6. Les chrétiens, responsables de la crise écologique ?
Thérèse :
Dans un article paru dans Science, en 1967, sur les racines historiques de la crise écologique, le médiéviste Lynn White écrivait que le péché du christianisme à l’origine de la crise était d’avoir “établi un dualisme entre l'homme et la nature, alors qu’autrefois, l'homme faisait partie de la nature”.
La hiérarchie du vivant est une vision judéo-chrétienne très paradoxale du monde. Pourquoi est-ce-que l’être humain est placé en haut de l’échelle de la Création ? Cette conception qui hisse l’homme par-delà la nature ne tient pas d’un point de vue scientifique. La science ne parle pas de hiérarchie mais de typologie pour comprendre le rôle et les interactions entre les espèces. Elle le fait sans jugement de valeur. Avec ces typologies, elle met en évidence la fonction des espèces : il y aura des espèces clefs de voûte, comme l’abeille, des espèces ingénieures comme le ver de terre.
frère Benoît :
Je suis bien d'accord avec toi, qui suis-je pour dire que la limace est moins importante que le pivert ? D'ailleurs, ce n'est pas ce que fait la Bible. Elle pose un ordre sans jugement de valeur. Mais dans cet ordre, parmi tous les animaux, il y a l'homme qui a quelque chose de spécial. Il est créé à l'image de Dieu et possède un pouvoir sur la nature que les autres animaux n'ont pas. Effectivement, si nous regardons notre monde, nous constatons que l'homme est le seul être vivant qui peut avoir un impact à grande échelle sur son environnement. Quel autre animal serait capable de détruire la planète ? Qui dit pouvoir dit aussi responsabilité. Si l'homme peut vider les océans de leurs poissons, il peut aussi faire l'inverse. Il peut comprendre le fonctionnement d'un écosystème et agir sur lui pour assurer son développement. Ou même il peut volontairement s'abstenir d'agir. Aujourd'hui l'homme s'interdit d'agir sur des zones dites protégées pour les préserver. Il est le seul être vivant capable de se donner à lui-même des limites nouvelles. Le début du livre de la Genèse constate l'ordre dans la Création et le fait que l'homme dispose d'un pouvoir qui le rend responsable des autres animaux. Elle le constate et ajoute que cela correspond au projet créateur de Dieu.
Thérèse :
Justement, quel sorte de maître sommes-nous ? Dieu demande aux hommes de dominer et de soumettre la terre. Il leur dit : « soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la ; soumettez les poissons dans la mer, les oiseaux dans le ciel et tous les animaux qui se meuvent sur la terre. » L’enseignement de l’Église le confirme. Le premier point du texte de « Gaudium et Spes » dit que “tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet”. Et cette domination semble sans limite.
Il y a un exemple alarmant aujourd’hui. Le « Jour du dépassement de la Terre en France », qui correspond au jour où les ressources capables de se régénérer sont épuisées, est tombé au mois de mai cette année. Autrement dit, si tout le monde sur la planète consommait comme nous, il faudrait à l’humanité 3 terres pour vivre.
frère Benoît :
Ce que tu dis pose la question de l'interprétation du message biblique. Les termes utilisés sont des termes royaux. Le premier récit de Création établit l'homme comme roi de la Création. Cela ne veut pas dire que tout doit tourner autour lui ! Au contraire, Dieu attend de l'homme qu'il soit au service de la Création, qu'il la protège. La Bible donne elle-même les clés pour comprendre cela. Le terme hébreux radah (רָדָה) traduit par dominer dans la Genèse est utilisé ensuite dans le Lévitique au sujet de la relation d'un maître avec son serviteur. Dieu demande par trois fois au maître « d'exercer le pouvoir » radah sans brutalité, avec douceur. Et au cas où nous n'aurions pas bien compris, ce terme radah revient pour la dernière fois dans la Bible chez Ezéchiel (29, 15). Là Dieu se fâche tout rouge contre les rois d'Israël qui cherchent à satisfaire leur intérêt personnel et Dieu leur demande une nouvelle fois d'exercer leur pouvoir radah sans dureté.
Et je rejoins ta question, quel sorte de maître sommes-nous ? C'est la question justement que nous pose la Bible. Nous avons à apprendre à être des bons maîtres sur la Création, à nous mettre à son service et à lui permettre de s'épanouir comme Jésus a été un bon maître pour ses disciples.
Cette interprétation est clairement exprimée dans le deuxième récit de la Création. Dieu demande à l'homme de cultiver ‒ abad עָבַד ‒ et de garder ‒ shamar שָׁמַר ‒ le jardin d'Eden. Ce premier terme, abad, est traduit ailleurs dans la Bible dans un sens liturgique par service. Et le deuxième terme shamar est utilisé un peu plus loin dans la Genèse quand Dieu demande à Abraham de garder son alliance. Shamar est aussi utilisé pour parler du sabbat, c'est-à-dire un jour qui pose une limite à l'activité productive de l'homme. Garder, protéger la Création, garder l'alliance de Dieu et garder le sabbat sont un même mouvement.
En résumé, l'homme a reçu une autorité sur la Création. Mais Dieu lui demande expressément d’exercer ce pouvoir comme un serviteur, de travailler à l'épanouissement de la Création et d'accepter de poser une limite à son intervention sur elle.
Thérèse :
Il y a une contradiction entre ce que tu expliques et l’attitude des chrétiens. Des grands scientifiques comme Galilée … Newton, ont déjà emboîté le pas à la théologie naturelle. A leur époque, la science et la technologie se sont unies, au nom du dogme chrétien de la transcendance de l'homme, et de son contrôle légitime sur la nature pour donner à l'homme le pouvoir de transformer la nature. Est-ce une coïncidence si la technologie moderne en agriculture a été largement diffusée depuis le nord de l'Europe ? C’est une question que pose aussi Lynn White. Regarde, en France dans les années 50, le développement de l’agriculture industrielle a été porté par la Jeunesse Agricole Catholique. Elle a lancé la mécanisation des campagnes, encouragé l’usage d'engrais chimiques, de la monoculture…. alors que cette forme d’agriculture a des conséquences sur l’érosion et sur l’appauvrissement des sols. Aujourd’hui encore on constate une certaine méfiance des chrétiens vis-à-vis des écologistes.
frère Benoît :
Heureusement que la technologie et la science se sont développées. Nous leur devons beaucoup dans le domaine de la santé par exemple. Ce n'est pas la science ni la technologie qui sont mauvaises, mais parfois leur utilisation quand elle n'est pas au service de l'homme et de la Création. La JAC a promu la mécanisation de l'agriculture et l'usage de produits chimiques dans le but de sauver les campagnes, assurer de bons rendements et offrir aux agriculteurs une vie digne. Elle n'avait pas conscience des dégâts que ce mode d'agriculture occasionnait à la terre. Le but final de la JAC est toujours vrai aujourd'hui mais, grâce entre autre à la science, nous savons que la méthode pour y parvenir a évolué.
Je ne pense pas que les chrétiens soient la cause de la crise écologique. La cause en revient plutôt au système consumériste que nous avons bâti. La publicité a rendu sourd les chrétiens comme les autres aux conséquences désastreuses de l'hyperconsommation. Heureusement, grâce à « Laudato si' », la situation commence à évoluer. En 2017, les Eglises catholique, orthodoxe et protestante ont lancé le label Église verte pour encourager, soutenir et orienter la conversion écologique des communautés chrétiennes. Aujourd'hui, plus de 400 communautés ont adhéré à la démarche. C'est encourageant.
Thérèse :
Je comprends que l’engagement écologique du chrétien passe par l’attention à la Création. Mais, malgré cette attention, l’Eglise dit aussi que l’homme ne doit pas s’attacher aux créatures. La religion chrétienne est une religion de détachement, de déracinement même. Parce que nous sommes tirés de la poussière de la terre, mais que nous sommes destinés à rejoindre un jour un paradis que nous appelons le Ciel. Cette idée de la re-création à la fin des temps déresponsabilise les croyants, puisque de toute façon ils ne sont que des pèlerins sur la terre.
frère Benoît :
Quand Paul (Romains 12. 2) nous demande d’être détaché du monde, il nous demande d’être détaché de sa logique prédatrice. Quand saint Paul nous demande de ne pas prendre pour modèle le monde présent, il ajoute pour expliquer : « Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. » Les chrétiens sont étrangers à la logique prédatrice du monde : les rapports de force, la rancune, la haine, etc. Mais pas de la terre ! La terre n'est pas un mal. Jésus n'était pas étranger à la terre. Quand il se fait homme, il vient « chez lui ». Je suis d'accord avec Amélie Nothomb quand elle écrit que Jésus est le plus incarné des hommes. Les chrétiens doivent être les plus incarnés des hommes. Bien sûr, l'homme peut s'attacher aux créatures. Jésus a demandé d'aimer son prochain, ce qui est une forme d'attachement. Saint Paul aussi nous y encourage dans cette même lettre au Romains « Que l’amour fraternel vous lie d’une mutuelle affection ; rivalisez d’estime réciproque. » Mais pour un chrétien, Dieu est présent au centre de chaque relation qu'il tisse avec une autre créature et ça change tout. Un peu avant, dans la lettre aux Romains, Saint Paul dit que la Création est en travail d’enfantement. On imagine quelque chose de nouveau qui sortirait de la Création. Mais en réalité tout se fait de l’intérieur. Exactement comme notre nouvelle naissance le jour du baptême. D'ailleurs , Saint Paul fait le parallèle entre l'enfantement de la Création et notre enfantement spirituel.
Thérèse :
Jésus “maître et seigneur”, s’est fait serviteur de ses disciples. Il s’est placé à égalité avec eux en les appelant “mes frères”. Nous sommes invités à avoir la même attitude que Jésus vis à vis de la Création. Et avec soeur Eau, frère Feu et soeur Lune, comme Saint François l’a fait, à louer Dieu.
Thérèse Hugerot
Thérèse est docteure en géographie à l’École Doctorale Sciences et Ingénierie des Systèmes de l’Environnement et des Organisations.
frère Benoit Ente
Frère Benoît Ente est dominicain à Lille, dans la maison filiale du couvent, 60 rue de Condé, dans le quartier de Wazemme. Il s'intéresse au cinéma et reprend des études après avoir été responsable de Carême dans la Ville pendant plusieurs années.
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