9. Comment l’Église renouvelle la théologie ?
La Commission théologique internationale rassemble des théologiens de toutes spécialités et de toutes nationalités. Ces théologiens font l'effort d'une ascèse, il font l'effort de travailler ensemble et d'essayer d'élaborer ensemble des documents. Donc, chacun doit laisser ses idées particulières un petit peu de côté et chercher à rejoindre une position théologique qui exprime la position commune des théologiens. Sa mission est d'aider le Magistère et plus spécialement la Congrégation [le Dicastère] pour la doctrine de la foi, pour aborder, traiter, éclairer des questions qui se posent à la théologie aujourd'hui. C'est un exercice en actes de la communion fraternelle entre les théologiens, les théologiens qui sont membres de l'église et qui forment entre eux une communauté chrétienne.
Est-ce qu’il y a plusieurs théologies catholiques ?
Il y a divers types de diversités. Il y a les diversités contextuelles, la théologie qui se pratique en Afrique a évidemment des points communs avec la théologie qui se pratique en Amérique du Nord, mais les problématiques sont parfois différentes, parce que les questions sont diverses.
Cela dit un des accents forts sur lequel insiste la commission théologique c'est qu’ il y a un dialogue possible. La théologie catholique a une certaine unité et la diversité ne doit pas conduire et ne conduit pas à un éclatement.
Il y a une diversité dans les méthodes. En commission théologique il y a des exégètes, des patrologues, des dogmaticiens, des moralistes, mais la théologie est une. Donc elle vise une approche sapientielle, une approche de sagesse de la foi chrétienne. Et elle a besoin de toutes ces ressources. Et donc le théologien dogmaticien a tout intérêt à être attentif aux apports de l'exégèse contemporaine, l'exégète lui-même a tout intérêt à se nourrir de la théologie dogmatique pour avoir une approche authentiquement théologique de l'Ecriture Sainte etc. Donc diversité dans les méthodes, diversité dans les contextes culturels.
Souvent les diversités viennent de la diversité des instruments philosophiques qui sont utilisés, soit la métaphysique classique si on peut dire dans la perspective thomiste, soit des philosophies plus phénoménologiques etc. et c'est ça qui souvent fait un peu la diversité des théologies.
La théologie, une œuvre ecclésiale
Le contexte ecclésial est vital pour la théologie, c'est-à-dire, qu’il n'y a pas de théologie au sens fort du terme, hors du climat ecclésial. On peut traiter les questions religieuses d'un point de vue extérieur : ce sont les sciences religieuses qui ont tout à fait leur validité, leur légitimité, mais les sciences religieuses ne sont pas la théologie. La théologie, c'est l'intelligence de la foi, donc ça suppose non seulement que théologien ait la oi mais qu'il vive la foi et il ne peut la vivre que dans le lieu qui est celui de la foi qui est l'Église. Il n'y a de théologie au sens précis du terme que dans l'Église.
D'une part le théologien reçoit de l'Église la foi dont il essaie de prendre intelligence. Le théologien ensuite pratique sa réflexion à l'intérieur de l'Église, c'est-à-dire dans une fraternité, dans un échange avec les différentes composantes de l'Église : le Magistère bien entendu mais aussi les fidèles. Le but de la théologie n'est pas d'élaborer des systèmes, mais d’aider les croyants à entrer plus avant dans la connaissance, dans la sagesse proprement chrétienne.
Tout le monde est théologien ?
Alors le sensus fidelium c'est le fait que chaque chrétien, du fait qu'il vit sa foi, a une sorte de flair, d'instinct pour repérer ce qui est vraiment chrétien. On peut entendre toutes sortes de choses, mais un chrétien qui vit vraiment sa foi est capable de discerner si ce qu'il entend va dans le sens de la foi ou si c'est quelque chose qui est extrapolé, qui n'a pas de lien direct avec la foi. C'est ça le sensus fidelium. L'image la plus parlante c'est l'image du flair. Celui qui vit la foi a le flair pour repérer lorsqu’un discours, une doctrine, une théorie est conforme ou n'est pas conforme à la foi. Alors évidemment le sensus fidei n'est pas le libre examen, où chacun pourrait dire : « Ben voila, moi je crois que c'est la foi catholique, c'est ça ou c'est pas ça », mais c'est le fait que lorsque je vis vraiment de la vie de l'Église je perçois quelle est la foi de l'Église.
Quels sont les enjeux théologiques d’aujourd’hui ?
L'objet de la Commission théologique internationale n'est pas de traiter des questions d'actualité mais des questions qui se posent en théologie aujourd'hui.
Ces dernières années elle a traité de la question qui avait été posée par le pape Benoît XVI : la question des enfants qui meurent sans baptême. Est-ce que la doctrine traditionnelle des limbes a des fondements ou est-ce qu’il y a une espérance et quelle type d'espérance pour les enfants qui meurent sans baptême ? C’est une question proprement théologique.
Il y a eu ensuite une réflexion de fond sur : comment présenter aujourd'hui la doctrine de la loi naturelle, qui est quand même un des fondements de la morale chrétienne. Donc c'est le type de sujet qui est traité.
On a aussi traité la question du sensus fidelium par exemple.
Plus récemment la question de la synodalité. C'est un concept qu'on utilise beaucoup mais quels sont ses fondements théologiques ?
Une réflexion sur les nouveaux problèmes qui se posent à la liberté religieuse : Puisque la liberté religieuse a été définie, si on peut dire, au Concile Vatican II, dans le contexte de lutte contre les totalitarismes du XXe siècle. Aujourd'hui, la question c'est plutôt : qu'est ce qui reste de la liberté religieuse dans un univers où le relativisme moral est devenu une sorte de dictature ? C’est la fameuse dictature du relativisme. Donc voilà les types de questions.
Après il y a d'autres questions qui peuvent se poser qui n'ont pas encore été traitées mais qui pourraient être traitées :
Comment est-ce qu'on peut présenter aujourd'hui des doctrines comme la doctrine du péché originel ? C’est une doctrine centrale dans la foi catholique, mais qui a beaucoup de mal à être reçue, pour diverses raisons.
Une autre question qui peut se poser aujourd'hui, qui est assez fondamentale, - qui est quand même technique mais enfin -, c’est le rapport entre l'ordre et la juridiction. C'est-à-dire, la juridiction c'est le fait d'avoir un gouvernement dans l'Église et l’ordre, c'est le fait de recevoir le sacrement de l'ordre. Donc est-ce que tout exercice du gouvernement dans l'Église est lié au sacrement de l'ordre ou est-ce qu’il est aussi possible d'envisager d'autres manières d'exercice de l'autorité qu’une autorité qui découlerait directement du sacrement de l'ordre. Voilà le type de questions que la Commission théologique se pose.
Elle s’est aussi posée la question des critères, des principes de la théologie catholique : qu'est-ce que c'est que la théologie catholique, la question du pluralisme en théologie.
Un chrétien qui ne cherche pas à comprendre sa foi, a une foi qui demande encore à grandir et à devenir plus adulte.
frère Serge-Thomas Bonino
Frère Serge-Thomas Bonino est dominicain, de la province de Toulouse. En 2022, il enseigne la philosophie à l'Université Saint-Thomas d'Aquin, à Rome et il en est le doyen depuis 2014. Il a été le secrétaire général de la Commission théologique internationale de 2011 à 2020. Il a publié, entre autre : Saint Thomas d'Aquin lecteur du Cantique des cantiques, Cerf, 2019 ; Dieu, 'Celui qui est' (De Deo ut uno), Paris, Parole et Silence, coll. « Bibliothèque de la Revue thomiste », 2016 ; Thomas d’Aquin (trad. Serge-Thomas Bonino, préf. Ruedi Imbach), De la Vérité, Question 2, La science en Dieu., Paris - Fribourg, Cerf, coll. « Vestigia » (no 17), 2015 ; Brève histoire de la philosophie latine au Moyen Age, Paris - Fribourg, Cerf, coll. « Vestigia », 2015 ; Il m'a aimé et s'est livré pour moi : Entretiens sur le Rédempteur en sa Passion, Paris, Parole et Silence, 2013 ; Les Anges et les Démons, Paris, Parole et Silence, 2007 ; Je vis dans la foi au Fils de Dieu : Entretiens sur la vie de foi, Saint-Maur, Parole et Silence, 2000,
Une question ? Un commentaire ?
Réagissez sur notre forum