5. Tous dignes ! Un peu de respect SVP.
Préserver la dignité humaine… tout le monde est d’accord avec le principe. Mais en pratique c’est beaucoup plus compliqué. Regardez : certains vont parler du « droit de mourir dans la dignité » pour légitimer le suicide assisté ou l’euthanasie. D’autres vont vous dire que de telles pratiques sont contraires à la dignité de l’homme qui implique que la vie soit préservée jusqu’au bout. Alors qu’entend-on par « dignité humaine » ? Le chrétien a-t-il une vision spécifique de cette dignité ?
D’où vient la dignité des personnes humaines ?
Pour un chrétien la dignité de l’homme est fondamentale parce qu'elle vient directement de Dieu. Pour bien le comprendre il faut se rappeler que, dans le livre de la Genèse, on nous dit que Dieu crée l’homme à son image et à sa ressemblance. Il est au sommet de toutes les créatures matérielles et il a une part de lui-même qui le rapproche des créatures spirituelles.
En plus, le Fils de Dieu lui-même s’est fait homme en Jésus-Christ. L’homme a donc une très haute dignité parce qu’il est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et qu’il est appelé à participer à la vie de Dieu.
Dieu connaît chaque personne par son nom et chaque personne a du prix à ses yeux. Un passage du prophète Isaïe dans l’Ancien Testament le résume très bien :
« Ainsi parle le SEIGNEUR qui t'a créé, Jacob, qui t'a formé, Israël: Ne crains pas, car je t'ai racheté, je t'ai appelé par ton nom, tu es à moi. » (Isaïe 43, 1)
Rappeler cela est fondamental quand on parle de questions morales ou éthiques. Le risque est en effet de foncer tête baissée sur des problèmes à régler, sur des questions techniques.
Souvent, je crois qu’on ne peut pas bien discuter si on ne revient pas à la base. La base c’est d’où on vient et où on va. D’où on vient ? De Dieu qui nous veut à son image et à sa ressemblance ! Où on va ? Vers Dieu pour partager le bonheur de le voir dans l’éternité. Avant toute question sur la vie personnelle ou sociale de chacun, rappelons-nous ces choses fondamentales. Les oublier ce serait comme se lancer dans une opération chirurgicale en oubliant qu’un être humain a besoin de respirer de l’air ou réfléchir à la décoration d’une maison avant d’en avoir posé les fondations. L’homme vient de Dieu et va vers Dieu. C’est de là qu’il tire sa dignité.
Et ça change quoi concrètement ?
En fait, si vous voulez comprendre beaucoup de prises de position de l’Église, gardez en tête la défense de la dignité humaine, vous verrez le fil qui les relie toutes. Le pape François l’exprime très bien dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium en 2013 : Il parle dans le même passage (§§ 210-215) : des migrants, des personnes réduites à des formes d’esclavage moderne, des minorités persécutées, des femmes discriminées, des enfants à naître, mais aussi de la Création fragile à préserver.
Même un enfant tout petit ou encore à naître, même une personne très malade ou très âgée porte en elle-même une dignité qui lui vient du fait qu’elle appartient à une humanité créée par Dieu. Cette dignité n’est pas liée au fait qu’elle peut réfléchir ou non, parler ou non, être en rapport ou non avec son entourage… L’être humain, tout être humain, de sa conception à sa mort naturelle, a une dignité parce qu’il est créé, racheté, accompagné par Dieu. Rien ne peut effacer en la personne humaine cette dignité profonde qui vient de Dieu.
On le voit bien, la question de la défense des plus pauvres, la défense du respect de la vie, de son origine à sa fin à travers (par exemple l’opposition à l’avortement ou l’euthanasie) sont des éléments cohérents dans la pensée de l’Église qui découlent directement de sa conception de la dignité de l’être humain. On n’a donc pas à choisir entre la défense des positions de l’Église sur la vie et /ou sur les positions sociales. Tout cela est un ensemble parce que c’est bien l’humain, créé et sauvé par Dieu, dont chaque chrétien est appelé à défendre la dignité.
Voix off : Comment agir pour préserver la dignité humaine ?
Pour répondre à cette question, je ne voudrais pas vous livrer un grand discours. Je voudrais plutôt vous présenter deux exemples.
Frère Antonio de Montesinos, défenseur des indiens
Le premier est celui d’un homme, un religieux dominicain du XVIe siècle. Il avait été envoyé sur l’île d’Hispaniola en Amérique latine, l'actuelle île sur laquelle se trouve Haïti et la République dominicaine. Il s’appelait frère Antonio de Montesinos. Lors de l’Avent 1511, il a dénoncé avec une grande force l’esclavage auquel les indiens avaient été réduits par les colons européens. Reprenant l’expression de saint Jean-Baptiste, il s’était écrié : « je suis la voix qui crie dans le désert » ajoutant à propos des Indiens: « ne sont-ils pas des hommes ! » Le sermon de Montesinos a eu un écho énorme et il a été reçu jusqu’à la cour du roi d’Espagne. Considérant la manière dont Dieu traite les hommes et voyant un tel contraste avec l’esclavage des Indiens, il avait compris la nécessité de se révolter. Dieu et sa parole sont un rempart pour protéger la dignité de l’être humain quand il est maltraité.
Dorothy Day, défenseure des travailleurs et de la paix
L’autre exemple que je voudrais vous proposer est beaucoup plus proche de nous. Il s’agit d’une femme du XXe siècle. Elle s’appelle Dorothy Day et a vécu aux Etats-Unis. Elle a milité pour la reconnaissance des droits des femmes. Elle a aussi cherché à secourir les plus discriminés dans la société de son temps. Dorothy Day, qui, avant sa conversion, a connu une vie sentimentale mouvementée, a aussi vécu un avortement, s’est convertie au moment de la naissance de son premier enfant. Elle s’est émerveillée devant cette vie qu’elle et le père de son enfant avaient pu mettre au monde. Elle a été portée par la grandeur de la vocation humaine. Devenue chrétienne, elle est restée militante. Elle a, en particulier, cherché à accueillir les plus pauvres dans des communautés qu’elle a fondées. Mais elle est surtout connue pour son engagement pacifiste. En raison de sa foi, elle ne pouvait accepter la guerre, qu’elle voyait comme une blessure dans le Corps du Christ dont elle se savait membre et auquel tous les hommes ont vocation à appartenir.
Son procès en béatification a été ouvert par le pape Jean-Paul II et le pape François l’a souvent citée comme modèle. Un bel exemple de la défense de la dignité humaine, comprise comme émerveillement face à la vie, lutte contre toute violence faite à cette vie, engagement pour l’égalité des hommes et des femmes.
La dignité humaine c’est donc un fondement de toute action chrétienne. Elle est comme la signature du chrétien qui n’est fidèle à sa vocation que s’il rappelle à tous (et d’abord à lui-même) que l’homme a été fait par Dieu et que le but de sa vie est le bonheur de voir Dieu. Courage, donc. Battons-nous donc pour la dignité de l’être humain partout où elle est menacée ! A nous d’être les Montesinos ou les Dorothy Day de notre temps !
Pour aller plus loin :
https://www.theodom.org/serie/ecologie-chretienne/
https://www.doctrine-sociale-catholique.fr/
https://clameurs-lawebserie.fr/
https://jeuneetengage.org/
https://zachee.com/
Frère Jacques-Benoît Rauscher
Frère Jacques-Benoît Rauscher enseigne la théologie morale et l'éthique sociale à l'Université de Fribourg en Suisse. Avant d'entrer dans l'Ordre dominicain, il était professeur de Sciences Économiques et Sociales et participait à une équipe de recherche en sociologique (Sciences Po/ CNRS). Il a récemment publié quelques ouvrages : L’Église catholique est-elle anticapitaliste ? (Presses de Sciences Po, 2019) - Des enseignants d'élite ? Sociologie des professeurs de classes préparatoires (Cerf, 2019) - Découvrez la doctrine sociale de l’Église avant d'aller voter (Cerf, 2022).
Une question ? Un commentaire ?
Réagissez sur notre forum