8. Délivre-nous du mal.
« Délivre-nous du mal. » On peut trouver un peu triste que le Notre Père se termine sur le mot « mal », mais justement, on demande à Dieu, de nous en délivrer, de nous en arracher. Il faudrait presque le traduire comme ça, parce que le mal, c’est tout ce qui nous éloigne de Dieu, tout ce qui dévie notre chemin avec Dieu, et donc, c’est un cri final, un cri plutôt joyeux. Délivre- nous, parce que toi seul peux le faire, de ce qui nous éloigne de toi, nous avons envie de marcher avec toi, Seigneur.
« Mais, délivre-nous du mal. » On peut traduire aussi, et on le traduit quelque fois délivre-nous du mauvais, ça peut désigner le diable peut être, ça peut désigner tout ce qui est mauvais.
Le mal, ce qui nous coupe de Dieu
Qu’est ce que c’est que le mal, selon la parole de Dieu ? C’est tout ce qui nous éloigne de Dieu, et de son intimité, de son inspiration. C’est quand on essaie de faire les choses par soi-même. Alors délivre nous du mal, ça veut dire : remets-nous sur la route, Seigneur, avec toi, en ta compagnie.
Donc, qu’Il nous délivre du mal, c'est-à-dire des solutions qu’on pensait avoir trouvées, mais qui ne mènent à rien, pour nous emmener sur cette route incroyable, inconcevable, qui est la route avec lui.
Et c’est vraiment ce qu’on peut demander à la fin de cette prière à Notre Père. Délivre-nous du mal, restaure notre relation avec toi, pour que nous fassions notre chemin avec toi.
Joseph : faire du bien avec du mal
Donc, ça nous fait échapper à pas mal de déviances, et je voudrais citer quelques textes intéressants, parce que les fins de livres bibliques sont souvent une sorte de bilan : « Est-ce que on a sombré dans le mal ?», c'est-à-dire l’éloignement de Dieu. C’est par exemple la fin du livre de Josué dans l’Ancien Testament. Ou bien, est ce que l’on a traversé le mal, ou que on l’a contourné, pour retrouver l’intimité de Dieu ?
Et il y a un très beau texte là-dessus : c’est le dernier chapitre de la Genèse, donc c’est Joseph qui va mourir et qui parle à ses frères. Donc, Vous savez, entre Joseph et ses frères, ça n’a pas toujours été simple. Ils ont vendu Joseph comme esclave après avoir voulu le tuer dans sa jeunesse, et ils ont fait croire à leur vieux père Jacob, que Joseph avait été dévoré par une bête féroce dans le désert, et Joseph était esclave en Egypte. Ils ont retrouvé leur frère bien des années après.
Et Joseph, sur son lit de mort fait une sorte de bilan. Il dit, donc c’est au chapitre 50, le dernier de la Genèse, au verset 20, il dit à ses frères, le mal que vous aviez médité contre moi, Dieu a médité, Lui, d’en faire du bien, pour ceci ; « faire vivre un peuple nombreux ».
« Mais Joseph leur répondit : « Soyez sans crainte ! Vais-je prendre la place de Dieu ? Vous aviez voulu me faire du mal, Dieu a voulu le changer en bien, afin d’accomplir ce qui se réalise aujourd’hui : préserver la vie d’un peuple nombreux. » (Genèse 50, 19-20)
C’est très intéressant, ça veut dire dans cette structure de mal, que les frères avaient mis en place, la haine contre Joseph, la volonté de le tuer, de l’éloigner en tous cas, de le faire passer pour mort. C’est quand même dur, lourd, dans une famille, de vivre avec des gens comme ça ! Donc, dans cette structure de mal, Dieu a travaillé pour en faire du bien, pour en faire sortir du bien. Et voilà ce qui est Dieu, qui est Notre Père, Celui qui, même quand tout nous abandonne, quand on s’éloigne de Lui, trouve un chemin pour aller vers la vie. Joseph a retrouvé ses frères, ils vivent ensemble, Joseph va mourir paisiblement avec Dieu, en annonçant que il aura un continuateur, se sera Moise, dans le livre suivant, et voyez le mal que vous avez médité, Dieu a médité d’en faire du bien. Il travaille de l’intérieur, Il structure les cheminements pervers pour en faire de la vie, comme le dit Joseph. Donc : « faire vivre un peuple nombreux ».
Et ça, ce « faire vivre » c’est une expression typique de Joseph dans le livre de la Genèse. Et je pense que c’est notre « mot d’ordre » à tous les chrétiens : faire vivre un peuple nombreux, mettre la vie là où elle manque, mettre la vie là où elle est déniée, là où des choses pas très claires sont mises en place pour faire dévier les choses.
Celles qui montrent la voie juste
Et donc, dans la Bible, dans l’Ancien Testament d’abord, il y a des personnages très précis qui font sortir du mal, c'est-à-dire qu’ils trouvent le chemin avec Dieu, pour remettre les gens sur la route, juste, où on va cheminer avec Dieu et faire vivre. Et ces personnages, ce sont très souvent des femmes.
Je prends un exemple caractéristique : C’est dans le 1er livre de Samuel, au chapitre 25. Ce sont les débuts du jeune David, qui est le nouveau messie d’Israël, mais qui n’est pas reconnu par le roi en place, Saul, donc il doit errer avec ses hommes dans le désert, et se faire employer ici et là, et son dernier employeur ne veut pas le payer, ni lui, ni ses hommes. Donc David dit : « on va aller chez lui, il s’appelle Naval, on va le tuer, lui et tous les hommes de sa maison, on va massacrer tout le monde ! ». Et puis, il y a un serviteur de ce Naval, qui prévient la femme de Naval : Abigail, qui est une femme sensée, intelligente et belle, et qui lui dit : « Voilà ce que ton mari a fait, il a refusé de payer David, pour ses services rendus, et je crois bien que David va venir se venger ! » Alors, que fait Abigail ? Sans le dire à son mari, elle prépare de la nourriture sur des ânes, elle amène tout ça vers David et elle intercepte David, au moment où il va arriver dans sa propriété pour tuer son mari et tous ceux qui y habitent et elle lui dit, et c’est très audacieux. Alors, elle se met face contre terre, elle lui parle avec beaucoup de respect, mais enfin, aussi avec beaucoup d’autorité, une autorité qui vient de Dieu, et elle lui dit, en gros je résume ses paroles : « Un messie de Dieu, un roi d’Israël comme tu vas l’être, ça n’est pas quelqu’un qui se venge et qui fait justice par soi-même, tu le regretteras un jour quand tu seras sur le trône, et tu verras que tu n’es pas du tout en conformité avec Dieu, si tu fais ce que tu as prévu : massacrer tout le monde ! Alors, je te le dis, changes d’avis ! ».
Ce que fit David ! Il change d’avis et il dit à Abigail ce verset, qui, pour moi est le plus beau de la bible :
« Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, qui t’a envoyée en ce jour à ma rencontre. Bénie soit ton intelligence, et bénie sois-tu, toi qui m’as retenu aujourd’hui d’en venir au sang et de me sauver par ma propre main ! » (1 Samuel 25, 32-33)
« Bénis soi le Seigneur qui t’a envoyée à ma rencontre ! » Quand un homme peut dire ça une femme, au m oins une fois dans sa vie, le salut n’est pas loin. Ça veut dire que David a compris, qu’Abigail le faisait sortir du mal, le sortir du mauvais pour le remettre sur la route juste, que Dieu avait prévu pour lui comme messie.
Et à bien des reprises, et jusqu’au matin de la résurrection, où les femmes dirigeront les disciples vers le juste chemin : le Christ ressuscité (et pas vers leur peur et leur incroyance qu’ils portent en eux) les femmes sont celles qui sont, en quelque sorte, les auxiliaires de Dieu, de Notre Père, pour montrer la voie juste, la voie vivifiante où Dieu nous conduit.
Bien sûr, Dieu a des auxiliaires pour nous délivrer du mal, c’est lui qui agit, mais par des personnes qui écoutent, qui entendent, qui sont attentives, et dans la bible ces personnes qui délivrent du mal et qui remettent sur la voie juste, ce sont très souvent des femmes. Il y a beaucoup d’exemples dans les Évangiles, beaucoup d’exemples dans l’Ancien Testament. Les femmes sont là, pour « aider Dieu », si j’ose dire, à nous sortir des voies sans issues, où nous étions enfermées, et pour nous remettre sur une route qui a un but.
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frère Philippe Lefebvre
Le frère dominicain Philippe Lefebvre enseigne l'Ancien Testament à la faculté de théologie catholique de l'Université de Fribourg, en Suisse. Il a été nommé à la Commission Biblique Pontificale par le pape François en 2021. Ce spécialiste des Livres de Samuel a les deux pieds sur terre, en témoigne son engagement auprès des personnes abusées en milieu ecclésial. Il a publié (entre autres) : Livres de Samuel et récits de résurrection (Cerf, 2004), La Vierge au Livre (Cerf, 2004), Joseph, l'éloquence d'un taciturne (Salvator, 2012), Ce que dit la Bible sur le vin (Nouvelle Cité, 2013), Brèves rencontres (Cerf, 2015), Propos intempestifs de la Bible sur la famille (Cerf, 2016), Ce que prier veut dire (Éditions du Carmel, 2019), Comment tuer Jésus, abus, violences et emprises dans la Bible (Cerf, 2021).
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