7. La Croix, révélation du salut.
Au cœur de la prédication de Jésus, il y a bien sûr, la résurrection. Mais il y a aussi la croix. Alors, pourquoi ?
Le scandale de la croix
Nous avons de la peine à imaginer ce que pouvait représenter pour quelqu'un du premier siècle, la mort en croix de ceux qui avaient été condamnés à ce supplice odieux, infâme. En sortant des villes, on trouvait des croix, avec des hommes, des femmes, qui hurlaient leur souffrance. Et cela a été fait, évidemment en public, pour intimider, pour faire peur.
Peut-être qu'aujourd'hui, il nous faudrait penser à des pendus, comme dans les camps de concentration à Auschwitz, quand on rassemblait les prisonniers et qu'on pendait un enfant devant tout le monde.
La croix est un supplice odieux
Or c'est la croix qui devient l'emblème du christianisme. Comment comprendre une pareille inversion des valeurs ? Le Christ Jésus nous aime par fidélité à sa mission, au point d'aller jusqu'à accepter la mort, et la mort sur une croix, entre deux condamnés. C’est le supplice le plus odieux, le plus infâme. Il a été jusque là pour que personne, absolument personne, ne puisse penser être indigne du salut.
Saint-Augustin a un magnifique commentaire sur la scène des deux larrons. Quand l’un insulte Jésus et que l'autre lui dit : « mais nous ça n'est que justice, mais lui n'a rien fait… » Et Augustin met en scène le premier larron s'adressant au deuxième : « Mais où est-ce que tu as appris le fait que ce Jésus va bientôt entrer dans la gloire pour t'accueillir ? » Et le bon larron lui dit : « Je l'ai regardé. Dans son regard j'ai tout compris ».
Donc la croix est un supplice odieux mais elle est en même temps le trône de l'amour de Dieu pour le monde. Saint Jean dira que le Christ a été élevé sur la croix.
La folie de la croix
Alors, lorsque Paul prêche l'Évangile, par exemple à Corinthe… Les Corinthiens étaient très fiers de leur sagesse. Ils pensaient être des philosophes en herbe. Et Paul leur dit qu'il n'est pas venu « avec le prestige de la sagesse », mais qu'il est venu chez eux, non seulement prêchant la croix du Christ, mais « avec le langage de la Croix ».
Qu'est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire qu'il n'a pas fait de grandes phrases, qu'il n'est pas venu avec l'élégance des raisonnements, mais qu'il leur a présenté la croix de Jésus. Et ce qui apparaît pour les hommes comme une folie – bien sûr que ça apparaît comme une folie – Et il précise, toujours aux Corinthiens, « les Grecs sont en quête de sagesse », bien sûr et puis les Juifs eux sont en quête de force, ils « veulent des signes », eh bien comme signe c'est l'extrême faiblesse du crucifié et comme sagesse, c'est la folie de la croix.
La croix renversée par la résurrection
On insiste donc à une véritable inversion des valeurs et cela va marquer profondément la prédication de Paul. C'est au cœur de notre foi. Puisque Paul détestait ce poteau d'infamie, il ne pouvait pas accepter, quand il était pharisien, que ce crucifié soit le Messie. Mais maintenant, depuis que Jésus lui est apparu dans la lumière pascale, Paul sait que le Crucifié est bien le Ressuscité de Pâques. Et cela va transformer sa vie d'abord, sa prédication ensuite, dans un double rapport : un rapport à la croix et un rapport à sa propre faiblesse.
Paul et la croix
Par rapport à la croix, il en parle surtout dans la lettre aux Galates, à la fin de la lettre, lorsqu'il dit que : « jamais je ne me vante, sinon de la croix du Christ ».
Imaginez-vous cette croix qu'il avait commencé par détester, elle devient tout à coup l’objet de sa fierté. Il est fier de la croix de Jésus dont il porte même les marques sur son corps, par les coups qu'il a reçus.
Paul et sa propre faiblesse
Et puis, ça transforme aussi son rapport à sa propre faiblesse. Il va jusqu'à dire, dans la deuxième lettre aux Corinthiens, alors qu'il avait demandé au Seigneur de lui épargner des épreuves, qu’il a reçu une écharde dans la chair. On ne sait pas exactement ce que cela représentait, probablement une immense fatigue, une sorte de burn out à force de porter les communautés.
Et voilà qu'il entend le Seigneur lui dire : « ma grâce te suffit ». Et alors Paul de dire : « si je devais me vanter, je me vanterai de mes faiblesses ». C’est nouveau pour Paul. Avant sa conversion il se vantait d’être impeccable, au-dessus des autres. Voilà que, non seulement, il est devenu frère au milieu de ses frères, mais il a même un autre rapport à sa propre faiblesse. Et il sait qu’il peut même en être fier, dans la mesure où c’est dans cette faiblesse que le Christ va passer.
Les faiblesses de l’église
Il n'a donc pas confiance dans des moyens humains pour évangéliser : organisation de l'Eglise, rhétorique de sa part, que sais-je encore. Mais c'est par une faiblesse consentie, qu’il est sûr que le Christ va pouvoir transformer tout cela, par sa force à lui, l'Esprit Saint, la force de l'Évangile.
Et c'est comme ça que Paul a surmonté toutes les épreuves qu'il a pu traverser. Imaginez le souci des églises, toutes les peines que cela a représenté, l'incompréhension des proches, la persécution de ses frères de religion… Tout cela, il l'accepte et il sait que cela ne va pas être une barrière, un empêchement, mais que le Seigneur sait transformer tout cela pour accréditer sa prédication.
A Corinthe, après qu'il leur ait parlé de la folie de la croix, qui est une sagesse mais une sagesse de Dieu qui passe pour folie à nos yeux, Paul va – comme dans un bon roman policier – leur donner des indices.
Il leur dit : mais regardez votre communauté, il y a quelques gens bien nés, il y a quelques gens avec de la culture et de bonnes familles, mais il y en a très peu finalement. Ce sont les petits qui ont accueilli l'Évangile.
Et puis ensuite il leur dit, et moi-même quand je suis venu chez vous, je ne suis pas venu avec le prestige de la rhétorique, mais c'est faible, étranger et tremblant que je suis venu chez vous. Donc, ni la simplicité, ni la petitesse de ces communautés, ni l’humble extraction des gens qui en faisaient partie, n'est un obstacle, ni la faiblesse de Paul…
La croix au centre
Parce que l'action de Dieu transfigure tout cela. La croix du Christ est donc au centre de la prédication de l'Évangile, jamais séparée de la Résurrection. Bien-sûr, c'est la résurrection qui nous permet de la regarder. Elle est surtout le lieu d'un très grand amour. C'est là que Jésus nous a manifesté jusqu'où il pouvait aller, pour nous dire que nous sommes aimés, que nous sommes sauvés. Il a donné sa vie et il l'a donné jusqu'au bout pour nous sur la croix.
Pour aller plus loin :
frère Jean-Michel Poffet, Évangéliser oui, mais comment ? Paris, Cerf, 2022.
frère Jean-Michel Poffet
Frère Jean-Michel Poffet habite à Fribourg, en Suisse. Il est bibliste et a été directeur de l'École biblique et archéologique française à Jérusalem de 1999 à 2008 et en 2023. Il a publié de nombreux ouvrages : La Patience de Dieu. Essai sur la miséricorde (Desclée, 1992), Jésus et la Samaritaine (Cahier Évangile, Cerf, 1995), Paul de Tarse (Nouvelle Cité, 1998), Heureux l'homme, la sagesse chrétienne à l'école du Psaume 1 (Cerf, 2003), Regards sur le Christ (Parole et Silence, 2017), 7 petits mots de l’Évangile (Cerf, 2021). Cette série ThéoDom fait suite à la réflexion que frère Jean-Michel a mené en écrivant : "Évangéliser, oui mais comment ?" (Cerf, 2022).
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