6. La Communion pour vivre la mission.
Paul ne parle pas seulement de communion. Mais il montre concrètement qu'il est un serviteur de la communion, en s'adjoignant Sylvain et Timothée comme auteurs de la lettre aux Thessaloniciens par exemple, ou en écrivant toute cette lettre en « nous », ou encore en honorant la communauté à laquelle il parle. Autant de signes qui vont accréditer sa parole.
Un Dieu de communion
L'Évangile dont Paul est apôtre ou témoin est essentiellement un évangile de communion et c'est cet aspect que je voudrais souligner à partir des lettres de Paul. Il est fondamental, tout simplement parce que Jésus nous a révélé Dieu comme père, et qu'il nous donne son Esprit. La Trinité, c'est notre Dieu comme Dieu de communion entre les personnes.
C'est cet évangile là que Paul prêche et c'est cet évangile dont il est le témoin. C'est cet évangile qu'il met en œuvre par sa prédication et je voudrais le montrer à partir de petits indices issus notamment de la première lettre aux Thessaloniciens.
Une écriture à plusieurs
Lorsqu’il commence ainsi : « Paul, Sylvain et Timothée à l'église des Thessaloniciens qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus-Christ… » Alors, Paul, Sylvain et Timothée, ils sont trois. C'est que Paul associe Sylvain et Timothée aux titres de auteurs de la lettre. C’est avec eux qui il a annoncé l'Évangile à cette communauté.
Cela n'a l'air de rien. C'est pourtant tout à fait exceptionnel dans les lettres de l'Antiquité. Nous en avons des centaines et même des milliers qui nous ont été conservées. On a en général un seul auteur. C'est très très rare qu’il y en ait plus qu'un.
A l’inverse, c'est constant dans les lettres de Paul. L’exception, c’est l’épître aux romains, parmi les lettres identifiées comme sûrement dictées par Paul. Autrement dit ça devient une marque de fabrique.
Est-ce que c'est important ? Oui, c'est important, parce que pour transmettre un évangile de communion, c'est quand même mieux si on est soi-même en communion avec d'autres.
Paul associe donc comme co-auteur de la lettre, ici Sylvain et Timothée, ses collaborateurs dans l'annonce de l'Évangile à Thessalonique. A Corinthe il associera Sosthène par exemple. Ou bien dans le billet à Philémon c'est « Apphia notre sœur, Archipe notre frère d'armes » associés avec Paul.
Un gage de crédibilité
Alors est-ce que c'est important ? Oui je crois que c'est très important, parce que si vous voulez être crédible lorsque vous annoncez évangile de communion, c'est quand même mieux si vous même en avez quelque expérience d'une part et je dirais même, quelque visibilité. Si vous parlez d'un évangile de communion et que vous êtes toujours tout seul, et en plus autoritaire, vous serez difficilement écouté.
Une écriture en « nous »
Et puis il y a un deuxième indice, c'est que toute la lettre est écrite en « nous », pas en « je ».
Certes, de temps en temps, parce qu'on ne se refait pas, le « je » de Paul ressort. « Nous avons voulu venir chez vous à plusieurs reprises », écrit-il au chapitre 2 de la lettre, « moi-même Paul, à plusieurs reprises, mais Satan nous en a empêchés ». « Nous vous avons envoyé Timothée pour vous affermir et réconforter vu que vous avez des tribulations à souffrir, je vous ai envoyé... » donc à deux reprises au moins… le « je » de Paul ressort, mais toute la lettre est écrite en « nous ».
Et quand on sait la forte personnalité de l'apôtre, ça nous montre que cette dimension de communion est importante.
Pas de titre d’apôtre
Et j'ajouterai un troisième indice c'est que dans cette première lettre, Paul ne se donne même pas le titre d' « apôtre ».
Il le fera dans toutes les lettres ensuite. C’est tout simplement parce qu'il n'est pas encore mis en cause et attaqué. En effet, il n'avait pas, pour ceux de Jérusalem, la légitimité requise, puisqu'il n'avait pas connu Jésus. Alors quand on va l'attaquer, il va souligner son titre d'apôtre. Il est apôtre par une révélation du Christ.
Mais quand il n’est pas attaqué, eh bien Paul, Sylvain et Timothée sont tous les trois sur le même rang, les trois en communion.
Le but de l’évangélisation
Au chapitre 3 de la lettre, Paul précise pourquoi il avait envoyé Timothée prendre des nouvelles de cette communauté laissée seule sans ceux qui l'avaient fondée, et il le dit en toutes lettres : « Nous avons envoyé Timothée notre frère et le collaborateur de Dieu dans l'Évangile du Christ, pour vous affermir et vous réconforter dans la foi, pour que personne ne se laisse ébranler par ces tribulations. »
C’est le but de l'évangélisation et c’est très beau.
Affermir
D’une part affermir, c'est le pôle de solidité, pour que les croyances hier comme aujourd'hui ne soient pas emportées à tout-vent de doctrines, suivent ce qui est à la mode. Affermir, en hébreu ce serait la fameuse racine « Aman », qui va nous donner notre « amen », qui veut dire « c'est solide », « je peux m'appuyer là-dessus », « ça tient ».
Consoler
Voilà affermir, et puis il y a un deuxième pôle à l'évangélisation, à la prédication, c'est consoler, réconforter.
Et là, je dirais plutôt que c'est le pôle de tendresse. C'est magnifique, et ça nous rappelle la deuxième partie du livre d'Isaïe dans l'Ancien Testament, un passage qu'on connaît bien : « Consolez, consolez, mon peuple » (Isaïe 40,1). Dites-lui qu'il a assez souffert. La consolation devient une marque de Dieu pour les croyants. Le Prophète n'appelle plus simplement à la conversion, mais le peuple a tellement souffert qu’il imagine un Dieu consolateur.
C'est ce qu'on nous dit du vieux Siméon au début de l'évangile de Luc : « il attendait la consolation d'Israël » (Luc 2, 25).
Eh bien Paul conçoit sa mission à la suite du Christ comme étant quelqu'un qui vient, par l'Évangile, affermir les croyants mais aussi les consoler.
Et puis comme nous l'avons vu dans les images qui lui viennent à l'esprit, pour lui, un évangélisateur, c’est comme une mère, (c’est la tendresse), c’est comme un père, (c’est plutôt la force) et il appelle les chrétiens frères.
Frères, une frontière est tombée
Je voudrais enfin souligner comment il s'adresse à cette communauté de Thessalonique, comment il leur parle, parce que le vocabulaire a son importance.
Premièrement il les appelle « frères ». Aujourd'hui, c’est du langage ecclésiastique, ça ne nous dit plus rien. Mais quand un juif pharisien, devenu chrétien, appelle « frères » des païens venus à la foi, qui ne font pas partie du peuple juif, ça suppose qu’une barrière monumentale est tombée. Autrement dit, il sera un proche de ceux dont il n'était pas proche. Et maintenant il peut leur dire : « vous êtes mes frères, mes sœurs. »
Bien-aimés de Dieu, du Christ aux romains
Il les appelle aussi « bien-aimés », ça aussi c'est original. Et ça nous vient directement du Christ Jésus, lui qui est désigné au baptême comme étant le « bien-aimé », « mon fils bien-aimé », à la Transfiguration. Aussi c'est ce bien-aimé qui s'est révélé à Paul. Et Paul dira en évoquant sa conversion : « il m'a aimé et s'est livré pour moi ». Et voilà que maintenant il fait passer cette dénomination à ces chrétiens tout neufs du monde païen : « bien-aimés ». Aux Romains qu’il ne connaît pas encore, il écrit même : « à vous bien-aimés de Dieu, qui êtes à Rome. » C'est pour ainsi dire une définition du chrétien.
Eglise
Il les appelle aussi « église ». Là encore, c’est du langage ecclésiastique. Oh non.. ! L’ « ecclésia », pour un citoyen du monde grec désignait une assemblée.
Mais « l'assemblée des Thessaloniciens qui est en Dieu, reconnu comme père grâce à Jésus », c'est l'Eglise.
Et ce terme d'église on le trouve surtout dans l'Ancien Testament, dans le livre du Deutéronome, pour désigner l'assemblée des croyants, l'assemblée solennelle au pied du Sinaï qui reçoit la révélation. Pour Israël, c'est un moment fondateur extrêmement fort, et voilà que Paul fait passer cette désignation maintenant à une petite assemblée de chrétiens réunis à domicile à Thessalonique. Ici ils ne sont peut-être pas toute l'église, mais ils sont église du Seigneur. C'est un immense honneur qu’il leur fait.
Les collaborateurs
Et puis je pourrais encore parler de la manière dont il parle de Timothée, « notre frère et collaborateur de Dieu ».
Oh, ça a beaucoup gêné les scribes, qui ont corrigé ce « collaborateur de Dieu » pour mettre « collaborateur de Paul » ou « serviteur de Dieu », parce qu'on se disait que « collaborateur de Dieu » c'est trop fort.
Eh bien non, Paul sait très bien que c'est Dieu qui fait tout dans l'annonce de l'Évangile. Mais il le fait avec nous et par nous. Et c'est comme ça qu'il ose employer ce terme de collaborateur de Dieu, pour cet homme qui l’a aidé à annoncer l'Évangile.
Alors ça nous donne un ensemble très beau : un évangile de communion annoncé par Paul, Sylvain et Timothée, une lettre en « nous », et puis une manière d'affermir une communauté et de la consoler, et puis enfin, avec un vocabulaire d'honneur. En somme, il ne diminue pas ceux auquel il parle, mais il les honore et les grandit d'une certaine façon par la révélation dont il est le témoin.
Pour aller plus loin :
frère Jean-Michel Poffet, Évangéliser oui, mais comment ? Paris, Cerf, 2022.
frère Jean-Michel Poffet
Frère Jean-Michel Poffet habite à Fribourg, en Suisse. Il est bibliste et a été directeur de l'École biblique et archéologique française à Jérusalem de 1999 à 2008 et en 2023. Il a publié de nombreux ouvrages : La Patience de Dieu. Essai sur la miséricorde (Desclée, 1992), Jésus et la Samaritaine (Cahier Évangile, Cerf, 1995), Paul de Tarse (Nouvelle Cité, 1998), Heureux l'homme, la sagesse chrétienne à l'école du Psaume 1 (Cerf, 2003), Regards sur le Christ (Parole et Silence, 2017), 7 petits mots de l’Évangile (Cerf, 2021). Cette série ThéoDom fait suite à la réflexion que frère Jean-Michel a mené en écrivant : "Évangéliser, oui mais comment ?" (Cerf, 2022).
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