5. Le tournent écolo de l’Eglise
La perturbation croissante actuelle de l'environnement est le produit d'une technologie et d'une science qui trouvent leur origine dans le monde occidental dans lequel ont évolué des figures de sainteté emblématiques pour l’écologie chrétienne, comme Hildegarde de Bingen ou François d’Assise. La critique de l’écologie à l’encontre du christianisme, le fait qu’elle ait été à l’origine de la crise pose question.
Aujourd’hui, on le voit, l’Eglise mène le combat pour l’environnement dans les périphéries. Elle s’engage sur les territoires sous pression en Amérique du Sud, en Afrique centrale. Sauf que cet engagement militant n’avait rien d’évident au départ.
Le philosophe Frédéric Dufoing a dressé une longue liste des critiques écologistes du christianisme… et les premiers écolos n’étaient pas tendres. L’historien américain Lynn White, par exemple, reproche à l’Eglise d’être à la racine de la crise écologique. Pour lui, le christianisme a encouragé l’esprit de conquête et de domination du monde. Lorsque White écrit ça, c’est la révolution culturelle aux Etats-Unis. L’Occident se relève de la guerre et les territoires coloniaux accèdent à l’émancipation. Le monde est en effervescence, l’industrie tourne à plein régime. Il faut miser sur la croissance et le développement. Les pays dits sous-développés bénéficient alors de mesures d’aides pour accéder à l’économie de marché.
Dans ce grand moment, très peu de personnes parlent d’écologie. Rachel Carson, une biologiste, lance un cri d’alarme, un peu comme Jean Baptiste au désert, pour dénoncer ce système productiviste qui considère la nature comme un bien au service de l’homme. L’Église, par la voix des papes, rappelle que l’homme «en dominant la terre, réalise le plan de Dieu et se cultive lui-même» (Paul VI). Je suis sûr qu’à ce moment, vous avez en tête le récit de la Création, avec cette image d’un homme maître de la création. Pour clouer le tout, la constitution dogmatique sur l’Eglise “Lumen Gentium”, rappellera que la nature doit conduire au développement de l’Humanité.
Je vous le donne en mille : les catastrophes écologiques d’origines industrielles ! Elles vont être le porte-voix des penseurs de l’écologie politique : Ivan Illich, un autre critique de la perversion du christianisme, ou Jacques Ellul, son inspirateur et auteur critique du système technicien. L’Église amorce un prudent virage et réhabilite à la fin des années 1960, Teilhard de Chardin, un jésuite philosophe, qui défend une « puissance spirituelle de la nature ». Mieux encore, Paul VI en 1970 met en garde les chefs d’Etat à l’ONU : « l’heure (leur dit-il) est maintenant venue pour l’homme de dominer sa domination, et cette entreprise nécessaire ne lui demande pas moins de courage (…) que la conquête de la nature ».
Les discours au peuple, c’est bien, mais ça ne suffit pas. Les papes Jean-Paul II et Benoît XVI vont un peu plus loin en intégrant l’écologie dans la doctrine sociale de l’Église. Cool !!
C’est quoi la doctrine sociale ? C’est un « référentiel de valeurs dans lequel peut s'exercer librement la conscience humaine ».
Et comme la cause est désespérée, François d’Assise est proclamé patron des écologistes lors de la conférence de l’ONU sur le climat, 9 ans après le discours de Paul VI.
Vous le devinez, au départ l’Église catholique rame un peu… c’est le dialogue interreligieux qui va contribuer à l’élaboration d’une approche chrétienne de l’écologie. Ce dialogue se concrétise en 1980 avec la création d’un réseau œcuménique dans une ONG baptisée Pax Christi. L’appel d’air est salutaire. Les débats théologiques sur les rapports homme-nature donnent l’occasion aux penseurs chrétiens de l’écologie politique d’interpeller les Eglises. L’église s’ouvre aussi sur les nouvelles notions d’empreinte écologique, de finitude du monde. L’appel de Graz de 1997 est le point de départ d’un engagement plus concret des Églises en matière d’environnement. En guise de symbole, le 1er septembre, jour de l’an du calendrier orthodoxe, est instituée la Journée de la sauvegarde de la Création. L’Église catholique reste tout de même un peu en retrait.
En 2000, la conférence des évêques de France prend position en matière d’économie en soutenant la théorie de la décroissance heureuse.
Catho-Ecolo, oui, mais à condition de mettre la vie humaine au centre des préoccupations écologistes. C’est le sens de « l’écologie humaine » que défend Jean Paul II.
L’engagement du pape François redonne des couleurs aux écologistes lorsqu’en 2015 il écrit la lettre encyclique « Laudato Si ». C’est une prise de position forte du magistère de l’Eglise. François fait la promotion de l’« écologie intégrale ». « Toute chose est liée » [Laudato Si 117, 120], c’est le principe fondamental de l’écologie intégrale. Les mots que l’on peut retenir sont que « la vraie approche écologiste se transforme toujours en une approche sociale » [Laudato Si, 49]. Le message de l’encyclique « Laudato Si », tout comme celui de l’exhortation apostolique « Querida Amazonia », s’inspire de la théologie du Peuple née en Amérique Latine. Si on veut en comprendre le sens, il faut se rappeler que cette région du monde a le pourcentage le plus élevé de catholiques. En Amazonie, l’engagement de l’Église est depuis longtemps au côté des paysans sans terre, des victimes des abus écologiques et de l’industrie minière. Cette prise de position théologique et environnementale fait très largement écho dans les pays dit du Sud. Comment prendre notre part et suivre l’Eglise ? Et bien d’abord en commençant par écouter « sœur mère la terre » « crier par la voix des pauvres ».
Thérèse Hugerot
Thérèse est docteure en géographie à l’École Doctorale Sciences et Ingénierie des Systèmes de l’Environnement et des Organisations.
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