2. Comment lire la Bible
Il y a différentes manières d'étudier la Bible : vous êtes plutôt archéologue ou plutôt littéraire ? Exégèse ou explication historique versus théologie biblique ?
Blanc – L'exégèse historique de la Bible, c'est comme faire des fouilles archéologiques. Ça permet de découvrir les différentes strates et les différentes couches historiques et de comprendre dans quel contexte historique, politique et religieux tel morceau du canon biblique a été composé. Ça permet de voir, par exemple, que les plus anciennes prophéties du livre d'Isaïe datent vraisemblablement de l'époque du roi Ézéchias, au VIIIème siècle AC, à une époque où il y avait encore un descendant de David sur le trône de Jérusalem, tandis que d'autres morceaux sont plus récents et remontent sans doute à après la chute de Jérusalem en 587 avant Jésus-Christ. La critique historique permet de voir que, suivant les époques et la situation politique, on attend parfois un roi glorieux, prince de paix, parfois plutôt un serviteur souffrant, blessé à cause du péché du peuple.
Noir – Tu parles de couches, de strates… c'est parfois un peu comme si, au lieu de lire le livre qui sort de chez l'imprimeur, tu passais ton temps à regarder les différents brouillons et les différentes versions du roman, avant que l'auteur ait écrit le point final. En revanche, faire de la théologie biblique, c'est considérer le texte biblique comme un tout cohérent et unifié. Si je crois que l'auteur a été inspiré par Dieu, je m'intéresse à ce que Dieu me dit et à la manière dont le texte s'y prend pour me le dire. Par ex, avec Isaïe, ce qui est intéressant, c'est toutes les prophéties concernant le Messie : prince de paix, serviteur souffrant ou Emmanuel, c'est tout cela à la fois et en même temps !
Blanc – Mais le risque avec une lecture « littéraire » qui ne fait pas le détour par l'histoire, c'est qu'on risque de faire des lectures ou complètement subjectives ou complètement fondamentalistes. Par exemple, lorsque le livre de Josué décrit la conquête de la terre promise et l'élimination des nations étrangères pour l'installation du peuple élu. Les fouilles archéologiques et l'étude historique prouvent que les choses ne se sont pas passées du tout comme le texte le dit ; ça permet de comprendre que le livre de Josué décrit un processus utopique, qui n'a jamais existé comme tel. Cette utopie politique et religieuse a été nécessaire pour consolider et affirmer l'identité religieuse et politique du peuple, menacé par les puissances environnantes. L'étude historique permet de comprendre et d'expliquer ce que tel texte a pu vouloir dire à telle époque et pour tel type de personne. Sinon vous faites une lecture fondamentaliste : c'est un programme politique violent et exclusif à appliquer aujourd'hui comme tel ; ou alors, vous en faites une lecture complètement subjective qui ne rend pas justice à ce que dit la lettre du texte, comme si ce n'était qu'une image du combat spirituel. La critique historique permet d'éviter et le fondamentalisme et le subjectivisme !
Noir – L'idéal, c'est une étude à la fois historique et théologique : qui dé-compose le texte et qui le re-compose. C'est ce qu'on appelle la lecture canonique. Le « canon », c'est la bible dans son ensemble. Lire le canon des Écritures, c'est lire la Bible comme un tout achevé, en sachant et en montrant à travers quelles étapes historiques la Parole s'est peu à peu formée et transmise jusqu'à nous aujourd'hui, c'est ce qu'on appelle le processus de Tradition. Dans une perspective chrétienne, lire ainsi le canon des Écritures, c'est croire que Jésus Christ est la clé de lecture de toute la Bible, que c'est lui qui en donne le sens ultime.
frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond
En 2021, frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond vit au couvent de La Tourette. Frère Grégoire est l’auteur du recueil de poésie Chambre avec vues (éditions Cheyne) et de Le Livre et le Désir, éditions du Cerf, 2020.
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