3. Des martyrs à l’empire
Vous vous rendez compte ? Jésus n’a que sa mère et une poignée de disciples autour de lui à l’heure de sa mort et, 3 siècles après, l’empereur lui-même est devenu chrétien. On pourrait caricaturer en disant que les chrétiens sont passés de l’état de persécuté à celui de persécuteur ; certains vont même plus loin en pensant qu’en s’alliant au pouvoir, l’Église a trahi le message du Christ. Au début du XXe°siècle, le spécialiste très controversé de la Bible, Alfred Loisy, aboutissait à un constat : « Le Christ a prêché le Royaume et c’est l’Église qui est venue » ; il laissait entendre par là qu’il voyait un écart important entre ce que le Christ annonçait et ce qu’on a vu après. Intéressons-nous à cette période de l’Antiquité, décisive pour le christianisme puisque cette religion s’est imposée dans tout l’Empire en quelques siècles. En devenant une institution puissante, l’Église ne s’est-elle pas éloignée de l’Évangile et du Christ ?
Le temps des apôtres
Nous avons laissé l’Église naissante telle qu’elle était décrite par les derniers livres du Nouveau Testament. Il y a alors douze apôtres plus un Paul. Avec d’autres disciples, ils prêchent l’Évangile et fondent des communautés qui reçoivent les enseignements des uns et des autres ; chaque apôtre a son public préféré : Matthieu parle plutôt à des juifs ; Jean aussi, mais avec une plus forte culture grecque, tout comme Luc ; Marc plutôt à des non-juifs, et Paul, Paul ! très bavard, surtout dans ses lettres, parle à tous, juifs ou païens qui se retrouvent autour du Christ. La cohérence et la complémentarité des différents enseignements – Évangiles et lettres – a amené les chrétiens à tous les reconnaître comme inspirés, c’est-à-dire donnés par Dieu, et à constituer ce qu’on appelle le Nouveau Testament.
Ruptures ou continuités avec le judaïsme ?
Les discussions de saint Paul avec les juifs et les païens trouvèrent leur prolongement chez les pères dits « apologètes » - encore un mot grec, pour dire en fait défenseur. Ces chrétiens, convertis comme saint Justin, ou souvent évêques, discutaient avec les juifs en vue de leur montrer que Jésus accomplissait parfaitement les Écritures juives : Le prophète Isaïe disait qu’une vierge enfanterait ? que le messie de Dieu souffrirait ? C’est ce qui est arrivé par Jésus et en Jésus. Il fallait aussi discuter avec les philosophes païens pour leur faire admettre que Dieu puisse s’incarner et leur montrer que cela n’était pas complètement absurde. C’est ainsi que le vocabulaire de la philosophie grecque fut adopté, ouvrant la voie à une compréhension plus profonde des mystères de la foi, ce qu’on appellera progressivement une théologie. La nécessité se fit d’autant plus ressentir, qu’au sein même de l’Église, certains, comme Marcion ou Mani, se séparèrent à cause de questions de foi non encore éclaircies. C’est ce qu’on qualifie de schisme - ça c’est quand on ne supporte plus - ou d’hérésie - ça c’est quand on ne croit plus la même chose. Des évêques comme saint Irénée à Lyon au II° siècle, y répondent en s’appuyant sur l’autorité des écrits du Nouveau Testament et sur la « tradition », un concept important que saint Vincent de Lérins résume ainsi : ce qui est cru partout, toujours et par tous.
Le temps des conciles
On comprend donc l’importance des conciles où les évêques essayaient de trouver tous ensemble les bons mots pour parler du mystère de la foi. Par exemple : le concile de Nicée en 325 définit que le Fils est consubstantiel - de même nature que le Père ; à Constantinople en 381, que le Saint Esprit procède du Père; à Ephèse en 430, que le Christ est vrai Dieu et vrai homme et que, par conséquent, la Vierge Marie est « Mère de Dieu » ; à Chalcédoine en 451, que les deux natures – humaine et divine – du Christ subsistent en une personne « sans confusion, ni changement, ni division, ni séparation ».
L’Église s’organise
En même temps que la doctrine, les institutions et les pratiques religieuses se structurent. Une partie est tirée du judaïsme. On prie les psaumes par exemple, mais la nouveauté vient des gestes posés par Jésus puis par ses apôtres et que les chrétiens reproduisent : baptême et eucharistie avant tout, mais aussi onction d’huile aux malades, pardon des péchés, don de l’Esprit Saint et imposition des mains aux ministres élus, pas ceux du gouvernement bien sûr : les serviteurs en latin : les évêques, successeurs des apôtres, ainsi que leurs collaborateurs - prêtres et diacres - pour que tout le peuple chrétien puisse avoir accès à ce qu’on va appeler les sacrements.
De nombreux chrétiens
A l’exemple d’Étienne, de nombreux chrétiens se sont montrés fidèles au Christ jusqu’à la mort. Les Romains se méfient des adeptes de cette secte séparée des juifs notamment parce qu’ils refusent de rendre le culte à l’empereur. Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, les persécutions n’ont pas ralenti l’expansion du christianisme, Tertullien, un auteur latin d’Afrique, va même jusqu’à dire que le sang des martyrs est semence de chrétiens. On en trouve progressivement dans toutes les couches de la société, jusqu’à l’empereur lui-même, Constantin.
L’Église et l’empire
Constantin sort les chrétiens de la clandestinité, en les autorisant à célébrer leur culte publiquement par l’édit de Milan en 313. L’Église doit dès lors composer avec cet allié puissant. Les discussions de foi, notamment en concile, prirent une tonalité plus politique ; ce fut sous son autorité que furent désormais réunis les plus grands conciles. Un des enjeux des quinze siècles suivants fut de trouver la bonne articulation entre ces deux institutions à vocation universelle que sont l’Empire et l’Église, moyennant des tensions permanentes.
Le temps des moines missionnaires
Est-ce que cette alliance avec le pouvoir politique a fait perdre à l’Église sa vocation à la sainteté ? Non. Certes il n’y a plus tellement de martyrs mais on constate que la radicalité n’a pas disparu ! Des hommes assoiffés de Dieu se retirent dans les déserts pour suivre le Christ soit en ermites, comme saint Antoine le Grand en Égypte au IIIe siècle, soit en communautés vivant sous une règle, comme saint Benoît en Italie au VIe siècle.
D’autres poursuivent l’œuvre d’évangélisation jusqu’aux confins de l’empire. Pour la Gaule, le plus connu est le célébrissime saint Martin de Tours au IVe siècle. C’est ainsi que l’Europe fut progressivement parsemée de monastères où les moines ont à la fois christianisé les populations, aménagé routes et forêts et conservé et approfondi la culture occidentale dans leurs bibliothèques.
frère Maxime Arcelin
Le frère Maxime Arcelin est dominicain de la Province de Toulouse. Il est spécialisé en histoire de l'Eglise. En 2021, il réside au couvent de la Sainte-Baume. En 2019, il a publié le livret ThéoDom "Histoire(s) d’Église", aux éditions du Cerf.
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