11. Une finance responsable ?
On peut tous changer le monde avec notre argent, qu’on en ait beaucoup ou qu’on n’en ait pas beaucoup. Quand on achète ou quand on met de côté, notre argent travaille à des choses différentes ! Alors, à mon niveau personnel, comme chrétien et comme épargnant, que puis-je faire avec mon argent ?
Comme le dit Jean Paul II dans l’encyclique Centesimus Annus :
« Il est “nécessaire de s'employer à modeler un style de vie dans lequel les éléments qui déterminent les choix de consommation, d'épargne et d'investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune. » (Centesimus Annus, §36)
La naissance de la finance solidaire
Et concrètement ? Dans plusieurs pays comme la France, ce sont les communautés religieuses et les associations catholiques qui, dans les années 1980, ont jeté les bases de la finance responsable en demandant à des sociétés financières de leur proposer des placements plus éthiques.
Peu à peu, ce qu'on appelle aujourd'hui l'Investissement socialement responsable (ISR), sous toutes ses formes, s'est développé pour permettre à tous ceux qui détiennent des économies de les placer avec un souci le plus éthique possible.
Si aujourd'hui vous allez voir votre banquier, il est fort probable qu'il vous propose différents types de placements plus ou moins éthiques ou responsables… Mais comment savoir ce qui est vraiment éthique et ce qui n’est qu’une opération commerciale ?
Les lebels d’investissement socialement responsables
Voix off : Déjà, c’est quoi l’investissement socialement responsable ?
Cela consiste à proposer des placements de gestion collective comme des SICAV ou des fonds communs de placement qui investissent dans des grandes entreprises cotées en bourse qui se comportent bien au plan de l'environnement, de leur politique sociale et de la gouvernance. Chaque banque, chaque société de gestion qui propose ce type de placement va appliquer ses propres critères d'analyse et sa propre méthodologie, pour noter ces entreprises. Elle peut recourir aussi à des agences de notation extra-financière extérieures qui vont évaluer les bonnes pratiques de ces entreprises.
Voix off : Et il n’y a pas de labels, comme pour le café ?
Pour aider à s'y retrouver, plusieurs pays, comme la France, ont mis en place différents types de labels. Il existe un label mis en place par l’État pour vérifier que les placements sélectionnent vraiment les entreprises dans lesquelles ils investissent et que cette sélection exerce un impact positif sur l'économie. Autrement dit, il faut que les entreprises sélectionnées dans ces placements fassent plutôt mieux que les autres en matière d’environnement, de social et de gouvernance. Ce label atteste aussi que les sociétés de gestion communiquent sérieusement auprès de leurs clients sur la qualité réelle de ces placements. C’est le label ISR, investissement socialement responsable.
Vous trouverez aussi d'autres labels plus spécialisés. Il existe un label qui assure que le placement investit en majorité dans des entreprises engagées dans la transition écologique et énergétique. C’est le label Greenfin pour « finance verte ».
Voix off : Et ces labels, ils sont suffisants pour les chrétiens ?
Bien entendu aucun label n'est parfait… Comme dans nos pays, les repères éthiques peuvent varier selon les obédiences philosophiques ou religieuses, ces labels ne s'engagent pas aussi loin que nous pourrions le souhaiter sur ce qui fait le propre de la doctrine sociale de l'Église. Ils en restent souvent à un consensus éthique assez large. Mais ces labels ont au moins le mérite d'exister. Ils constituent pourrions-nous dire un premier filtre.
L’économie sociale et solidaire
Voix off : Alors il y une autre solution pour placer son argent ?
Dans l'univers de la finance éthique, il existe aussi un autre type de placement qui est l'investissement solidaire. Cela consiste à investir dans des entreprises de l'économie sociale et solidaire. Cela permet de soutenir des entreprises solidaires qui font par exemple du microcrédit dans les pays en développement, ou qui aident au retour à l'emploi, ou qui développent l'habitat pour les personnes défavorisées. On peut noter que les entreprises solidaires les plus solides, qui sont le plus souvent retenues dans ces fonds, sont souvent des entreprises d'inspiration catholique ou même parfois qui émanent directement d'une institution catholique comme c'est le cas pour la Sidi qui fait du microcrédit, et qui dépend du CCFD Terre-solidaire qui est l’organisme de l’Église catholique de France qui œuvre pour le développement international.
La France fait figure de pionnière à travers un modèle particulier : vous investissez dans un placement constitué à 90% d'entreprises cotées classiques et à 10% d'entreprises solidaires. C’est ce qu'on appelle les « fonds solidaires ou 90/10 », que beaucoup d'épargnants d'autres pays nous envient. Grâce à l'épargne salariale et désormais à l'assurance-vie, dans lesquelles ces placements sont largement proposés, ces fonds se développent beaucoup. Pour ces placements solidaires il existe également un label mis en œuvre par l'association Finansol.
Toujours plus… responsable
Voix off : On y est alors, on a trouvé la finance qu’il nous faut comme chrétien ?
Non, les derniers textes du Vatican comme le texte « Questions économiques et financières » de 2018 nous invitent à voir plus loin. Lorsque nous plaçons notre argent, nous rémunérons les professionnels par lesquels nous passons. Jusqu'à présent, la finance éthique consistait à regarder ce dans quoi nous investissions. La nouvelle étape, encore en chantier, consiste à regarder qui nous rémunérons à travers tous les frais de gestion. Est-ce que la société financière à laquelle je m'adresse a de bonnes pratiques comme entreprise en matière d'environnement, de vie sociale ou de gouvernance ? Est-ce que les techniques financières de gestion sont au service du bien commun et du développement économique ? Par exemple, est-ce que les fonds investissent à long terme dans les entreprises ou est-ce qu'ils font de la spéculation à très court terme ? Il est donc important de se renseigner sur la réputation et sur les pratiques des sociétés de gestion ou des banques auxquelles je m'adresse.
Pour conclure il n'y a sans doute pas de placement parfait mais il existe aujourd'hui de nombreuses manières pour essayer de promouvoir par mes économies l'enseignement social de l'Église. Que vous épargniez peu ou beaucoup, regardez dans quoi vous investissez et qui vous rémunérez ! Alors vous serez heureux d'avoir apporté votre pierre à la promotion d'un monde plus juste, plus respectueux des hommes et des femmes et de la planète.
frère Pierre Januard
Frère Pierre Januard est enseignant et chercheur en théologie et en économie et directeur de la recherche chez un conseiller en investissement financier spécialisé en finance éthique. Il a publié sur la perception des risques économiques et financiers au Moyen Age : "Analysis risk and commercial risk: the first treatment of usury in Thomas Aquinas’s Commentary on the Sentences" (dans The European Journal of the History of Economic Thought, 2021) et "Risks on trade: The activity of the merchant in Thomas Aquinas’s Commentary on the Sentences" (dans History of Economic Ideas, 2022).
Une question ? Un commentaire ?
Réagissez sur notre forum