9. Comment lire saint Paul ?
Après avoir appris à lire pas mal de types de textes de l’Ancien Testament, ne serait-il pas temps de revenir dans le Nouveau ? Surtout qu’il y a un genre de textes qu’on ne croise presque que dans le Nouveau Testament ! En plus ce sont des textes qui font toujours partie des lectures de la messe le dimanche ! Je veux, bien sûr, parler des lettres de Saint Paul ! Elles ont l’avantage de toujours parler explicitement du Christ, mais le désavantage de ne pas toujours être simples à suivre… Alors comment lire Saint Paul ?
Exemple : la lettre aux Philippiens
Je vous propose un passage de la lettre que Paul écrit à la communauté de Philippes, en Grèce, qu’il a lui-même fondée. Cette lettre a probablement été écrite autour de l’année 52, soit une vingtaine d’année seulement après la mort et la résurrection du Christ ! C’est donc un des plus anciens textes du Nouveau Testament ! Comme à chaque fois, nous lirons ce passage intégralement avant de l’étudier avec plusieurs des 7 outils de lecture biblique. Cela nous amènera au 5ème et dernier conseil pour lire la Bible ! Découvrons donc ensemble ce que Paul a à dire aux chrétiens de Philippes
« [Frères] S’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres. Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père. Ainsi, mes bien-aimés, vous qui avez toujours obéi, travaillez à votre salut avec crainte et profond respect ; ne le faites pas seulement quand je suis là, mais encore bien plus maintenant que je n’y suis pas. Car c’est Dieu qui agit pour produire en vous la volonté et l’action, selon son projet bienveillant. » (Philippiens, 2, 1-13, traduction liturgique, AELF)
Mise en scène
Une fois n’est pas coutume, commençons par utiliser l’outil MISE EN SCÈNE pour regarder de plus près la façon dont Paul met en scène ses idées ! Il apparaît clairement que tout le texte repose sur l’argument : « Soyez comme cela parce que Jésus l’a été ! » Mais Paul prend son temps pour en arriver à cet argument central : il développe une exhortation à l’unité qui se fait de plus en plus exigeante : chercher l’unité ; ne pas être vantard ; considérer les autres supérieurs à nous-même ; ne plus chercher notre propre intérêt mais celui des autres ! Et au moment où on pourrait être tenté de réagir, en disant que cela va un peu loin… Paul nous dit en substance : « tout cela le Christ l’a fait » ! Mais plus qu’un simple modèle les versets 6 à 11 présentent la vie du Christ comme un véritable bouleversement cosmique !
Structure
D’ailleurs, en regardant ces quelques versets de plus près à l’aide de l’outil STRUCTURE, nous nous rendons compte qu’il s’agit d’un petit joyau à la composition très travaillée ! Les trois premiers versets marquent une descente fulgurante de la « condition de Dieu » à la « mort sur la Croix » ; puis, les trois suivants, une ascension non moins renversante, jusqu’à l’acclamation universelle du Christ comme « Seigneur ». Au milieu donc la croix ; aux deux extrêmes la divinité du Christ ! Car le titre « Seigneur » n’a d’ailleurs rien d’anodin, c’est le mot qui était utilisé par les juifs à chaque fois que le texte saint comportait l’imprononçable nom divin : le tétragramme ! Dire de Jésus qu’il a reçu le nom de Seigneur, c’est bien affirmer sa divinité !
Critique historique
Or, justement, en analysant ces 6 versets avec l’outil CRITIQUE HISTORIQUE nous réalisons que ces quelques lignes ne sont pas de la main de Paul ! Le vocabulaire et le style ne lui ressemblent pas… l’opposition entre la condition de Dieu « morphe theou » et la condition d’esclave « morphe doulou » ne se retrouve pas ailleurs sous la plume de Paul. Ici, Paul semble donc plutôt faire une citation, comme lorsqu’il cite les Écritures… Mais, comme il y est fait explicitement mention de Jésus, cela signifie que nous sommes probablement face à un des plus anciens hymnes chrétiens que Paul lui-même aurait reçu de ceux qui étaient chrétiens avant lui ! Quelle formidable fenêtre ouverte sur la liturgie de la toute première Eglise, qui déjà professe sa foi en Jésus non pas seulement comme un homme élevé par Dieu mais comme Dieu descendu jusqu’à nous !
Intertextualité
L’outil INTERTEXTUALITÉ nous propose d’ailleurs un parallèle intéressant dans le discours de l’apôtre Pierre à la Pentecôte, rapporté dans le livre des Actes des Apôtres (Actes 2). Nous y retrouvons le thème de l’exaltation auprès du Père, mais en mettant cette fois bien plus l’accent sur ce que Paul n’a que timidement évoqué au début de notre texte : le don de l’Esprit Saint ! Si Dieu, en Jésus, est descendu et remonté, c’était pour faire reposer son Esprit sur l’Humanité ! Or, entre dire que ce qui anime et fait l’unité des chrétiens c’est l’Esprit de Jésus envoyé d’auprès du Père, et dire qu’en Jésus les croyants ne forment plus qu’un seul corps, il n’y a qu’un pas ! Ce pas Paul le fera dans ses lettres suivantes où il développera l’idée que l’Église, la communauté des croyants, est le corps du Christ où chaque membre, poussé par l’Esprit, devient capable d’agir comme le Christ a agi !
Abandon à l’Esprit Saint
Ainsi nous pouvons conclure, en utilisant l’outil ABANDON À L’ESPRIT SAINT, grâce auquel nous réaliserons peut-être que le Christ n’est pas seulement notre modèle, mais qu’en lui Dieu vient habiter notre humanité et nous renouvelle à l’image de son Fils ! Ce qui apparaît en tout cas clairement à l’étude de ce texte, c’est qu’il est impossible de séparer les textes bibliques de la communauté qui les porte !
Conseil n°5 : Lire ensemble
Ce sera là mon 5ème et dernier conseil pour lire la Bible : Conseil n°5 : Lire ensemble : On n’est jamais seul quand on lit la Bible, communauté et textes bibliques sont inséparables.
Arrivé au terme de ces vidéos, je vous ai moi-même donné tout ce que je pouvais ! À vous maintenant d’aller à la rencontre des textes de la Bible avec les 5 conseils à l’esprit et les 7 outils à la main ! Et qui sait, peut-être qu’un jour à votre tour vous serez appelés à transmettre à d’autres ce que vous aurez contemplé !
frère Pierre de Marolles
Frère Pierre de Marolles est frère dominicain de la province de Suisse. Après des études à Fribourg, En 2021, il poursuit un doctorat à Louvain-la-Neuve, où il continue de travailler sur l'Apocalypse.
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