7. Accueillir l’étranger
Dans le monde, il y a toujours plus de migrants. Aujourd’hui, les migrants internationaux, ceux qui ne vivent pas dans leur pays d’origine, représentent un humain sur 30 : 280 millions de personnes en 2020 contre 173 en 2000. Pas étonnant que ça préoccupe le pape François ! Pourtant, certains se demandent un peu de quoi il se mêle quand il nous demande de les accueillir ! Mais au fond, que disent la Bible et la tradition chrétienne sur cette question ?
On peut trouver dans la Bible dans la tradition chrétienne deux éléments a priori opposés sur cette question.
La dignité de l’étranger d’Abraham à Jésus
Le premier est, il faut le dire, le plus important. Il consiste à reconnaître la grande dignité de l’étranger et la nécessité de l’accueillir.
On le voit à travers de grandes figures bibliques comme Abraham dans le livre de la Genèse, qui accueille des étrangers dont il se rendra compte plus tard qu’ils sont en fait Dieu lui-même.
On peut le voir dans la vie du Christ. Dès son enfance, il est obligé de fuir en Égypte avec Marie et Joseph et peut ainsi être identifié à tous les migrants.
On peut aussi l’entendre de la bouche du Christ. Dans l’Évangile de Matthieu où le Christ nous dit, au chapitre 25, que celui qui a accueilli l’étranger, c’est lui-même qu’il a accueilli.
L’hospitalité, une vertu chrétienne
La pratique de l’hospitalité est d’ailleurs présentée comme une des formes les plus élevées de la charité chrétienne. Et, à travers l’histoire, notamment les moines et les religieux se sont caractérisés par un accueil inconditionnel des personnes qui se présentaient à la porte de leur monastère. Pensez aux monastères bénédictins ou encore à l’hospice du Grand Saint Bernard entre la Suisse et l’Italie.
On peut aussi noter que l’une des salles du palais des Nations Unies à Genève est consacrée à un dominicain, Francisco de Vitoria, qui a promu la circulation des hommes au-delà de toute frontière au XVIe siècle.
Encore dans la période contemporaine, des papes comme le pape Benoit XVI ont indiqué que les migrations étaient un signe des temps qui permettaient de vivre profondément la charité chrétienne.
L’étranger comme un risque…
Mais on trouve aussi dans la Bible et la Tradition, l’idée que l’étranger, le migrant qui vient d’une autre culture, peut détourner le croyant de Dieu, peut déstabiliser la société dans laquelle il se trouve, parce que, précisément, il est porteur d’autres traditions.
Cela est particulièrement présent dans l’Ancien Testament. Le livre du Deutéronome invite par exemple les Hébreux à ne pas se marier avec des membres d’un autre peuple de peur qu’ils les détournent du Dieu d’Israël (Deutéronome 7, 1-4)
Mais cette perspective est reprise par de grands saints chrétiens, comme saint Thomas d’Aquin. Dans son ouvrage politique le De Regno, il indique que la présence d’étrangers en trop grand nombre est susceptible de déstabiliser un Etat en introduisant de nouvelles coutumes.
…à ne pas exagérer.
De fait, l'enseignement de l'Église aujourd’hui indique bien que s'il existe des risques importants de déstabilisation des sociétés, il faut limiter l’accueil des personnes en situation de migration. Ces éléments nous montrent que la Bible et l’Eglise ne sont favorables à un accueil sans réflexion.
Cependant, les papes insistent pour que cet argument soit manipulé avec précaution. Le pape Jean XXIII (Pacem in terris, 11 avril 1963, § 25 et § 106) et le pape François (Fratelli tutti, 3 octobre 2020, § 141) ont ainsi insisté pour que les chrétiens se pensent d’abord membres de la « famille humaine » et ne cherchent pas à défendre leur particularité nationale. Le pape Jean-Paul II rappelait quant à lui clairement qu’une logique « nationaliste » est incompatible avec la pratique catholique (Message pour la 85è journée mondiale des migrants, 2 février 1999, n°2).
Donc ne pas accueillir si un grave déséquilibre menace, c’est possible. Mais ne pas accueillir pour affirmer qu’une appartenance nationale est supérieure au lien qui nous unit à la famille humaine, ce n’est clairement pas un argument recevable.
La richesse de l’étranger : Pierre Claverie
Enfin, dans la Bible et la tradition chrétienne, l’étranger n’est pas seulement celui qu’il faut accueillir par hospitalité ou dont il faudrait malgré tout se méfier. Il est aussi celui qui est porteur d’une grande richesse. Cela transparaît déjà dans l’Ancien Testament. Les juifs sont invités à considérer ce qu’il y a de bon dans d’autres cultures pour se tourner vers Dieu. La Tradition chrétienne a aussi souligné cet aspect particulier au cours des siècles.
Mais c’est particulièrement au XXème siècle que cette dimension a été spécialement soulignée. On peut penser à la figure de saint Charles de Foucauld, ou, plus près de nous encore, des martyrs d’Algérie.
Je voudrais tout spécialement mentionner la figure du Bienheureux Pierre Claverie. Dominicain et évêque d’Oran, il a été tué avec son chauffeur, Mohamed, en août 1996 pendant la décennie qui a ensanglanté toute l’Algérie. Il affirmait quelques temps avant de mourir :
« Que l’autre, que tous les autres, soient la passion et la blessure par lesquelles Dieu pourra faire irruption dans les forteresses de notre suffisance pour y faire naître une humanité nouvelle et fraternelle. Il y va de l’avenir de la foi dans notre monde »
L’autre, et en particulier, l’étranger me fait grandir par sa différence. Cette image de l’étranger-riche est reprise par le pape François dans son encyclique Fratelli tutti de 2020. Il indique que c’est une dimension trop peu prise en compte quand on envisage aujourd’hui la question des migrations.
La solidarité
Au fond, les migrations nous mettent devant un des grands piliers de la « doctrine sociale de l'Église » : la solidarité.
La solidarité chrétienne repose directement sur la conviction que chaque homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Si je suis solidaire du migrant c’est parce que je pense que Dieu a donné le monde à tout homme sans distinction et que celui qui doit fuir sa terre doit pouvoir être accueilli sur une terre dont je ne suis pas propriétaire mais seulement gestionnaire. A ce titre, l’étranger a, comme moi, le droit de vivre dans un monde qui appartient tout entier à Dieu.
La solidarité chrétienne repose aussi sur l’idée que tout homme est appelé à faire partie du corps mystique du Christ. À ce titre, être solidaire du migrant, même s’il n’est pas chrétien, consiste à être solidaire de quelqu’un qui est appelé à être un des membres de ce corps du Christ, à être membre du corps auquel j'appartiens.
L’attention de l’Église pour l’étranger n’est donc pas une position anecdotique. C’est une longue et ancienne tradition, qu’il ne s’agit pas de rejeter et qu’il ne s’agit pas d’appliquer sans discernement ni sans prudence. Elle nous introduit à la solidarité chrétienne, qui consiste toujours à s’ouvrir à plus large que le cercle de nos communautés, que le cercle de nos familles. Elle se vit toujours dans une perspective universelle car nous sommes tous frères !
Pour aller plus loin :
https://www.theodom.org/serie/ecologie-chretienne/
https://www.doctrine-sociale-catholique.fr/
https://clameurs-lawebserie.fr/
https://jeuneetengage.org/
https://zachee.com/
Frère Jacques-Benoît Rauscher
Frère Jacques-Benoît Rauscher enseigne la théologie morale et l'éthique sociale à l'Université de Fribourg en Suisse. Avant d'entrer dans l'Ordre dominicain, il était professeur de Sciences Économiques et Sociales et participait à une équipe de recherche en sociologique (Sciences Po/ CNRS). Il a récemment publié quelques ouvrages : L’Église catholique est-elle anticapitaliste ? (Presses de Sciences Po, 2019) - Des enseignants d'élite ? Sociologie des professeurs de classes préparatoires (Cerf, 2019) - Découvrez la doctrine sociale de l’Église avant d'aller voter (Cerf, 2022).
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