5. Comment lire un prophète ?
Nous avons appris à lire non seulement un évangile mais tout type de récit biblique ! Il est temps maintenant de s’attaquer à d’autres genres littéraires, c’est-à-dire à d’autre genre de textes que des récits. Avancer en eau profonde et découvrir des types de textes auxquels nous ne sommes pas habitués. Par exemple dans les nombreux livres écrits par les prophètes on ne nous raconte pas une histoire mais Dieu semble parler directement à la première personne ! Mais comment lire un prophète ?
Un exemple : le prophète Jérémie
On ne le saura que lorsqu’on aura essayé sur un exemple ! Prenons un passage du prophète Jérémie. C’est un des grands de l’Ancien Testament qui vécut à l’époque terrible où le peuple d’Israël fut déporté à Babylone et où le Temple de Salomon fut détruit ! Lisons ensemble le début du chapitre 2 du livre de Jérémie. Comme nous ne sommes pas habités ce sera peut-être un peu déstabilisant ! Mais pas de panique ! Nous prendrons ensuite le temps de l’analyser pour constater -en utilisant plusieurs d’entre eux- que nos 7 outils de lecture biblique marchent aussi sur ce genre de texte. Et puis, nous finirons encore une fois sur un conseil : le 3ème de mes 5 conseils pour lire la Bible !
« La parole du Seigneur me fut adressée : « Va proclamer aux oreilles de Jérusalem : Ainsi parle le Seigneur : Je me souviens de la tendresse de tes jeunes années, ton amour de jeune mariée, lorsque tu me suivais au désert, dans une terre inculte. Israël était consacré au Seigneur, première gerbe de sa récolte ; celui qui en mangeait était coupable : il lui arrivait malheur, – oracle du Seigneur. Écoutez la parole du Seigneur, maison de Jacob et toutes les familles de la maison d’Israël. Ainsi parle le Seigneur : En quoi vos pères m’ont-ils trouvé injuste, eux qui se sont éloignés de moi, qui ont suivi des dieux de néant pour devenir eux-mêmes néant ? Ils n’ont pas dit : « Où est-il, le Seigneur, lui qui nous a fait monter de la terre d’Égypte et marcher dans le désert, terre aride et ravinée, terre sèche et sinistre, terre où personne n’est jamais passé, où aucun homme n’a jamais habité ? » Je vous ai fait entrer dans une terre plantureuse pour vous nourrir de tous ses fruits. Mais à peine entrés, vous avez profané ma terre, changé mon héritage en abomination. Les prêtres n’ont pas dit : « Où est-il, le Seigneur ? » Les dépositaires de la Loi ne m’ont pas connu, les pasteurs se sont révoltés contre moi ; les prophètes ont prophétisé au nom du dieu Baal, ils ont suivi des dieux qui ne servent à rien. C’est pourquoi, de nouveau, je vais faire un procès contre vous, – oracle du Seigneur un procès contre les fils de vos fils. Passez jusqu’aux rivages de l’Occident, et regardez ; envoyez faire des recherches en Orient, et regardez si pareille chose est arrivée ! Une nation a-t-elle jamais changé de dieux ? – Et ce ne sont même pas des dieux ! Or mon peuple a échangé sa gloire contre ce qui ne sert à rien. Cieux, soyez-en consternés, horrifiés, épouvantés ! – oracle du Seigneur. Oui, mon peuple a commis un double méfait : ils m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes, des citernes fissurées qui ne retiennent pas l’eau ! » (Jérémie 2, 1-13, traduction liturgique, AELF)
Symbolisme
Commençons une fois de plus l’analyse par l’outil SYMBOLISME qui permet de voir les symboles qu’utilise le texte. On voit que le texte parle de la marche au désert comme de quelque chose de positif : c’était comme un temps de fiançailles ou plutôt comme une lune de miel entre jeunes mariés ! Au contraire il parle de l’entrée en Terre Sainte comme de quelque chose de négatif : pour lui il s’agissait ni plus ni moins que d’une profanation !
Intertextualité
Or l’outil INTERTEXTUALITÉ qui nous permet de faire le lien avec d’autres textes de la Bible nous rappelle que ce devrait être le contraire ! La marche au désert fut un temps d’épreuve et de récrimination alors que l’entrée en Terre Sainte était l’accomplissement des promesses ! Nous sommes donc en face d’une relecture de l’histoire sainte ! L’histoire sainte relue du point de vue de Dieu ! En nous plaçant ainsi du point de vue de Dieu le prophète nous fait découvrir que si l’Alliance a été rompue, livrant Israël à la déportation, ce n’est pas parce que Dieu a abandonné son peuple mais parce que le peuple d’Israël a abandonné son Dieu pour aller adorer les dieux des nations qui le déporteront…
Critique historique
Si nous utilisons l’outil CRITIQUE HISTORIQUE qui nous rappelle l’importance du contexte historique pour comprendre le texte, nous voyons que ce qui rend cette rupture d’alliance d’autant plus grave c’est que le peuple d’Israël en était peu à peu venu à réaliser que Dieu n’était pas seulement leur Dieu, ou un Dieu meilleur que les autres, mais le seul vrai Dieu ! Comme on le voit chez Jérémie ,vénérer des idoles c’est vénérer du vide, car il n’y a qu’un seul Dieu vivant et vrai ! Cela rend l’infidélité d’Israël d’autant plus terrible que du point vu du prophète elle est absurde ! Pourquoi s’étonner de ne pas avoir reçu de secours si on a mis son espoir dans de vides idoles !?
Théologie
Nous pourrions ici utiliser l’outil THÉOLOGIE qui s’intéresse aux interprétations qui ont été faites du texte mais sans sortir du texte pour une fois ! Car le prophète fait ici lui-même œuvre théologique ! il propose lui-même une interprétation théologique de l’histoire d’Israël qu’il évoque ! En relisant l’histoire sainte d’Israël, il en ouvre des nouvelles potentialités ! Le désert avait été un temps difficile et pourtant Dieu y formait amoureusement son peuple ! Avec d’autres prophètes de l’époque de la déportation à Babylon, comme par exemple Ézéchiel, Jérémie va peu à peu développer l’idée que l’Exil est en quelque sorte un nouvel Exode ! Un exode hors de l’idolâtrie : la promesse d’une nouvelle libération ! Cette idée sera magnifiquement exprimée au chapitre 31 de son livre avec la promesse d’une nouvelle alliance qui sera même meilleure que la première car elle ne sera pas gravée sur des tables de pierre comme au Sinaï mais au plus profond du cœur de chaque fidèle !
Abandon à l’Esprit Saint
C’est une bonne transition pour finir en utilisant comme à chaque fois l’outil ABANDON À L’ESPRIT SAINT qui nous donnera peut-être de ne pas entendre dans cet oracle seulement la voix d’une sévère condamnation de l’idolâtrie mais aussi le murmure d’une voix qui demande : « Et si le désert était une chance de retrouver la source des eaux vives ?! » En tout cas l’étude de ce texte vous aura permis de réaliser combien un texte de prime abord compliqué pouvait se révéler riche si on prend le temps d’y réfléchir !
Conseil n°3 : Ne pas fuir devant la difficulté
C’est le 3ème de mes 5 conseils pour lire la Bible : Conseil n°3 : Lire et réfléchir. Ne pas fuir devant la difficulté d’un texte, c’est souvent là que Dieu nous attend ! C’est un défi mais avec les 7 outils et déjà 3 conseils vous pouvez vous attaquer à des textes aussi déroutant que cet oracle a pu vous paraître ! Pourquoi ne pas aller lire tout simplement la suite du livre de Jérémie !
frère Pierre de Marolles
Frère Pierre de Marolles est frère dominicain de la province de Suisse. Après des études à Fribourg, En 2021, il poursuit un doctorat à Louvain-la-Neuve, où il continue de travailler sur l'Apocalypse.
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