10. Contre la mal, fatalité ou liberté ?
Frère Matthew : Le mal est partout dans le monde, mais qu’est-ce que j’y peux ? Je ne peux pas faire advenir la paix dans le monde ou soigner toutes les maladies ! Je ne peux pas grand- chose. Au fond, je dois peut-être accepter mon impuissance et faire confiance à Dieu et à sa Providence ? C’est lui qui est aux manettes !
Frère Filip-Maria : Là, tu donnes raison à Nietzsche, qui disait que le Christianisme est une religion d’esclave ! Il ne faut pas rester soumis au mal dans le monde. Il vaut mieux écouter Edmund Burke, l'écrivain anglais, qui disait que le meilleur moyen pour le mal de triompher, c’est que les hommes bons ne fassent rien. Alors, ne laissons pas le mal gagner, on doit se battre !
Père, que ta volonté soit faite
Frère Matthew : Je comprends leurs critiques, mais c’est une vérité biblique. Pierre dit aux esclaves de se soumettre à leurs maîtres même s’ils sont injustes.
« Esclaves, soyez soumis avec une profonde crainte à vos maîtres, non seulement aux bons et aux doux, mais aussi aux mauvais. » (1 Pierre 2, 18)
Ainsi, les esclaves suivent l’exemple du Christ qui s’est soumis aux autorités comme un agneau qu’on mène à l'abattoir.
« Mais si, après avoir fait le bien, vous souffrez avec patience, c'est là une grâce aux yeux de Dieu. Or, c'est à cela que vous avez été appelés, car le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces. » (1 Pierre 2, 20-21)
C’est bien ça, les chrétiens doivent accepter les souffrances de la vie. Si c’est vrai que c’était la volonté de Dieu que son Fils souffre sur la croix, alors c’est d’autant plus vrai pour nous.
Une bataille cosmique
Frère Filip-Maria : Ce que tu dis est masochiste ! On devrait juste être passifs, comme des paillassons. On devrait juste accepter tout ce qui arrive comme si tout était la volonté de Dieu.
Mais non, nous sommes au cœur d’une bataille cosmique entre le bien et le mal. Le Démon est le prince de ce monde, et Dieu veut que nous le combattions. On est du côté du bien. On n’est pas des esclaves mais des combattants du Christ.
C’est tout autant biblique : c’est ce que saint Paul dit.
« Car ce n'est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes. » (Éphésiens 6, 12)
Frère Matthew : Attention, je ne suis pas naïf. Il faut discerner : tout ce qui arrive ne relève pas de la volonté de Dieu. Sinon, on tomberait dans la caricature.
Il faut distinguer entre ce que Dieu veut directement, et ce qu’il permet. Dieu veut le bien, de manière active, mais il permet le mal, aussi. On doit avoir confiance en Dieu et croire que d’une manière ou d’une autre, par sa Providence, il fera émerger le bien, y compris à partir du mal.
C’est comme ça que je comprends ce verset de la lettre aux Romains :
« Et nous savons qu'avec ceux qui l'aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien. » (Romains 8, 28)
Je te l’accorde, il y a un combat entre le bien et le mal. Mais ce que je n’aime pas dans ta manière d’en parler, c’est que tu exagères le pouvoir du Mal. Tu en fais le rival de Dieu, un peu comme les manichéens qui voyaient le bien et le mal comme deux principes égaux qui régissent le monde.
Or au fond, le Malin n’est qu’une créature, et le Christ a dit, quand les disciples étaient partis en mission pour prêcher et guérir les malades, qu’il a vu Satan tomber comme l’éclair (Luc 10.18). La victoire a déjà été gagnée par le Christ !
La Victoire, déjà là et pas encore.
Frère Filip-Maria : Dieu me préserve d'être manichéen ! Bien sûr que la victoire a été gagnée par le Christ ! Mais on est toujours dans un “entre deux”. Et comme le dit la lettre aux Romains :
« La création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l'enfantement. » (Romains 8, 22)
C’est bien pour ça que le Christ veut que nous l’imitions en participant à sa victoire par nos combats contre le mal qui persiste.
Regarde les martyrs : ce sont les plus grands exemples qui nous montrent comment combattre les puissances du mal à l'œuvre dans le monde. Ils se sont dressés pour le bien, même au prix de leur vie.
L’abandon à la volonté de Dieu
Frère Matthew : Mais justement, les martyrs nous montrent comment se soumettre au mal et non comment le combattre. A Gethsémani, au moment de son arrestation, le Christ aurait pu se défendre, et il refuse :
« Rengaine ton glaive ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d'anges ? » (Matthieu 26, 52-53)
Le Chrétien est appelé à s’abandonner à la volonté de Dieu dans le monde. C’est ce que le Christ dit, quand il déclare : « Que ta volonté soit faite » (Matthieu 26, 42) et « Entre tes mains, je mets mon esprit » (Luc 23, 46).
Frère Filip-Maria : Il faut faire attention avec l’idée d’abandon. J’ai bien aimé la distinction que tu as faite, il y a à l’instant entre ce que Dieu veut activement et le mal qu’il permet.
Quand Dieu permet un mal (pour des raisons qui nous dépassent), il n’intervient pas directement par un miracle, pour l’arrêter. Mais peut-être qu’il veut que ce soit moi qui me lève et le combatte !
Le mal est trop profond
Frère Matthew : C’est juste, les injustices du monde doivent nous révolter, comme le Christ lorsqu’il renverse les tables des changeurs dans le Temple (Marc 11.15).
Mais nous savons aussi que la justice humaine ne se réalisera jamais vraiment en ce monde. Sinon, nous risquons d’être vite déçus par des projets utopiques. Le mal ne peut pas être réglé par des efforts humains. C’est trop profond. C’est parce que le mal nous dépasse, qu’on prie Dieu avec insistance dans le Psaume.
« Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu, Seigneur ? Lève-toi ! Ne nous rejette pas pour toujours. » (Psaume 43(44), 24)
En nous soumettant au mal que l’on ne peut éviter, on conserve notre espérance chrétienne dans la transformation quand le Royaume de Dieu va venir.
Frère Filip-Maria : Oui, le combat chrétien ne vise pas une utopie. C’est un acte prophétique qui indique le Royaume de Dieu que nous espérons, alors même que le monde souffre.
C’est l’amour qui compte
Frère Matthew : Alors oui, les chrétiens ne sont pas masochistes quand ils disent que nous avons besoin de souffrir du mal dans ce monde. Nous ne souffrons pas pour souffrir. Nous souffrons pour le Royaume de Dieu, pour l’amour. On souffre de l’amour mais on n’aime pas souffrir ! C’est l’amour qui compte.
Frère Filip-Maria : Oui, tant que ce qui compte, ce n’est pas de souffrir mais de suivre le Christ et d’aimer en chrétien.
frère Filip-Maria Ekman
Frère Filip-Maria est, en 2021, frère étudiant au couvent de Lyon. Il est suédois et a étudié la théolgie en Suède et aux Etats-Unis avant d'entrer dans l'Ordre.
frère Matthew Jarvis
En 2021, frère Matthew Jarvis étudie les Pères de l’Eglise au couvent du Saint-Nom-de-Jésus, à Lyon. Il nous vient d’Angleterre. Il a étudié la théologie à Oxford et exercé comme aumônier d’étudiant au couvent de Holy-Cross de Leicester.
Une question ? Un commentaire ?
Réagissez sur notre forum