5. L’Église au Moyen-Âge
Le Moyen-Âge est pour beaucoup une époque qui habite nos rêves ou nos cauchemars. Parler de l’Église à cette époque fait immédiatement surgir des images : des évêques puissants ou des abbayes florissantes, parfois des saints en quantité innombrables, mais plus encore des croisades sanglantes ou des inquisiteurs oppressants. Ce sont autant d’images d’Épinal qu’on ne peut analyser en 5 min, il nous faudra donc condenser notre propos, toujours en nous demandant si l’on trouve en ce temps-là cette recherche d’unité, de sainteté, de catholicité et d’apostolicité.
La chrétienté
L’horizon de toute la période médiévale, c’est « la chrétienté », c’est-à-dire ce monde christianisé où l’Eglise tend à s’identifier avec la société tout entière ; on a là une sorte de prolongement de la réflexion de saint Augustin, un évêque africain du IVe s dont l’enseignement marqua profondément l’Eglise latine, sur les deux cités, la terrestre et la céleste, qui se distinguent, s’affrontent et se mélangent. La confusion du temporel et du spirituel dans la chrétienté amena la concurrence des deux.
Tandis que dans l’Empire Romain d’Orient on eut une soumission prononcée de l’Eglise au pouvoir du basileus, avec la chute de Rome, l’Eglise d’Occident prit une certaine autonomie, même si elle se devait de trouver des protecteurs politiques. Les évêques de Gaule firent le choix des francs avant même que Clovis reçut le baptême, puisce fut le pape qui se tourna vers eux en couronnant Charlemagne empereur en l’an 800. L’empereur se fit autant le serviteur que le patron de l’Eglise : d’un côté il veilla à son indépendance et promut sa réforme ; d’un autre il usa des ecclésiastiques comme des fonctionnaires et des appuis pour sa politique y compris militaire. Cette ambivalence va caractériser toute la période.
La réforme grégorienne
L’affaiblissement du pouvoir royal au Xe siècle livra l’Eglise, jusqu’à la papauté, aux grands Seigneurs qui s’en servirent comme des sources de revenus. On voit se généraliser le commerce des choses saintes appelé simonie, et de nombreux clercs –y compris des papes comme Jean XII - vivaient avec des femmes (ce qu’on appelle alors le nicolaïsme).L’infidélité à l’évangile n’a pas échappé aux chrétiens de ce temps : un sursaut se fait voir du fin fond des monastères dès le XIe s grâce notamment à l’abbaye de Cluny dont l’indépendance permit à de nombreuses maisons religieuses d’échapper à l’emprise des seigneurs, favorisant le renouveau de l’Église toute entière. On situe en 1054 le début de la réforme dite « grégorienne » prise en main par une papauté renouvelée qui s’affirme, tant face à l’Orient dont elle se sépare, que face aux princes des mains de qui elle veut extraire l’Église.
On assiste à l’accentuation de cette lutte entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel : Grégoire VII imposa à l’empereur Henri IV une pénitence sévère à Canossa en 1077, Innocent IV déposa Frédéric II en 1245, mais Boniface VIII fut giflé par un serviteur du roi de France en 1303.
De nouvelles réactions se font jour contre les dérives de puissance et de richesse : face à Cluny, devenu un empire dont le prince est un abbé, on voit naître au XII°s la réforme cistercienne marquée par saint Bernard de Clairvaux. Face à la mondanité des évêques, saint Bruno se retire dans la Chartreuse.
Face à l’essor des villes et la richesse de l’Eglise, on voit apparaître les ordres dits mendiants, franciscains fondés par François d’Assise, Dominicains, Carmes et d’autres.
Croisades et hérésies
A côtés de ces mouvements fidèles à l’Eglise, on voit aussi des communautés la contester jusque dans son enseignement comme ceux qu’on appelle les cathares ou les vaudois. Pour garantir l’unité, on déploie tout un panel de mesures à commencer par la prédication, mais celle-ci est parfois épaulée par des moyens coercitifs. Il n’est donc pas jusqu’à la christianisation qui ait ses ambivalences : pour canaliser les ardeurs des chevaliers et achever leur conversion par une démarche pénitentielle, on les envoie en pèlerinage… en armes, et d’abord à Jérusalem, dont l’accès avait été fermé par les musulmans d’alors : c’est ce qu’on a appelé la croisade. Les enjeux spirituels, économiques, sociaux et politiques se sont soigneusement entrecroisés, de sorte qu’on vit autant la religion instrumentaliser les fidèles, qu’être instrumentalisée par les puissants.
Il en est un peu de même pour la prédication qu’on mit au service de la lutte contre l’hérésie pour persuader de la vérité et qu’on prolongea par l’inquisition pour dénicher l’erreur. Ce qui choque nos esprits modernes, c’est cette affirmation de la vérité qui va jusqu’à la négation de la liberté de conscience voire à l’usage de la violence : du fait de l’alliance du temporel et du spirituel, cette atteinte à l’unité de l’Eglise était aussi une atteinte à l’ordre politique. Toutefois, la prédication étant aussi soutenue par l’étude, elle permit l’émergence des universités avec de très grands penseurs comme saint Bonaventure ou saint Thomas d’Aquin qui allèrent très loin pour honorer l’intelligence de la foi.
Le Grand Schisme
On voit combien la papauté, en cherchant son indépendance est allé jusqu’à affirmer une prééminence non seulement sur l’Eglise mais sur toute la société. L’affirmation des états royaux amena l’échec de ses prétentions, palpable dans son séjour de 70 ans en Avignon sous la coupe du roi de France. La tentative de retour à Rome en 1370 a provoqué la concurrence de deux papes dans ce qu’on a appelé le « Grand Schisme d’Occident ». La papauté elle-même portait atteinte à l’unité de l’Eglise ; Il fallut faire appel à un Concile réunit à Constance en 1417, pour mettre fin au schisme et tenter de relancer la réforme de l’Eglise devenue difficile à cause de l’incurie des papes.
Difficile de passer si vite sur cette période si riche pour l’Eglise. Son succès dont témoignent par exemple les cathédrales, semble éclatant, mais il ne cesse d’être remis en cause non seulement par les jeux politiques mais encore par les contradictions qu’il entraîne avec l’enseignement du Christ. Or l’appel à la sainteté retentit toujours, quand bien même l’horizon géographique de ces chrétiens demeure limité et que leurs aspirations à l’unité et à l’universalité les poussent à s’imposer avec force.
frère Maxime Arcelin
Le frère Maxime Arcelin est dominicain de la Province de Toulouse. Il est spécialisé en histoire de l'Eglise. En 2021, il réside au couvent de la Sainte-Baume. En 2019, il a publié le livret ThéoDom "Histoire(s) d’Église", aux éditions du Cerf.
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