5. Abraham, l’élu de Dieu
Abraham a été choisi par Dieu pour être le père des croyants : « Ceux qui se réclament de la foi, ce sont eux les fils d’Abraham » (Galates 3, 7). Et ça a marché puisque juifs, chrétiens et musulmans le considèrent comme leur père dans la foi. Mais… comment Dieu a-t-il fait son choix ? Et pourquoi n’a-t-il pas choisi tout le monde ?
La « préhistoire » d’Abraham
Térah, le père d’Abraham, était un nomade polythéiste, c’est-à-dire qu’il adorait plusieurs dieux. Cette affirmation apparaît dans le livre de Josué.
« Ainsi parle le Seigneur, le Dieu d’Israël : Au-delà du Fleuve habitaient jadis vos pères, Térah, père d’Abraham et de Nahor, et ils servaient d’autres dieux. » (Josué 24, 2))
A ce propos, un midrash raconte…
VOIX OFF : Pause définition. Un midrash est une histoire de la tradition orale juive, qui s’appuie sur la Bible et en explicite un point ou donne un enseignement moral. Il peut prendre la forme d’un récit, d’une légende.
Donc un midrash raconte que Térah, le père d’Abraham, possédait une boutique où il vendait des idoles. Abraham ruait dans les brancards… Il faisait les quatre cents coups quand il gardait la boutique, jusqu’au jour où il prit un bâton et détruisit toutes les idoles sauf la plus grande, dans la main de laquelle il mit le bâton. Lorsque Térah découvrit le pot aux roses, Abraham lui raconta que les idoles s’étaient battues... Térah répliqua que les idoles étaient absolument inertes… Il était pris au piège… Oui ! Si elles ne sont pas vivantes, pourquoi les vénère-t-il comme des dieux, qui sont censés avoir des pouvoirs ? (Genesis Rabbah 38, 13).
On trouve dans le Coran une allusion à ce midrash (sourate 6, verset 74).
L’appel du vrai Dieu
La Bible raconte les choses un peu autrement. Si Abraham devient monothéiste, c’est parce que le Dieu unique lui parle. Dans la relation d’Abraham avec son Seigneur, ce n’est jamais Abraham qui fait le premier pas, le Seigneur a toujours l’initiative.
Prenons le tout début du cycle d’Abraham dans la Genèse, la traduction de la Bible de Jérusalem. La parole que le Seigneur lui adresse va bouleverser sa vie.
« Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom ; sois une bénédiction ! Je bénirai ceux qui te béniront, je réprouverai ceux qui te maudiront. Par toi se béniront tous les clans de la terre. » (Genèse 12, 1b-3)
Quand on regarde ce que dit le texte hébreu, les premiers mots de cet appel sont lach-lecha, c’est-à-dire « va vers toi » ! C’est extraordinaire, non ? Ce n’est pas « va-t-en », mais « va vers toi » ! Cela nous dit que, quand on quitte quelque chose pour Dieu, on ne se quitte pas soi-même mais on va vers un épanouissement de tout son être.
C’est pourquoi Dieu, après cette demande, ajoute des promesses dont la réalisation dépend de l’écoute d’Abraham et de ce qu’il fera. Et Abraham obéit illico (Genèse 12, 4) Ce départ est symbolique, il marque le début de la vie de croyant d’Abraham.
Comme tous les convertis le disent, après avoir rencontré le Seigneur, quelque chose change. Abraham reste nomade, mais il est porté par l’espérance de ce pays promis par Dieu.
Pourquoi Abraham et pas un autre ?
Cette question touche la relation que nous avons, chacun, avec Dieu. Parce que l’élection d’un seul, soyons honnêtes, ça nous dérange… Paul Beauchamp, un spécialiste de la Bible, a mis des mots très justes sur notre problème.
Eh bien oui, pourquoi pas tous ? Pourquoi pas moi ?
VOIX OFF : jalouse !
Et si Dieu avait fait autrement ? Avec Paul Beauchamp, faisons un peu de théologie fiction : On pourrait imaginer d’autres scénarios :
Scénario mass-media : Dieu dirait à tous les hommes : « J’aime tous les hommes ! » Mais ce serait trop impersonnel. Personne n’aurait entendu. Dieu ne passe pas par les réseaux sociaux pour nous parler !
Scénario porte-voix : Dieu dirait à quelqu’un : « J’aime tous les hommes, dis-le-leur ! » Mais ce serait comme si nous devions apprendre une leçon. Dans ce scénario, il n’y a pas vraiment de relation, ni avec Dieu, ni même avec le porte-voix.
Scénario personnel (c’est le vrai scénario). En réalité, Dieu dit à un individu :
« Je t’aime, je te prends en charge, je veux que tous les hommes le sachent, et je veux que, le sachant, ils te bénissent ! » (Genèse 12, 3)
Ici, un homme qui est tellement aimé par Dieu va parler, et tous pourront entrer dans cet amour. Finalement, la manière de faire de Dieu (son choix d’un seul) est, de loin, la plus belle pour chacun de nous, puisque la promesse faite à Abraham est aussi pour nous.
L’élection de tout un peuple
La promesse de devenir un grand peuple mettra du temps à se réaliser. En effet, la femme d’Abraham, Sarah, est stérile et Abraham lui-même est très âgé. Comme les choses, visiblement, ne bougent pas trop, Sarah prend l’initiative de donner sa servante à Abraham, pour qu’il ait enfin une descendance. De cette union naît Ismaël, mais celui-ci n’est pas le fils de la promesse de Dieu, il est le fils de la volonté de Sarah. Mais Dieu a vraiment le projet d’accorder à Abraham une descendance légitime, et il se réserve l’initiative du moment favorable.
Quelque temps plus tard, Abraham est assis à l'entrée de sa tente, et le Seigneur lui apparaît sous la forme de trois hommes, qui lui annoncent la naissance d’un fils. Trois personnes qui sont en réalité un seul Dieu. C’est la première annonciation de toute la Bible. Abraham approche des 100 ans, et Sarah en a 90… Ces âges pour le moins avancés expriment la gratuité du don de Dieu : tout dépend de sa bonté.
Ainsi, 14 ans après la naissance d’Ismaël, Sarah met au monde Isaac, le fils de la promesse, celui à qui se transmet la bénédiction divine. La lettre aux hébreux dit que c’est par la foi que l’élection d’un homme devient celle d’une famille, puis d’un peuple tout entier. « Par la foi, Abraham obéit à l’appel (…). Par la foi, il vint séjourner dans la Terre promise (…) ainsi qu’Isaac et Jacob, héritiers avec lui de la même promesse. » (Hébreux 11, 9)
Pour conclure, nous pouvons dire que la vie d’Abraham est toute remplie de sa relation d’écoute avec le Dieu unique. Dieu l’appelle personnellement pour, par lui, révéler son amour à tous les hommes, à tous sans exception. En reconnaissant Abraham comme notre père dans la foi, nous croyons que nous sommes véritablement héritiers de son élection et de la bénédiction qu’il a reçue et transmise.
Pour aller plus loin :
- Ambroise de Milan, Abraham, Collection : Les pères dans la foi n°74, Migne, 1999.
- Paul Beauchamp, Cinquante Portraits bibliques, Seuil, 2000.
- Walter Vogels, Abraham et sa légende, Lire la Bible 110, Cerf, 1996.
- André Wénin, Abraham (Genèse 11,27 – 25,10), un guide de lecture, Cahier Evangile n° 179, mars 2017.
- Vocabulaire de Théologie biblique, art. « Abraham », Cerf, 2009.
Vous pouvez aussi suivre le cours de François Jorel sur la Genèse, sur Domuni, l’Université Dominicaine en ligne.
soeur Marguerite Tandonnet
Sœur Marguerite Tandonnet est une ancienne médecin, en 2020 et depuis quelques années, elle est moniale contemplative au monastère des dominicaines d'Orbey, dans les Vosges.
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