7. Réforme et Contre-Réforme
Nous terminions notre exposé sur le Moyen-âge en soulignant la réduction de l’horizon géographique de l’Eglise et la focalisation sur l’unité au sein de son aire d’influence. Les missions en dehors de la chrétienté ont existé mais de manière assez ponctuelle quand elles n’étaient pas ambivalentes par leur usage de la force armée. La découverte du Nouveau-Monde et des routes maritimes vers l’Extrême-Orient à l’orée du XVI°s va redonner à l’Eglise une ardeur missionnaire et une aspiration renouvelée à l’universalité qui lui était contestée dans le même temps en Europe par l’émergence de la Réforme protestante. Là encore nous serons obligés d’aller vite.
Les désirs de réformes
L’aspiration à réformer l’Eglise parcourt toute son histoire, et vient autant de la tête que de la base, mais souvent en décalé. Quand elle vient de la base, la contestation de la hiérarchie indigne amène souvent la contestation de son enseignement (autrement dit l’hérésie) comme ce fut le cas pour John Wycliff en Angleterre et Jan Hus en Bohême à la fin du XV°s, mais aussi et surtout pour Luther à l’aube du XVI°s. La papauté sortie du grand schisme d’Occident a été incapable de réformer l’Eglise par le haut ; nombres de pontifes romains étaient des princes plus soucieux de la politique européenne et de la fortune de leur famille que des affaires de l’Eglise, le scandale atteignant sans doute son paroxysme avec un Alexandre VI Borgia ou avec l’octroi d’indulgences contre argent ; c’est ce qui pour Luther fit déborder le vase : « ils prêchent une doctrine humaine, ceux qui prétendent que, dès que l’argent tombe dans la caisse, l’âme quitte le purgatoire ».
Les guerres de religion
La situation politique de l’Allemagne, la réflexion des humanistes de la Renaissance, l’invention de l’imprimerie et biens d’autres facteurs ont sans doute favorisé la diffusion de ces idées qui conduisit des régions entières à l’hérésie puis au schisme et ultimement à la fin du régime de chrétienté : la société chrétienne n’était plus unie sous un seul chef ; le pasteur suprême, oubliant sa tâche à la tête de l’Église universelle, lui fit perdre sa prétention à la catholicité, voire à son apostolicité ; en effet, en appelant avec les humanistes à revenir à l’Ecriture et en se séparant de l’Eglise romaine, les Réformés prétendaient revenir à l’enseignement des apôtres que les catholiques auraient délaissé.
En fait l’idéal de chrétienté était encore très vigoureux dans certaines régions, notamment en Espagne où les rois dits « catholiques », épaulés par une inquisition dévouée à la cause de la foi et de la couronne, allèrent jusqu’à expulser tout corps qui soit étranger à l’Église comme les juifs et les musulmans. En France, le roi « très-chrétien » hésita jusqu’au XVIII°s sur l’unité religieuse de son Royaume et sur la tolérance à accorder aux protestants comme en témoignent les guerres de religions du XVI°s, l’édit de Nantes en 1598 et sa révocation en 1685. Quant aux états devenus protestants, que ce soit en Suisse en Allemagne ou en Angleterre, ils adoptent en fait aussi la prétention à l’unité religieuse tant est si bien qu’on peut voir une transposition du modèle de chrétienté à l’échelle des états sous la houlette de leurs princes ; cela donna l’anglicanisme des protestants britanniques ou le « gallicanisme » des catholiques français.
La réforme catholique
Le choc de Luther fut si fort que l’Eglise catholique entama sa réforme qu’on appela la « contre-réforme ». Elle fut marquée par la réunion du concile deTrente de 1545 à 1563 mais aussi par les nombreuses fondations religieuses comme celle de la Compagnie de Jésus (les jésuites) par Saint Ignace de Loyola en 1540 ; il fit de sa société une milice au service du pape, notamment contre les protestants, et on la retrouva aux avant-postes de la mission avec des figures comme saint François-Xavier qui fut un missionnaire infatigable en Orient ou Matteo Ricci devenu conseiller de l’empereur de Chine, mais aussi avec des expériences audacieuses comme les « réductions » du Paraguay, ces petites cités autonomes destinée à protéger les indiens des colons.
Les vieux ordres ne furent pas en reste, comme en témoigne le rôle du dominicain Barthélémy de Las Casas en faveur de ces mêmes indiens. Certains ordres connurent leur réforme, notamment le Carmel, qui revint avec saint Jean de la Croix et Thérèse d’Avila à une vie moins mondaine et plus centrée encore sur l’oraison silencieuse. On porta aussi une attention renouvelée à la conduite des évêques à qui on donna le modèle de saint Charles Borromée mais aussi des prêtres pour la formation desquels on créa - enfin- des séminaires.
On parla en France du « siècle des saints » à cause du grand nombre de figures de sainteté qui marquèrent le XVII°s, comme ce prêtre dévoué aux pauvres que fut saint Vincent de Paul. Dans l’ordre de la contribution au savoir les théologiens de Salamanque donnèrent de bonnes bases au droit international et de minutieux chercheurs bénédictins, appelés les Mauristes, et Jésuites, appelés les Bollandistes, firent de précieux travaux historiques.
Fractures entre l’Église et la société
Ce renouveau spirituel lui-même ne fut pas sans ombres. Par exemple, l’inquisition subsistait et face à la prolifération de l’hérésie reçut même de nouveaux pouvoirs qu’elle exerça non seulement contre elle, mais aussi contre de prétendues sorcières ou contre des savants jugés audacieux, à l’image du procès intenté à Galilée en 1633. On vit des disputes théologiques continuer de prendre un tour politique, notamment en France les querelles janséniste et quiétistes aux XVII et XVIII°s qui furent toutes deux condamnées par Rome et réprimées par le roi. Même les missions furent le lieu d’une concurrence entre les ordres religieux et de disputes sur l’attitude à adopter face aux cultures à évangéliser qui se soldât par une intervention romaine proscrivant le principe de l’accommodation à ces cultures.
L’Église sembla difficilement sortir d’un régime de chrétienté qui voyait l’harmonie des pouvoirs temporels et spirituels jusqu’à la collusion. Elle se retrouva piégée par l’affirmation des états modernes qui, loin de vouloir se soumettre inconditionnellement à l’autorité étrangère du pape, aspirèrent à soumettre la religion à leur politique. Le choc de la Réforme protestante et des Grandes découvertes suscita de profondes remises en causes qui eurent aussi un effet bénéfique sur l’esprit missionnaire de l’Église (sa catholicité) et sa recherche d’une plus grande conformité à l’Évangile (son apostolicité et sa sainteté). Cet approfondissement de la foi qui fit germer de nombreux saints n’enraya pas pour autant la vague de sécularisation du siècle des Lumières : les modernes étaient en train de s’écarter résolument de la religion et même de la foi.
frère Maxime Arcelin
Le frère Maxime Arcelin est dominicain de la Province de Toulouse. Il est spécialisé en histoire de l'Eglise. En 2021, il réside au couvent de la Sainte-Baume. En 2019, il a publié le livret ThéoDom "Histoire(s) d’Église", aux éditions du Cerf.
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