient avec lui dans l’arche ; il fit passer un souffle sur la terre : les eaux se calmèrent. (Genèse 8, 1)
Dans la Bible, quand Dieu se souvient d’une personne, cela exprime sa sollicitude, c’est-à-dire que Dieu se fait du souci pour la personne, il veille sur elle, il est bienveillant et vigilant.
Dans notre récit, c’est quand Dieu se souvient de Noé que s’amorce la décrue, le retour à la vie.
Dieu veut la vie, envers et contre tout
La relation entre Dieu et Noé est donc marquée par (1) la protection et (2) la sollicitude. C’est tout l’inverse de l’ambiance de mort qui règne sur la terre submergée (en image : par les eaux il y a des milliers d’années, aujourd’hui par un virus…) Et il n’y a pas que Noé : l’arche est un bateau plein de vie ! C’est ça qui est important. Parce qu’à partir de cette... communauté, Dieu fait comme redémarrer sa création. Il réitère sa bénédiction. L’humanité et l’animalité vont de nouveau croître.
Et Dieu promet de ne pas recommencer :
Le cœur de l’homme est enclin au mal dès sa jeunesse, mais jamais plus je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. (Genèse 8, 21)
Voilà ! Le déluge a été raconté pour en arriver là. Ceux qui ont écrit ce texte sous l’inspiration de l’Esprit de Dieu sont des descendants de Noé. Cette histoire exprime leur foi en Dieu qui donne la vie et qui choisit de laisser en vie, non seulement les justes comme Noé, mais aussi ceux dont le cœur penche vers le mal, comme la suite va nous le montrer.
Deuxièmement : la tour de Babel (Genèse 11, 1-9)
Recoller les morceaux du texte
Juste avant le récit de la tour de Babel, le chapitre 10 du livre de la Genèse fait la liste des descendants de Noé et de ses trois fils Sem, Cham et Japhet. Dans ce texte, à trois reprises, il est dit que tous s’installent en des lieux selon leurs langues (Genèse 10, 5.20.32). Donc… la diversité des langues existe. Mais le récit de la tour de Babel, au chapitre 11, commence ainsi :
Toute la terre avait alors la même langue et les mêmes mots. (11, 1)
Alors là je ne comprends pas : ils parlent la même langue ou ils parlent pas la même langue ?
En réalité, ces deux chapitres mis bout à bout ne se suivent pas dans un ordre chronologique. L’histoire de la ville de Babel a pour fonction d’expliquer aux hommes pourquoi ils ne se comprennent pas entre eux, et de leur montrer ce qu’il ne faut pas faire.
Un chaos déguisé en symphonie
Au verset 4, les hommes expriment leur plan :
« Allons ! Bâtissons-nous une ville, avec une tour dont le sommet soit dans les cieux ! Faisons-nous un nom, pour ne pas être disséminés sur toute la surface de la terre. » (Genèse 11, 4)
Dans leur démarche, trois attitudes sont à relever :
- la construction d’un gratte-ciel, qui symbolise leur volonté de domination,
- le projet de « se faire un nom », c’est-à-dire d’exister par soi-même,
- et le mythe de la langue unique, avec son refus de tout ce qui est différent comme dans les totalitarismes. Remarquez qu’il n’y a pas de dialogue dans ce récit.
Remarquez aussi que Dieu est totalement absent de ce plan. C’est l’orgueil. Mais en réalité Dieu est bien là, il voit qu’ils vont à leur perte, et il agit.
L’œuvre de Dieu
Dieu confond les langues et disperse les hommes. Des commentateurs voient sa réaction comme un châtiment de l’orgueil : ce texte est là pour nous prévenir des conséquences désastreuses du fait de se prendre pour Dieu. D’autres commentateurs y voient un acte de miséricorde de la part de Dieu, qui libère l’humanité de son repli sur soi et de ses rêves irréalisables. Sa « punition » est, en quelque sorte, le « cadeau » de la diversité. Diversité qui va à l’encontre de toute idéologie dictatoriale, et ce jusque dans l’interprétation des textes bibliques ! Espérer revenir à la langue unique d’avant Babel, c’est comme refuser ce qui est constitutif de notre nature humaine créée par Dieu.
Et Dieu ira encore plus loin dans les Actes des Apôtres avec le récit de la Pentecôte. Là, son projet, qui avait été mis à mal par le comportement des hommes de Babel, s’accomplit :
- à la place d’hommes qui veulent toucher le ciel, on trouve des hommes vers qui vient le Dieu du ciel. (Actes 2, 2.4)
- à la place de la dispersion, les personnes présentes reçoivent la capacité de se comprendre les unes les autres tout en restant différentes. (Actes 2, 11)
Nous avons donc compris que, dans ces récits, l’impression de chaos laisse place au salut, ce salut que Dieu veut pour tous les hommes. Dieu protège Noé et prend soin de lui, puis il permet que la vie reparte et grandisse sur la terre. Et, à Babel, Dieu ne détruit pas, il donne aux hommes un moyen sûr de lutter contre leur orgueil : la diversité.
Pour aller plus loin :
Origène, Homélies sur la Genèse, Sources chrétiennes no. 7, Cerf, 1943.
Jean L’Hour, Genèse 1-11, Les pas de l’humanité sur la terre, Cahiers Evangile 161, Cerf, septembre 2012.
Vous pouvez aussi suivre le cours de François Jorel sur la Genèse, sur Domuni, l’Université Dominicaine en ligne.
soeur Marguerite Tandonnet
Sœur Marguerite Tandonnet est une ancienne médecin, en 2020 et depuis quelques années, elle est moniale contemplative au monastère des dominicaines d'Orbey, dans les Vosges.
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