10. Dominez la Création…
Frère Jean-Marie – Alors est-ce que c'est simplement depuis « Laudato si » que l'église est devenue capable de penser l'être humain en relation avec les créatures ?
Frère Grégoire – En fait, non, la chose est présente dès le début de la création, c’est-à-dire, dès le livre de la genèse :
L’être humain, dominateur ?
Dans le premier récit de la création au chapitre 1 du livre de la genèse, il est clairement dit que l'homme est au sommet de l'ensemble de la création, il est invité à dominer toutes les créatures. Le verbe utilisé par le texte biblique est RADAH. Le chapitre 2 de la Genèse précise ce que c'est cette domination, ce type de relation que l'homme a avec le reste des créatures.
Dominer les créatures, c'est d'une part servir : « AVAD » et deuxièmement « SHAMAR », garder. « AVAD et SHAMAR » sont deux mots qui sont très riches dans le vocabulaire biblique, notamment pour dire la relation de l'homme avec Dieu. L’homme est chargé, est invité à servir son Dieu et à garder l'Alliance. La relation qu'il a avec les autres créatures est un peu du même type : il s'agit de servir, cultiver, protéger la créature et la garder. Autrement dit la relation de l'homme avec les créatures, même si elle existe sous forme de domination au début, est plutôt une domination du type service et protection.
L’être humain connecté
Frère Jean-Marie – Et donc d'entrée de jeu si on peut dire, dès la création, l'être humain est situé parmi d'autres créatures.
Et ça c'est vraiment important pour une anthropologie chrétienne, parce que si nous en restions simplement à l'idée de l'homme qui est un corps et une âme, on peut se centrer sur l'individu c’est-à-dire, un être qu'on regarde en dehors des relations. Cela peut pousser à regarder la question des relations simplement d'un point de vue éthique : « je suis un individu, je suis un corps et une âme », et puis bon il faut bien rentrer en relation avec les autres mais quand on dit « il faut », ça veut dire que je peux aussi, « ne pas » entrer en relation avec les autres.
Ce qui est capital dans une anthropologie chrétienne qui tient compte à la fois de ses racines bibliques et puis de cette interpellation, on pourrait dire qu'on a reçu des questions écologiques parce que la théologie, elle peut aussi se nourrir de ce qui vient du monde. Ce qui est capital c'est de penser l'être humain comme un homme relié, comme un être relié à d'autres créatures ; ce n'est pas un devoir de se relier, c'est que nous ne pouvons pas nous penser autrement que relié.
Dans la genèse, les êtres humains sont reliés à la création
Frère Grégoire – Et c'est de fait tout à fait cohérent ce que tu dis là avec le message biblique, et aussi une interprétation de la bible qui peut être plus juste que celle des temps passés. En effet l'homme est dépendant de son milieu naturel, il est dépendant des créatures qu’il a la charge de garder et de protéger, comme le dit le récit de la genèse mais cette relation n'est pas une relation purement utilitaire.
Si on revient encore au livre de la genèse au chapitre 2, Dieu présente les différents animaux à l'homme pour qu'il leur donne un nom. Alors c'est sûr que donner un nom en perspective biblique à quelqu'un ou à quelque chose, c'est exercer une forme de pouvoir et de domination sur lui, mais c'est aussi entrer en relation avec cette réalité-là et le projet divin tel qu’ il est lu par le pape dans « Laudato si », est bien de permettre à l'homme d'avoir une relation pacifique et harmonieuse avec l'ensemble du monde créé.
Vers une relation pacifique et harmonieuse avec la création
Cette relation pacifique et harmonieuse a été abîmée voire profondément perturbée par le péché de l'homme, c'est ce que signale la sortie du jardin d'éden à la fin du chapitre 2, début du chapitre 3, du livre de la genèse. C’est ce que le chapitre 5 de la genèse manifeste aussi avec l'histoire du déluge mais les choses heureusement ne s'arrêtent pas là.
En tout cas dans la perspective biblique, il y a aussi une espérance qui va par exemple être portée par les prophètes, notamment Isaïe au chapitre 11, versets 6 à 11, dans lequel Isaïe annonce comme espérance, des relations de nouveau harmonieuses, de nouveau pacifiques, de nouveau heureuses entre l'homme et les autres créatures, avec cette image par exemple, de l'enfant qui joue sur le trou du serpent ou du petit garçon qui mène paitre l'ours et le bœuf sans danger.
Ce que « Laudato si », ce que la Bible permet de penser, c’est trois choses : (1) premièrement, que l'homme est fondamentalement un être en relation avec d'autres créatures. (2) Deuxièmement, c'est que malheureusement le péché abîme cette relation que Dieu veut au départ harmonieuse et pacifique. (3) Et troisièmement, c'est qu’on n'est pas bloqué dans cette situation de péché.
L’homme peut, individuellement et collectivement, travailler à rétablir ces relations harmonieuses et heureuses avec toutes les autres créatures. Notre espérance c'est qu’un jour nous nous retrouverons dans l'éternité dans la création enfin renouvelée, complètement libérée du péché.
frère Jean-Marie Gueullette
Titulaire d'un doctorat en médecine et d'un doctorat en théologie catholique, frère Jean-Marie Gueullette a obtenu l'habilitation à diriger les recherches en histoire moderne. En 2020 au couvent du Saint-Nom-de-Jésus à Lyon, il enseigne la théologie morale à l'Université Catholique de Lyon.
frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond
En 2021, frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond vit au couvent de La Tourette. Frère Grégoire est l’auteur du recueil de poésie Chambre avec vues (éditions Cheyne) et de Le Livre et le Désir, éditions du Cerf, 2020.
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