7. La colère
Parmi les sept péchés capitaux, il y a la colère. Vous connaissez sans doute cette passion. Qui ne s’est pas déjà mis en colère ? Parfois même plusieurs fois par jour, et pour toutes sortes de raisons, de la plus grave à la plus futile. Hélas, nous ne sommes pas tous égaux devant ce péché, certains gardent facilement leur calme, d’autres sont capables de s’enflammer à la moindre contrariété. Si comme moi, vous êtes d’un naturel assez colérique et que vous vous laisser emporter facilement, vous pensez peut-être qu’il n’y a rien à faire. Rassurez-vous la cause n’est pas désespérée !
Comme je le disais, chacun de nous a fait l’expérience de la colère, soit parce qu’il s’est déjà mis en colère, soit parce qu’il a dû subir la colère de quelqu’un. Bien que nous ayons tous une plus ou moins grande expérience, la majorité d’entre nous ne sait pas ce qu’est la colère, alors que cette connaissance pourrait nous aider à lutter contre ce qui nous submerge trop souvent malgré nous et qui est occasionne beaucoup de culpabilité…
Dans l’Évangile selon saint Matthieu, nous lisons la réaction ultraviolente du roi Hérode après que les mages soient repartis sans venir lui dire où se trouvait l’enfant qu’ils étaient venus adorer :
« Alors Hérode, voyant que les mages l’avaient trompé, entra dans une violente fureur. Il envoya tuer tous les enfants de moins de deux ans à Bethléem et dans toute la région d’après la date qu’il s’était fait préciser par les mages » (Matthieu 2, 16).
Voilà une colère qui est un bon exemple pour qualifier un péché capital et mortel.
« Eh bien ! Moi je vous dis : « Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal ; mais s'il dit à son frère : "Crétin ! ", il en répondra au Sanhédrin ; et s'il lui dit : "Renégat ! ", il en répondra dans la géhenne de feu ». (Matthieu 5, 22)
Mais j’ai une difficulté. L’Écriture Sainte nous rapporte aussi que Dieu s’est mis en colère parce qu’Il était irrité contre son peuple et ses mauvaises actions. L’Évangile selon saint Jean relate cet épisode célèbre, où Jésus a pris des cordes pour faire un fouet avec lequel il a chassé les marchands qui se trouvaient dans le temple de Jérusalem. Jésus a donc comme nous éprouvé de la colère. Pourtant nous croyons dans la foi que Jésus n’a jamais commis de péché, Jésus a donc pu se mettre en colère sans pécher.
Il y aurait alors une bonne colère et une autre mauvaise. Cela demande une explication.
Dans son livre Les mouvements intérieurs de l’âme, une de mes amies Suzanne Giuseppi, franciscaine séculière et accompagnatrice spirituelle, parle, en se fondant sur l’enseignement des pères de l’Église et de saint François d’Assise, de la puissance irascible. Cette capacité naturelle à l’être humain est utile pour se maintenir dans la voie de Dieu et refuser ce qui en détourne. Si nous en faisons un mauvais usage, nous tombons dans l’égoïsme et la tentation de possession. Pour nous aider à comprendre prenons un exemple.
L’âme de chacun de nous possède ce que la tradition appelle des puissances, des dynamismes de l’homme. C’est comme si notre âme était un genre de caisse à outils que nous possédons pour bien vivre. Dans cette caisse, il y a un marteau, c’est un outil que je peux utiliser pour enfoncer des clous et construire une cabane ; mais si je me mets à casser avec, les vitres de la voiture de mon voisin, alors je le détourne de son usage correct. Il en est de même pour les puissances de l’âme, si j’utilise mal la puissance irascible, elle devient mère de l’impatience, de l’agressivité et de la violence.
La colère, en latin ira, donne son nom à la puissance irascible, comme celui qui est colérique est dit irascible. La puissance irascible est naturellement donnée à l’homme pour qu’il puisse choisir le bien et repousser le mal. Il y a donc d’une certaine façon, une colère qu’on peut dire juste. Saint Thomas d’Aquin nous dit dans la Somme de Théologie (IIa IIae Q158) que « se mettre en colère n’est pas toujours un mal. » Selon lui, la colère est liée à un appétit de vengeance. Et le mal se trouve alors quand quelqu’un se met trop ou pas assez en colère, sortant de la mesure de la droite raison. Mais attention, se mettre en colère selon la raison, ne signifie pas ici qu’il faut avoir des raisons de se mettre en colère, car bien sûr personne ne s’irrite sans raison. Quand les anciens parlaient de suivre la raison, cela impliquait que la colère devait être liée à la justice. C’est la colère provoquée par le zèle, c’est par exemple celle de Jésus au Temple.
Pour saint Thomas la colère est un péché si l’on désire se venger plus que de raison, si on désire punir quelqu’un qui ne l’a pas mérité, ou davantage qu’il ne l’a mérité, ou encore quand on n’agit pas en vue de la conservation de la justice et la correction de la faute, alors l’appétit de colère est vicieux. On l’appelle « colère provoquée par le vice », c’est celle d’Hérode.
Pour ne pas faciliter les choses, saint Thomas dit aussi que celui qui ne se met pas en colère quand il a une juste cause de le faire, commet un péché, parce que la patience déraisonnable sème les vices, entretient la négligence et encourage les bons comme les mauvais, à mal agir. On parlerait aujourd’hui d’un excès de tolérance. Celui qui, voulant bien faire, ne se met pas en colère alors qu’il le doit, imite peut- être Dieu, quant au manque de passion, mais il ne l’imite pas selon que Dieu punit aussi en vertu de son jugement.
En raison de notre nature blessée, nous ne parvenons que très rarement à suivre la raison droite pour une colère juste, alors que pouvons-nous faire ? Ecoutons l’apôtre Paul, dans une lettre à ses amis d’Ephèse, il écrivait :
« Aucune parole mauvaise ne doit sortir de votre bouche ; mais, s’il y en a besoin, dites une parole bonne et constructive, bienveillante pour ceux qui vous écoutent. En vue du jour de votre délivrance, vous avez reçu en vous la marque du Saint Esprit de Dieu : ne le contristez pas. Faîtes disparaitre de votre vie tout ce qui est amertume, emportement, colère, éclats de voix ou insultes, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ » (Ephésien 4, 29-32)
Devenir comme Dieu « long de narine », c'est-à-dire lent à la colère (Psaume 102, 8). La juste vertu àa acquérir est la mansuétude, qui permet de se modérer et maintenir la colère par la raison dans un juste milieu.
Pour aller plus loin :
Suzanne Giuseppi Testut, Les mouvements intérieurs de l’âme, Passions et vertus selon saint François d’Assise et les Pères de l’Eglise, éd. Nouvelle Cité, Bruyères -Le-Chastel, 2011
frère Christian-Marie Donet
Frère Christian-Marie est recteur de l’Oratoire de la Sainte face de Tours depuis 2016. Il est président de l’Association des Recteurs de Sanctuaires (A.R.S.) depuis 2019.
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