9. Les couvents, des éco-lieux ?
Quelles sont les clés d’une vie durable ? Et si elles étaient dans la vie monastique ? La vie monastique, un modèle de vie durable... Voilà une affirmation forte ! Est-ce que cela veut dire que je vous invite à tout abandonner et à entrer dans un monastère ? La vie monastique est-elle le seul moyen de sauver la planète ? Bien sûr que non… mais nous allons voir comment nous pouvons nous en inspirer.
Pour faire un très rapide résumé, un moine c’est une femme, ou un homme, qui vit dans un monastère avec d’autres moniales, ou moines : ils sont entièrement consacrés à Dieu par la prière et le travail, ils respectent une clôture et surtout, font vœu de stabilité. Ils restent toute leur vie au même endroit et doivent subvenir à leurs besoins sans sortir du monastère. Vous sentez déjà l’enjeu d’un tel mode de vie : subvenir humblement à ses besoins, gérer et protéger un lieu, des terres, sur lesquelles des générations de moines et de moniales vont se succéder. Et qu’entendre alors par « vie durable » ? Les trois grands piliers du développement durable sont le pilier environnemental, social et économique. L’idée qui sous-tend ce développement dans la durabilité c’est de prendre soin de ce que nous avons aujourd’hui pour ceux qui viendront demain. Alors… la vie monastique, en quoi est-elle un modèle de société pour la préservation de la planète et de l’Homme pour les générations à venir ?
Bien sûr, il y a les grandes figures religieuses de sainteté qui invitent à porter un autre regard sur la Nature. Celui qui vous vient tout de suite à l’esprit… Saint François d’Assise, bravo. Il appelait « frères et sœurs » les hirondelles, les vers de terre, le vent, la pluie. Il demandait qu’une partie du jardin du couvent ne soit pas cultivé, pour laisser croître les herbes sauvages. Autre grande figure : la bénédictine Hildegarde de Bingen, docteure de l’Église, qui s’est démarquée dans la vallée rhénane pour sa sensibilité avec la nature. Elle avertit des conséquences néfastes qu’entraîne le non-respect de l’harmonie de l’univers et propose un régime de vie adapté : c’est une pionnière de l’écologie intégrale.
Oui mais voilà : ces grandes figures mystiques du Moyen-Âge peuvent nous sembler lointaines. Or la vie monastique est une réalité éminemment actuelle et une réalité durable : qui dure (des siècles) dans le temps ! Nous répondrons à notre question à travers trois axes de réflexion : la vie monastique aujourd’hui est un modèle de vie durable à travers… son orientation toute tournée vers le Créateur, proche de sa Création sa recherche d’une sobriété heureuse et une désappropriation, enfin son idéal de charité : une écologie intégrale à taille humaine Et oui ! La vie monastique est une vie connectée à la source, c’est-à-dire au Créateur et sa Création. Vous pensez tout de suite aux travaux dans les champs ou dans le jardin des moines et moniales, que ce soit pour nourrir une communauté, la soigner ou pour orner un cloître. Il s’agit alors de prendre soin de l’œuvre de Dieu, de cette nature qui porte des fruits avec patience. Mais nous sommes au stade superficiel, si je puis dire ! Plus profondément, la vie monastique affirme ceci : l’Homme n’est pas tout-puissant ! Vous voyez ici l’enjeu pour notre monde et nos modes de vie : l’Homme a pris l’habitude de vivre à un rythme artificiel, là où moines et moniales vivent au rythme de la nature. Le rythme des saisons pour les cultures, le rythme du soleil pour les journées, les repas et la prière. Cette vie de prière, justement, aide à contempler la beauté de la Création : nombre de psaumes, cantiques et oraisons chantées tous les jours invitent à la louange de cette Création donnée à tous. Cette louange, c’est une conversion du regard. Louange... et donc respect ! C’est cette humilité de l’Homme face au projet de Dieu qui peut nous inspirer.
Et cela se retrouve tout particulièrement dans le fameux « labora » des religieux. Il faut alors parler d’ « œuvre » plutôt que de « travail » comme l’écrit Hannah Arendt : le travail est orienté vers la consommation, alors que l’œuvre contribue au développement de la nature. L’homme est différent de la Nature en tant qu’il participe au projet de Dieu, en faisant fructifier la Nature (c’est son œuvre), et en même temps il reconnaît humblement qu’il fait pleinement partie de la Création. Notre deuxième point, c’est la sobriété heureuse ! Après notre premier point, nous voilà dans un domaine éminemment concret : celui de l’économie monastique. Saint Augustin le résume bien dès le début de sa règle : « à chacun selon ses besoins ». En effet, par leur vie, moines et moniales montrent qu’il peut aussi y avoir une raison économique dans le fait d’être durable. Il faut ici faire la différence entre une économie de subsistance et une économie capitaliste. Dans la vie monastique, au diable l’idée de croissance ! Il s’agit simplement d’assurer les moyens de sa propre subsistance : cela consiste en une certaine frugalité mais qui suffit aux besoins de chacun.
La vie monastique, parce qu’elle est dépouillée et tournée entièrement vers Dieu, s’épanouit au rythme d’une vie simple avec des besoins simples. Voilà ce qui peut nous inspirer : adieu le superflu, bonjour l'auto-approvisionnement et la désappropriation contre la surconsommation. Dernier point intéressant dans ce mode de vie sobre : les moines font une séparation entre travail et rémunération : le travail est là car il aide une personne à s’épanouir… et ça c’est durable. Ce n’est pas « travailler plus pour gagner plus » comme disait l’autre.
Mais le prochain dans tout ça ? C’est parfois le reproche qu’on fait au développement durable entièrement centré sur la nature : n’oublions pas qu’il comprend aussi un volet social. La charité, c’est aussi prendre soin de son prochain et c’est au cœur de la vie des monastères. La vie monastique, c’est aimer ses frères et ses sœurs au quotidien dans un « vivre ensemble » : le travail de chaque membre est fait pour les autres... il n’y a pas d’avantage individuel ! On accepte, par le vœu de pauvreté, de dépendre les uns des autres. Un monastère, c’est aussi une implantation locale, et ça, nous pouvons en prendre de la graine! À une échelle toute petite, moines et moniales changent leur monde avant de changer le monde. Dépourvu d’une logique d’amasser des biens indéfiniment, les monastères œuvrent pour les femmes et les hommes de leur temps par des aides sociales dans l’anonymat, par la redistribution des gains et parfois même par l’emploi de personnels en insertion, pour des récoltes ou certaines tâches.
En conclusion, je vous vois venir : bien sûr, la vie monastique n’est pas applicable à tous. Il y a bien les oblats qui vivent de la règle monastique dans leur vie de tous les jours. Mais la vie monastique reste une sorte d’utopie : un signe du monde à venir, du Royaume Céleste. Cette vie n’est pas un modèle parfait mais une école de perfection : un signe avant tout que c’est possible ! La vie monastique, modèle de vie durable : inspirons-nous de leur respect de l’œuvre du Créateur, de leur sobriété bienheureuse et de leur charité !
Bibliographie et sources :
Benoît-Joseph Pons, L’économie monastique, une économie alternative pour notre temps, Éditions Peuple Libre, Lyon, 2018, 415 p.
Pour un engagement écologique : Simplicité et Justice, Paroles de chrétiens sur l’écologie, Éditions Paroles et Silence, Nantes, 2014, 305p.
Fabien Revol (dir.), Penser l’écologie dans la tradition catholique, Éditions Labor et Fides, Genève, 2018, 403p.
Certains numéros de la revue Limite, revue d’écologie intégrale (en particulier le n°7 de juin 2017 – Le temps de vivre).
frère Rémi-Michel Marin-Lamellet
Frère Rémi-Michel est diplômé du CELSA Paris-Sorbonne. En 2023, il est frère étudiant au couvent Saint-Hyacinthe, à Fribourg (Suisse).
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